Chapitre 13-Les façonniers, sociologie d’un groupe.

Dans la seconde moitié du siècle, on assiste à la formation d’une bourgeoisie textile, c’est-à-dire « une classe en cours d’ascension », qui cherche à se définir par rapport au patriciat, les négociants en toiles à Voiron et surtout les fabricants de soieries à Lyon 3568 . Le groupe des tisseurs à façon apparaît dans la seconde moitié du XIXe siècle. Il existe grâce à la volonté des fabricants de soieries d’avoir une armée de travailleurs zélés, prenant en charge les risques industriels. Les façonniers se construisent donc une identité en relation avec celle de leurs donneurs d’ordres, soit par mimétisme, soit par réaction.

Les façonniers ne forment pas un groupe social homogène. Ceux qui possèdent moins d’une cinquantaine de métiers à tisser appartiennent incontestablement à la petite bourgeoisie 3569 . Les principaux façonniers ressemblent davantage aux « parvenus normands [qu’] au patriciat d’Alsace ou aux dynasties du Nord » 3570 . Les contours de ce groupe s’avèrent particulièrement flous : certains (les moins importants et les fondateurs d’entreprises) travaillent souvent avec leurs ouvriers dans les ateliers, tandis que d’autres se contentent de diriger leurs affaires depuis leur bureau. Parfois, rien ne distingue matériellement et financièrement le façonnier d’un ouvrier, alors que d’autres affichent une éclatante prospérité. Les uns possèdent une masure et quelques métiers à tisser vétustes, d’autres habitent un château et ont su organiser un tissage mécanique à grands frais 3571 . Les plus importants peuvent facilement être reliés au patronat, mais pour les plus modestes, les frontières avec le monde ouvrier et l’artisanat sont perméables 3572 . De même, pour quelques uns, les frontières avec l’univers des fabricants lyonnais sont assez perméables.

Quels sont les attributs des façonniers ? En quoi se démarquent-ils ou imitent-ils les fabricants de soieries ? Comment parviennent-ils à exercer une influence locale et régionale ?

Malgré leurs différences, les façonniers ont en commun la volonté d’afficher leur réussite aux yeux de leurs contemporains. Pourtant, ils éprouvent de grandes difficultés pour s’affirmer, notamment devant leurs donneurs d’ordres, les fabricants de soieries. Finalement, les façonniers forment un groupe assez fragile, qui se renouvelle régulièrement.

Notes
3568.

Sur la notion de bourgeoisie textile voir FOHLEN (C.), 1956, p. 75.

3569.

Si l’on se réfère à la définition que donne HAUPT (H.-G.), 1996.

3570.

CHALINE (J.-P.), 1985.

3571.

MOTTEZ (B.), 1966, pp. 28-29.

3572.

JUDET (P.), 2004, p. 187.