1-Le prestige économique.

À leur niveau, les façonniers font figure d’hommes nouveaux 3577 , partis de rien, mais ayant réussi grâce à leur volonté et à leur travail. À quelques exceptions près, ils n’accèdent jamais à des fonctions élevées. Antoine Giraud accède à la Chambre de Commerce de Grenoble à la fin du siècle, mais il a hérité de l’entreprise de son beau-père. Le constat est le même pour Théophile II Diederichs qui cumule le capital social et économique hérité de son père, Théophile I Diederichs , et de son beau-père, Louis-Emile Perrégaux . Théophile II Diederichs a durant sa vie une réputation d’avarice et de rapacité auprès de sa propre famille. Vivant tantôt à Lyon , tantôt à Bourgoin , menant de front la direction des entreprises familiales dans les deux cités, siégeant à la prestigieuse Chambre de Commerce de Lyon (1909-1919) 3578 , présidant les destinées des automobiles Pilain (1911-1918) 3579 , de l’Association de la Fabrique lyonnaise (1906-1908) et des Hospices Civils de Lyon (1914-1919), il passe pour être immensément riche aux yeux du commun et de sa famille. Pourtant, à sa mort, sa fortune dépasse péniblement les 160.000 francs (francs 1900) 3580 , alors que celle de son père, sous évaluée, dépassait les 800.000 francs. Cela ne l’empêche pas d’être à la fin de sa vie considéré comme un puissant et riche notable, ayant bien réussi.

L’accession d’un Louis-Emile Perrégaux ou d’un Brunet-Lecomte à la Chambre de Commerce de Vienne repose partiellement sur une logique générationnelle. La remarque est également valable pour André Michal-Ladichère . Grâce à l’importante carrière politique, locale et nationale, de son oncle Alexandre, avocat et sénateur, il parvient rapidement à cumuler des fonctions prestigieuses dans le département. Finalement, le seul façonnier à s’élever aussi à ce niveau par ses propres moyens est le Voironnais Philippe Blachot . Même un Théophile I Diederichs , pourtant présenté comme le self made man par excellence, doit se contenter de fonctions locales : il échoue à la députation et se contente de diriger la municipalité de Jallieu . Professionnellement, il préside le Syndicat des Propriétaires de machines à vapeur et occupe aussi des fonctions importantes dans le Syndicat du Tissage Mécanique, mais ces associations forment des groupes de pressions secondaires par rapport à ceux des fabricants de soieries. Pour un fondateur d’entreprise, la consécration sociale est tardive, car il doit d’abord bâtir son affaire et assurer son développement, avant de se lancer à la conquête de titres et de fonctions plus ou moins honorifiques. Autrement dit, partant d’un point de départ plus bas, ils doivent construire leur carrière en franchissant diverses étapes, parfois longues, alors que leurs héritiers bénéficient déjà d’un solide capital social qui leur permet d’accéder plus rapidement à d’autres fonctions. Le patronat voironnais n’a pas eu le temps de pérenniser ses affaires. Dès la génération des fondateurs (sauf pour Pochoy), les entreprises disparaissent. Les entrepreneurs voironnais se sont surtout consacrés, leur vie durant, à construire et à consolider leurs affaires, avant de pouvoir s’intéresser à d’autres activités, alors qu’ils ne disposent pas forcément d’un capital scolaire et social suffisant pour affronter les fabricants lyonnais.

La faiblesse des réseaux et de l’influence des façonniers prend peut-être sa source dans les difficultés qu’ils rencontrent pour pérenniser leurs entreprises et maintenir le statut social de leurs familles. Les héritiers sont rares pour reprendre à leur compte le capital social accumulé à la génération précédente.

Notes
3577.

Voir CHARLE (C.), 2006, pp. 172-179.

3578.

Il en devient le secrétaire (1911-1913) puis le trésorier (1914-1918) et de nouveau le secrétaire (1918-1919).

3579.

Voir ANGLERAUD (B.) et PELLISSIER (C.), 2003, p. 158, ROJON (J.), 1996a, pp. 88-89. Fondée en 1901, la société des Automobiles Pilain augmente son capital en 1903 : Théophile II Diederichs et son frère Frédéric souscrivent pour cent trente-sept actions sur les mille six cents proposées. En décembre 1907, Théophile II et quatre autres actionnaires prennent en main la société en difficulté. Une nouvelle augmentation de capital en 1911 lui permet d’accéder à la présidence de la société. En 1911-1912, elle réalise un chiffre d’affaires de 3.500.000 francs. En 1918, Théophile II organise la vente de l’actif de la société à Hotchkiss.

3580.

Etude notariale Coste et Cornier (Bourgoin -Jallieu ), Partage de succession du 17 septembre 1929 devant Me Jacquemet (Bourgoin).