L’influence limitée du capitalisme textile.

Certes, dans les années 1870 et au début des années 1880, le patriciat textile voironnais investit volontiers ses capitaux dans d’autres activités, et plus particulièrement dans l’autre grande industrie locale, la papeterie, mais la disparition de ces façonniers marque la fin de cette tentative.

En examinant l’Annuaire des valeurs régionales du Dauphiné et des Savoies, de 1919, ou son concurrent, l’Annuaire des valeurs régionales publié par la Banque du Dauphiné, 1919-1920, quelle n’est pas notre surprise de n’y retrouver parmi les nombreux administrateurs des sociétés régionales aucun façonnier ; les banquiers, les industriels de la houille blanche et de la papeterie, et autres ingénieurs civils dominent les conseils d’administration, raflant la majorité des sièges. La plupart des hommes d’affaires sont des Grenoblois. Ainsi en 1919, aucun industriel voironnais ne siège au conseil d’administration de la Société d’énergie électrique de Grenoble et de Voiron , fondée en 1900, ni de la Compagnie pour l’éclairage au Gaz des villes de Voiron-Moirans , ni de la Société Hydro-électrique de Fure et Morge et de Vizille , fondée en 1899. Certes, Alexis II Vial , l’un des associés de la maison de toiles Villard , Castelbon & Vial a été administrateur de cette dernière affaire, mais à sa mort en 1910, il n’a pas été remplacé par un Voironnais. De même, la modeste Société rivoise d’éclairage électrique n’a pas su attirer en son sein des industriels du textile, pas plus que la S.A. des Papeteries de Voiron et des Gorges. Cependant, la famille Arnaud, principale actionnaire de cette dernière entreprise, est apparentée aux Allegret, fabricants de toiles à Voiron, qui, entre-temps, ont dirigé les Papeteries de Renage dont ils étaient actionnaires.

Mêmes les façonniers les plus importants, comme les Diederichs, les Michal-Ladichère ou encore les Couturier, demeurent à l’écart du grand bouleversement qui affecte le capitalisme dauphinois pendant les années 1900-1940 avec l’émergence de la houille blanche. Certes, Georges Donat , façonnier à Corbelin , et André Michal-Ladichère siègent au conseil d’administration des tissages Camille Brun & fils, une société anonyme stéphanoise au capital d’un million de francs, spécialisée dans la fabrication de rubans, au tournant du siècle 3603 . Seule exception, Philippe Blachot siège au conseil d’administration d’une modeste entreprise de ce secteur en forte croissance qu’est la houille blanche, la Société Hydro-électrique du Grand-Buech, constituée durant l’été 1918, avec un capital ne dépassant pas les 160.000 francs, et dont l’objet consiste en l’aménagement de chutes d’eau sur les torrents du Lunel, dans la Drôme, et du Grand-Buech dans les Hautes-Alpes. Aucune des grandes figures du monde des affaires grenoblois de l’époque ne figure dans ce conseil 3604 . Lors de la transformation de leur entreprise en société en commandite par actions, la famille Michal-Ladichère ne choisit pas les membres du conseil de surveillance parmi des confrères ou des fabricants lyonnais. En 1919, il se compose du banquier Georges Charpenay, promu président, de Paul Desarbres, apparenté à la famille Couturier et dirigeant des papeteries Montgolfier de Charavines , et de Victor Faure-Durif, domicilié à Marseille. Le même Charpenay préside également le conseil d’administration des Ets Ruby de Voiron .

Adeptes de l’énergie hydraulique, puis de la machine à vapeur, les façonniers se désintéressent du boom de l’industrie gazière. N’ayant plus de capitaux disponibles, les façonniers voironnais, couverts de dettes, ne participent pas à la transformation de la société de gaz locale en une société anonyme au printemps 1883. Rassemblant les usines à gaz de Voiron , construite en 1844, et de Moirans , née en 1880, la nouvelle société dispose d’un capital de 300.000 francs, divisé en six mille actions. L’ingénieur civil Rodolphe Genin, originaire de Jallieu , n’a pas réussi à convaincre le patronat local à le suivre 3605 . Pourtant, Lyon fait figure, à l’époque, de principal foyer de l’industrie gazière autour d’Emile Vautier 3606 et de Rodolphe Genin 3607 . Ce dernier, il faut le souligner, est originaire de Jallieu, où sa famille possède un vaste château. Pour bâtir sa fortune, il ne s’est pas appuyé sur les industriels du Bas-Dauphiné. Lorsque Charles Morra, un ingénieur civil parisien, entreprend de constituer une société anonyme du Gaz de Tullins 3608 , il s’appuie sur des commanditaires lyonnais. Parmi les souscripteurs des 100.000 francs du capital, ne figure ni la famille Baratin qui exploite un tissage dans la ville, ni les façonniers voironnais.

Louis Couturier, l’un des fils d’Alphonse, est administrateur des Papeteries de Renage , dirigée par Henri Thouvard, tandis que l’un des gendres de Jean-Marie Brun , Constant Blachot , est administrateur délégué des Papeteries de Voiron et des Gorges, une société anonyme au capital de 1.500.000 francs (anciennement Guérimand). Louis Vial (sans lien de parenté avec Alexis), le gendre de Philippe Blachot, siège, pour sa part, au conseil d’administration de la S.A. de Construction de Voiron (capital de 650.000 francs). Paradoxalement, il semble que les fabricants de toiles de Voiron ont mieux réussi à s’intégrer au grand capitalisme régional.

Un seul tissage est répertorié par la banque Charpenay dans son annuaire, les Ets Bonvallet , une modeste société anonyme dont le capital n’est que de 600.000 francs, fondée en 1898 par Romain Bonvallet, un ancien employé de soieries, et établie à Saint-Etienne-de-Saint-Geoirs , avec un second tissage à Brezins. Trois des cinq administrateurs résident à Paris 3609 .

Notes
3603.

Bulletin des Soies et des Soieries, n° 1135, du 4 février 1899.

3604.

Annuaire des valeurs régionales publié par la Banque du Dauphiné, 1919-1920, Grenoble, Imprimerie Joseph Allier, 1920-1921, p. 49.

3605.

ADI, 9U3153, Justice de paix de Voiron , Acte de société devant Me Chardenet le 13 avril 1882. Parmi les principaux actionnaires, on retrouve des protestants, comme les drapiers Morin, de Dieulefit, ou Loeber , l’ancien gérant de la filature de coton de La Grive .

3606.

Voir sa notice dans CAYEZ (P.) et CHASSAGNE (S.), 2007, pp. 279-282.

3607.

CAYEZ (P.), 1980, pp. 258-260.

3608.

ADR, 6UP, Acte de société et liste des souscripteurs devant Me Renoux, à Lyon , les 24 et 28 mars 1877.

3609.

Banque G. Charpenay & Cie, Annuaire des valeurs régionales du Dauphiné et des Savoies, Grenoble, imprimerie Baratier, 1919, p. 362.