La discipline dans les ateliers concerne d’abord les usines-pensionnats appartenant aux fabricants lyonnais. Les façonniers les imitent plus tardivement, surtout à partir de la crise industrielle des années 1880 qui a vu la disparition de plusieurs d’entre eux. Pour certains, le manque d’organisation et de discipline a accéléré les faillites. Les façonniers s’engagent donc dans un combat initié par le Syndicat du Tissage mécanique, la mise au pas du personnel.
Leur premier effort porte sur le respect des horaires et la limitation des mouvements à l’intérieur des ateliers. En 1881, les tisseuses de l’usine Alexandre Giraud & Cie des Abrets débutent leur journée de labeur à 5 heures du matin. Au total, en décomptant les deux pauses qui leur sont accordées, elles restent au moins 12h30 devant leurs machines, voire davantage 3382 . En 1890, les ouvrières de Veyre travaillent encore treize heures par jour. Elles entrent dans les ateliers à 5 heures du matin et n’en ressortent que le soir, à 19h30. Elles ont droit à une première pause de trente minutes à 8h, puis d’une heure à midi 3383 . Les façonniers réglementent plus strictement les horaires et les pauses en imposant des contraintes horaires précises. Comme beaucoup de confrères, ils cherchent à mieux contrôler l’assiduité de leurs ouvrières. Après le vote de la loi qui limite la journée de travail à dix heures, Joseph Mignot , à Saint-Bueil , cherche à rationaliser l’efficacité du travail dans son tissage mécanique : alors que la durée de la journée diminue d’une heure, Mignot souhaite interdire l’accès de la cuisine aux ouvrières pendant les heures de travail pour préparer leurs repas, espérant ainsi les fixer à leur poste et accroître les rendements des métiers à tisser. Un avis est placardé sur la grille de son usine pour prévenir le personnel. Aussitôt, tous les ouvriers, soit cent cinquante individus, réagissent en débrayant. Rapidement, les revendications ouvrières portent sur les salaires. Après une semaine de grève, les salariés du tissage Mignot obtiennent une hausse d’au moins 10% de leurs salaires, mais rien n’indique qui a gagné à propos des horaires 3384 .
Les rares règlements trouvés pour des tissages à façon remontent à la fin du XIXe siècle. Le tissage Roux, à Jallieu , en possède un dès décembre 1878. Joseph-Paulin Paillet , ancien directeur du moulinage Faidides devenu patron en 1879, en rédige un le 5 juin 1882 pour son tissage de Nivolas . En dix-neuf articles pour le premier et en une douzaine pour le second, les règlements mentionnent leurs exigences, commençant tous les deux par une phrase lapidaire :
‘« Tout ouvrier ou ouvrière de n’importe quel état travaillant dans les ateliers à la journée ou à ses pièces est tenu de se conformer au présent règlement » 3385 .’L’article le plus long du règlement concerne la durée du travail : le patron y précise la durée (onze heures) et les horaires quotidiens :
‘« La rentrée sera annoncée par la cloche 10 minutes à l’avance ; 5 minutes après l’heure sonnée, la porte sera fermée et l’ouvrier ou l’ouvrière qui se trouvera plus de 10 minutes en retard sera puni d’une retenue de 5 centimes par 5 minutes de retard. […] L’absence sans permission les jours de travail sera punie d’une retenue de 15 centimes par quart de journée d’absence » 3386 .’La cloche rythme désormais la vie des ateliers, pour limiter le va-et-vient des ouvriers 3387 .
Un autre article interdit les sorties à l’extérieur du tissage sans un bulletin visé par le bureau du patron. Paillet installe un concierge à l’entrée de son établissement chargé de surveiller avec vigilance les portes. Toujours dans le souci de réduire les temps morts, les moments de distraction, Paillet prohibe le tabac et la nourriture dans les ateliers, interdit les déplacements inutiles, les chants, les conversations et les cris, les rassemblements et les stationnements dans les cours. Les ouvriers n’ont pas le droit de se tenir à une fenêtre 3388 . Tout manquement est sanctionné par une amende, voire par un renvoi immédiat, « sans paiement de son dernier mois ». Enfin, Paillet, comme d’ailleurs ses confrères, insiste sur la propreté des ateliers. Avant de quitter l’usine le samedi, les ouvriers doivent nettoyer leurs postes sous la surveillance des contremaîtres. Le règlement du tissage Paillet reprend partiellement celui du tissage Roux. Celui-ci insiste davantage sur la propreté, la lutte contre le gaspillage et la qualité du travail. Alors que Paillet n’envisage qu’un seul montant d’amende, 25 centimes, Roux prévoit une gamme d’amendes coercitives allant jusqu’à 5 francs 3389 .
On assiste à une tentative de « disciplinarisation de la société rurale », réputée pour son agitation perpétuelle 3390 . L’affaire de Châteauvilain , en 1886, est là pour le rappeler. Les façonniers commencent à suivre les recommandations du Syndicat du Tissage mécanique, contre la trop grande liberté de mouvement dont jouissent les ouvriers. Mais ce processus ne concerne que les établissements les plus importants. Ce renforcement de la discipline dans les usines du Bas-Dauphiné est probablement à l’origine du projet de loi déposé par l’un des premiers députés socialistes en novembre 1898, Zevaes, élu… en Isère, visant à supprimer les amendes et à mieux encadrer la rédaction des règlements.
ADI, 162M12, Lettre ms de l’inspecteur du travail au Préfet de l’Isère le 8 août 1881.
ADI, 162M3, Procès-verbal de l’inspecteur du travail le 4 juin 1890.
ADI, 166M6, Rapport ms du brigadier Mollard le 2 avril 1902 et rapport final de la grève.
ADI, 9U360, Justice de Paix de Bourgoin , Règlement du tissage Paillet & Cie à Nivolas le 5 juin 1882.
ADI, 9U360, Justice de Paix de Bourgoin , Règlement du tissage Paillet & Cie à Nivolas le 5 juin 1882.
LE GOFF (J.), 1985, p. 30.
Voir LE GOFF (J.), 1985, pp. 29-31.
ADI, 9U360, Justice de Paix de Bourgoin , Règlement de l’usine Roux, le 9 décembre 1878. Voir les analyses de MELUCCI (A.),
LE GOFF (J.), 1985, p. 31.