4-Des efforts d’apprentissage.

Avant la Grande Guerre, il n’existe pas pour les ouvrières de système d’apprentissage uniforme. Il est laissé à l’appréciation de chaque entreprise.

Au début du XXe siècle, certains directeurs de tissages à Voiron n’embauchent que du personnel expérimenté. Chez d’autres, on accepte de rétribuer les apprenties à hauteur de cinquante centimes par jour. Une autre solution, sans doute la plus répandue, consiste, pour une apprentie, à payer une ouvrière chargée de lui enseigner les rudiments du métier. Ainsi, dans ses mémoires, Jeanne Bouvier rappelle que « la contremaîtresse [la] place sous la surveillance d’une ouvrière pour qu’elle [lui] montre les différentes opérations du dévidage de la soie », mais sans faire état d’une rétribution versée à l’ouvrière 3201 . En dehors du tissage, l’apprenti peut recevoir une prime de soixante centimes par jour. Dans de telles conditions, les apprentis se font de plus en plus rares 3202 . Quelles que soient les formules d’apprentissage adoptées, « elles permettent de ne détourner personne de sa tâche » 3203 . À l’instar de Lucie Baud, l’apprentissage débute généralement vers l’âge de douze ou treize ans 3204 . Chez Gustave Roux , à Jallieu , l’apprentissage des tisseurs est défini par un article du règlement d’atelier : l’apprentie est « confiée aux soins d’une bonne maîtresse chargée de la former, et qui lui fera donner un métier aussitôt qu’elle la jugera capable de le faire marcher ». L’apprentie reste encore sous la surveillance de l’ouvrière pendant le tissage de ses deux premières pièces, en échange de quoi, la première remet à la seconde la somme de dix francs (cinq francs par pièce) 3205 .

La période d’apprentissage qui n’excède jamais un mois, dure généralement une ou deux semaines. Les patrons du textile hésitent à payer un apprentissage en raison du fort turnoverqui caractérise leur main d’œuvre : pourquoi former des ouvrières, gaspiller du temps et de l’argent, si elle doit quitter les ateliers quelques semaines plus tard 3206  ?

À l’issue de leur premier congrès à l’automne 1912, les syndicats libres féminins de l’Isère décident de fonder à Voiron , rue des fabriques, une école professionnelle de la soie. Au printemps suivant, un programme de cours et un règlement sont rédigés et adressés aux industriels voironnais. Les organisateurs du nouvel établissement préconisent la gratuité des cours d’une durée d’au moins six semaines pour chaque élève et un examen pour sanctionner cette période d’apprentissage. En octobre 1913, l’école ouvre ses portes pour dix élèves, avec deux métiers à tisser Béridot fournis par Permezel , un pour la mousseline et le second pour le satin. En août 1914, vingt-trois apprenties ont été formées depuis l’ouverture dix mois plus tôt. Mais la Guerre interrompt l’expérience jusqu’en 1917. Dans le prolongement de cette école est créé en octobre 1913 un cours de préapprentissage au tissage à l’Ecole professionnelle de soierie de Voiron, avec un enseignement gratuit délivré le jeudi après-midi, pendant la journée de repos des jeunes filles. Pour y être admis, il faut avoir onze ans, être présentée par ses parents, par une école ou par un patronage, et enfin s’engager à appliquer le règlement de l’établissement. Ce préapprentissage est réservé aux élèves inscrites en dernière année à l’école. Mais ce cours n’attire que vingt-deux candidates 3207 .

Des écoles d’apprentissage peuvent être également créées dans les usines, comme c’est le cas au hameau industriel de Paviot (Voiron ) au lendemain du congrès des syndicats libres de 1912, sur l’initiative de la direction d’un tissage 3208 .

Enfin, les ouvrières ont à leur disposition des cours professionnels, souvent le soir, mais ils sont rares pour le tissage, hormis ceux organisés à Voiron , Dolomieu et à La Tour-du-Pin (raccommodage du tulle dans ces deux dernières communes) par les syndicats libres féminins. Le plus souvent, ce sont des cours de couture et des cours d’apprentissage de la ganterie.

Notes
3201.

BOUVIER (J.), 1983, p. 57.

3202.

ACV, 2F5, Enquête parlementaire, questionnaire imprimé, sd [1886], réponse d’un ouvrier anonyme.

3203.

LEQUIN (Y.), 1977, vol. 2, p. 8.

3204.

PERROT (M.), 1978b.

3205.

ADI, 9U360, Justice de Paix de Bourgoin , Règlement de l’usine Roux le 9 décembre 1878.

3206.

RATTO (M.) et GAUTIER (A.), 1983, sl, p. 53.

3207.

GUERRY (E.), 1921, pp. 127-131 et RATTO (M.) et GAUTIER (A.), 1983, pp. 53-59.

3208.

GUERRY (E.), 1921, p. 136.