L’usine Mignot à Saint-Bueil .

Au début de la Monarchie de Juillet, Guillaume Mignot quitte précocement son village natal, Montferrat, pour s’installer à Voiron comme jardinier, son père étant décédé alors qu’il n’a que seize ans, en 1817, et sa mère en 1830. Sa condition modeste est attestée par son mariage avec une lingère, Marie Labourin, en 1838, dont le trousseau atteint péniblement 200 francs. Mais ses beaux-parents ont laissé à leur fille un petit bien, une maison à Voiron dans la rue Sermorens, estimée à 10.000 francs, qui est d’ailleurs vendue au milieu des années 1850. Dans les mois qui suivent, Guillaume Mignot abandonne son état de jardinier pour celui de tisserand et d’ouvrier fabricant de linge de table, métier par ailleurs exercé par son beau-frère, René Labourin 2982 . Le couple Mignot a trois enfants : Guillaume-Pierre, en 1840, Marie-Louise en 1843 et Joseph en 1846, ce dernier décédé à l’âge de quatre ans. L’aîné, Guillaume- Pierre, ne marche pas dans les pas de son père et devient tourneur mécanicien, activité en pleine ascension à Voiron avec les ateliers Tournier, Marquis, Deschaux et bientôt Béridot. Marie-Louise, devenue tailleuse, est la première à partir de Voiron, à l’occasion de son mariage en 1864 avec François-Julien Cornu, un ouvrier gantier de Grenoble. Quant à son frère, Pierre, il épouse trois ans plus tard Dominique Heppe, elle-même native de Voiron, mais dont le père, Joseph Heppe , un ancien tourneur sur métaux, est depuis quelques mois l’associé d’Ambroise Veyre 2983 pour l’exploitation d’un tissage à Saint-Bueil . Pierre Mignot a-t-il débuté sa carrière professionnelle comme tourneur aux côtés de son futur beau-père, lorsque celui-ci habitait Voiron ? Peut-être. En tout cas, lorsqu’il est appelé sous les drapeaux, après son tirage au sort, en 1860, il intègre la Compagnie des ouvriers d’artillerie de Lyon grâce à ses compétences de serrurier. Il est libéré sept ans plus tard, le 31 décembre 1867. Il gagne alors Saint-Bueil 2984 . Après le décès de son associé, Ambroise Veyre, Joseph Heppe embauche son gendre dans sa fabrique comme mécanicien, tout en lui prodiguant à plusieurs reprises son encouragement à travers des donations d’argent afin de compléter la dot de sa fille et de compléter ses économies 2985 . Cependant, Gustave Veyre , le neveu et héritier d’Ambroise, se brouille avec le clan Heppe-Mignot, entraînant le départ de ces derniers de la fabrique, pendant l’année 1881.

