C’est dans ce contexte particulier que la Chambre de Commerce de Lyon décide en 1882 de constituer une commission d’enquête composée de quatre membres, dont Adrien Gourd 3183 , et chargée d’étudier les systèmes d’enseignement à l’étranger, notamment en Allemagne et en Suisse.
Conscient d’être en retard, ou voulant expliquer le succès des fabriques étrangères, le rapport final préconise une transformation importante des différentes écoles lyonnaises. Parmi les suggestions avancées, on relève un projet d’université de l’industrie de la soie, rassemblant l’ensemble de la filière, c’est-à-dire la filature, le moulinage, le tissage, l’impression, l’apprêt, la teinture, les arts appliqués aux étoffes, la construction des métiers… grâce aux concours de l’Etat, de la Ville de Lyon , des Départements, des Chambres de Commerce ainsi que des industriels eux-mêmes. Ce vaste projet d’école intégrée ne fait que reprendre des principes déjà plus ou moins en place en Allemagne, et jadis suggérés par Natalis Rondot en 1858 et 1876, dans un projet qui associait un musée, des collections de matériaux, des cours, des conférences, des ateliers et des laboratoires.
En effet, vers 1883-1884, est inaugurée à Créfeld une nouvelle école de tissage, suscitant l’émoi de la place lyonnaise qui craint d’être prise de vitesse par leur concurrente d’outre-Rhin, d’autant que le nouvel établissement allemand est équipé de laboratoires de chimie, d’un cabinet de physique, d’un laboratoire de teinture et d’ateliers d’apprêts (ces deux dernières sections ouvertes à l’automne 1883), ainsi que d’une bibliothèque, un musée et une collection de tissus. On y délivre bien entendu des cours de tissage, mais aussi des cours de dessin, de mécanique, des cours sur l’étude des étoffes, sur le montage des machines, sur le calcul des prix de revient des tissus, des cours sur les moteurs, sur la filature, des exercices de forge et de menuiserie. Il est vrai qu’en la matière, Lyon fait pâle figure pour l’enseignement professionnel des ouvriers, puisque la première école de tissage de Créfeld remonte à 1855, avant d’être réorganisée en 1879 par l’Etat, qui procède à son agrandissement à grands frais (1.250.000 francs dépensés jusqu’en 1884), afin d’accueillir cent soixante-dix élèves au lieu de vingt et un auparavant. Quant aux frais d’entretien des élèves, ils sont assurés pour moitié par l’Etat, pour un quart par la Ville et le dernier quart par la Chambre de Commerce. La salle de tissage, forte de 782 m2 d’ateliers, comporte cent vingt machines dont cinquante-neuf métiers à tisser (trente-trois à bras et vingt-six mécaniques) 3184 .
Le centre rival de Zurich a, lui aussi, inauguré sa propre école de tissage de la soie en 1881, destinée à une quarantaine d’élèves par an 3185 .
Fabricant de soieries, Jean-Baptiste-André-François Gourd , dit Adrien, est né à Lyon le 25 septembre 1823. Il épouse au printemps 1859 Pauline-Adélaïde Roussel, dont la mère est une Saint-Olive, dont il a cinq enfants. En 1860, il s’associe avec Croizat et Dubost. Gourd prend seul la direction en 1870. À partir de cette date, il occupe une position de premier ordre sur la place. Comme les Treillard, Bellon et autre Girodon , il décide d’intégrer en 1860 un tissage à sa maison de soieries : il installe donc un tissage mécanique à Faverges (Savoie). Cela ne l’empêche pas de donner du travail à près de deux mille ouvrières à domicile. Bonapartiste et catholique pratiquant, il ne reçoit la Légion d’Honneur qu’en 1889. Comme tant de ses confrères, il suit le cursus honorum lyonnais classique : depuis 1859, il siège régulièrement au Conseil des Prud’hommes de Lyon dont il devient le vice-président en 1872, puis en 1871, il préside la Chambre syndicale de la Fabrique lyonnaise. En 1872, il intègre la Chambre de Commerce de Lyon, dont il est le secrétaire dans les années 1880. En 1884, après le départ de Jean-Baptiste Dubost, il poursuit sa société avec le fils Croizat, déjà promu associé depuis quelques années. Par son capital social, deux millions de francs, la maison Gourd & Croizat figure alors parmi les plus importantes de la Fabrique. Cependant, trois ans plus tard, Paul Croizat se retire de la société. Gourd en profite pour réduire le capital d’un quart de sa valeur et pour faire entrer son fils Henri, ainsi que Louis Payen et le directeur de son usine, Joannes Piron (gendre par ailleurs d’un façonnier de La Tour-du-Pin , Dévigne ). En 1891, les anciens associés, Croizat et Dubost, reviennent dans la société, tandis que le capital social est une nouvelle fois réduit : il s’élève désormais à un million de francs. Adrien Gourd décède à Lyon le 18 avril 1895 en laissant une succession d’environ deux millions de francs. Voir sa notice dans CAYEZ (P.) et CHASSAGNE (S.), 2007, pp. 181-184.
« Inauguration de l’école royale de tissage, teinture et apprêt de Créfeld », Bulletin des Soies et des Soieries, n°351, le 22 décembre 1883, « L’école de tissage de Créfeld », Bulletin des soies et des Soieries, n°354, le 12 janvier 1884, « Les dépositions des délégués lyonnais devant la commission d’enquête sur les industries d’art », Bulletin des Soies et des Soieries, n°361, le 1er mars 1884, « La nouvelle école de tissage de Créfeld », Le Moniteur du tissage mécanique des soieries, n°1, le 15 juillet 1885.
Compte rendu des travaux de la Chambre de Commerce de Lyon , année 1877, Lyon, Imprimerie du Salut public, 1878, pp. 207-209. Depuis 1854, la ville de Zurich dispose aussi d’une Ecole polytechnique fédérale.