Fort de quelques capitaux économisés depuis une dizaine d’années et encouragé par sa belle-famille, Pierre Mignot entreprend de construire son propre tissage à l’autre extrémité du village. La maladie puis le décès prématuré de Joseph Heppe en septembre 1881, ne remettent rien en cause, il est simplement remplacé par son fils Laurent au sein de la société Mignot & Heppe, notamment pour le financement de l’opération. En octobre, Mignot achète à un meunier, Félix Barruel, la Rosetta, une propriété située au hameau de la Roche, en bordure d’une dérivation artificielle de l’Ainan ayant une chute d’eau, pour 22.760 francs. La vente est complétée par un accord entre les deux hommes, par lequel Mignot s’engage à construire une fabrique ou à revendre en priorité le terrain acquis à son ancien propriétaire, tandis que Barruel, de son côté, lui accorde le même droit de préemption au cas où il souhaiterait vendre d’autres terrains en bordure du canal, notamment si des acheteurs se présentaient pour y construire une autre fabrique. Une nouvelle société Mignot & Heppe est constituée en février suivant, au capital de 120.000 francs, apporté à parité par les deux associés, en nature (terrain) et en argent pour Mignot et uniquement en numéraire pour son beau-frère. Bien que les associés aient tous les deux la signature sociale, la gérance en est exclusivement confiée à Mignot à la fin de la construction de l’usine, chacun d’eux se voyant accorder une levée mensuelle de 250 francs. Ayant à faire face aux dépenses occasionnées par la construction du tissage, mais devant également avancer des capitaux pour établir le fonds de roulement de l’entreprise, Pierre Mignot n’a d’autre choix dans les mois qui suivent d’emprunter de l’argent, notamment à sa belle-famille : 40.000 francs à Laurent Heppe (remboursés en 1891 et 1892) et 25.000 francs à sa belle sœur, Clarisse Heppe. À partir de cette date, Laurent Heppe s’efface complètement au profit de Pierre Mignot, dans la direction de l’affaire, préférant vivre de ses rentes à Saint-Geoire 2986 . Pour assurer le succès de son entreprise, Mignot reçoit l’appui de Léon Permezel qui cherche à placer des métiers mécaniques Diederichs en Bas-Dauphiné, tissant à façon pour lui. Permezel est son principal client jusqu’en 1887. Puis la maison Durand frères prend la suite temporairement. Mais à partir de 1890, c’est une autre maison lyonnaise, Chevillard 2987 , qui progressivement prend de l’importance chez Pierre Mignot, au point de devenir son principal donneur d’ordres à partir de 1894. Mignot réalise alors plus des trois quarts de son chiffre d’affaires avec cette maison lyonnaise, dans la fabrication de tissus teints en pièces. En 1892, Chevillard dirige alors une société dont le capital atteint 1.300.000 francs, dont un million fourni par lui et le solde par ses deux associés, Cherblanc et Pommet, deux employés de commerce 2988 .

Notes
2982.

ADI, 3E29071, Contrat de mariage devant Me Tivollier (Voiron ) le 6 janvier 1838, 3E29110, Quittance devant Me Bourde-Bourdon (Voiron) le 25 août 1856.

2983.

SCHRAMBACH (A.), 1999.

2984.

APM, Congé de libération militaire du 31 décembre 1867.

2985.

ADI, 3E20312, Contrat de mariage devant Me Chevrier (Saint-Geoire ) le 19 mai 1867, 3E20321, Donation entre vifs devant Me Chevrier du 29 juin 1873, 3E20328, Donation entre vifs devant Me Chevrier du 11 juillet 1880.

2986.

ADI, 3E20330, Dissolution de société devant Me Chevrier le 1er juillet 1881, 3E20329, Vente et échange devant Me Chevrier le 11 octobre 1881 et vente chez le même notaire du 4 octobre 1881, 3Q25/173, Enregistrement d’un acte sous-seing privé du 22 novembre 1881, 3E20330, Acte de société devant Me Chevrier le 5 février 1882, Obligation chez le même notaire le 9 juillet 1887, 3E20331, Obligation devant le même notaire le 6 janvier 1883.

2987.

Fabricant de soieries, Edmond François-Marie Chevillard est né à Lyon le 29 avril 1842, d’un père arbitre de commerce. En 1867, il épouse Louise-Emilie Loeber , l’une des filles du gérant de la filature et du tissage Debar , de Bourgoin (la belle-mère de Chevillard appartient à une grande famille d’industriels et de notables, les Voisin), qui apporte en dot cinquante mille francs. Républicain convaincu, il poursuit en même temps que son activité de fabricant, une carrière politique dans sa ville natale. Conseiller municipal de Lyon, puis adjoint au maire à partir de 1880, il devient maire du Second arrondissement de Lyon. Ses fonctions politiques lui permettent de siéger au Bureau de bienfaisance de Lyon dès 1881 puis au Conseil d’administration des Hospices civils de Lyon cinq ans plus tard. Ses réussites politiques et industrielles lui valent d’être promu officier d’académie puis chevalier de la Légion d’Honneur en 1892. Ayant fait fortune, il est capable de doter richement sa fille unique lors de son mariage en 1889 (98.000 francs), avec le secrétaire général de la préfecture de la Corrèze. A sa mort, le 3 janvier 1899, il laisse une succession de 833.701 francs.

2988.

ADR, 6Up, Acte de société sous seing privé enregistré le 19 juillet 1892. En 1897, le capital est réduit à 1.100.000 francs par le retrait de Pommet.