Peu d’intérêt pour les sociétés scientifiques.

Les façonniers, largement occupés à diriger leurs usines, n’accordent que peu de temps à des distractions mondaines ou sociales : on ne les retrouve ni à l’Académie delphinale, ni à la Société de Statistique et de Science Naturelle de l’Isère, les deux principales sociétés savantes du département, ni dans aucune autre.

Les sociétés savantes sont généralement fréquentées par les membres des professions libérales (médecins, avocats, notaires), les magistrats, les universitaires, les militaires, quelques érudits et quelques notables, mais rarement par les hommes d’affaires. Seuls les Blanchet , de Rives , et quelques rares entrepreneurs grenoblois (Nicolet ou Vidil par exemple) rejoignent de telles sociétés savantes. Là encore, pour beaucoup de façonniers, ce genre de sociabilité ne fait pas partie de leur éducation : ce sont des hommes d’affaires, des techniciens, avant d’être des hommes de culture. Cela ne signifie pas pour autant qu’ils n’aient pas de vie mondaine. En revanche, les industriels du papier font davantage figure d’entrepreneurs éclairés, puisque l’on retrouve volontiers les Blanchet de Rives dans les principales sociétés savantes du département. Leurs confrères papetiers Victor Barjon, de Moirans , Alfred Peyron, de Vizille , Orioli de Pontcharra, Camille Breton et Rochas de Pont-de-Claix et De Villaine de Rioupéroux, ou encore quatre membres de la famille Kléber de Rives, investissent en force la Société de Statistique en 1873. Bergès les y a précédés l’année précédente 3698 . Mais on ne trouve aucun façonnier en soieries. L’archéologie, l’Antiquité, la médecine, l’astronomie ou encore la minéralogie, régulièrement abordées à la Société de Statistique, ne font donc pas partie de leurs centres d’intérêt.

En revanche, quelques négociants en toiles de Voiron interviennent dans ces sociétés, Denantes ou Géry à l’Académie Delphinale comme membres associés ou Alexis II Vial à la Société de Statistique comme membre à part entière à partir de 1876. Dans la première moitié du XIXe siècle, la bonne société voironnaise aime se retrouver à l’occasion de bals. Mais Jules Monnet-Daiguenoire , lui-même participant à ses réceptions, en relève la quasi-disparition dans la seconde moitié du siècle, alors même que quelques capitaines d’industrie (Lafuma , Pochoy…) batissent de splendides villas à Voiron.

Ce sont d’ailleurs les mêmes hommes que l’on retrouve au sein de la Société des Touristes du Dauphiné, fondée pour l’étude des Alpes. Bien que composée majoritairement de personnalités voironnaises (Roux, directeur du Crédit Lyonnais, les toiliers Denantes et Faige-Blanc, Allard du Plantier…) et grenobloises (Camille Breton, Nicollet, Marquis de Marcieu…) issus de la « moyenne bourgeoisie conquérante », les façonniers du textile n’y sont pas nombreux en 1875, à l’exception de Victor Pochoy et de son cousin Honoré Bruny . Un quart de siècle plus tard, en 1898, alors qu’elle vient d’être reconnue d’utilité publique, cette même société rassemble toute la bonne société grenobloise, autour des cimentiers Merceron-Vicat, Pelloux, Viallet ou Thouvard, des papetiers Aristide Bergès, Berthollet, Breton, Blanchet et Kléber et des mécaniciens Brenier et Bouchayer 3699 . Seuls Louis-Emile Perrégaux et Claude Ogier participent à cette prestigieuse société 3700 .

Au contraire, les fabricants lyonnais s’inscrivent plus volontiers dans des sociétés savantes ou artistiques, où ils se côtoient nombreux, renforçant ainsi la cohésion de leur groupe. À la Société des Amis des Arts de Lyon , fondée en 1836 et chargée d’organiser chaque année le Salon de Lyon, Arlès-Dufour rencontre Gindre ou Yéméniz, deux fabricants de soieries, ou le banquier Galline, le teinturier Guimet… bref autant d’occasions pour échanger quelques mots sur les œuvres et les artistes exposés et en vogue, que de discuter affaires au détour d’une exposition 3701 .

Notes
3698.

Bulletin de la Société de Statistique, de Science Naturelles et des Arts Industriels du département de l’Isère, année 1873, 3e série, tome 5, p. 259 et 423-424 (séance du 14 juillet 1873).

3699.

Voir par exemple SMITH (R. J.), 1996.

3700.

ADI, 99M3, Liste imprimée des adhérents, le 26 mai 1875 et ACV, L209/98 DOC, Copie d'un rapport imprimé annuel, 1898 et LEJEUNE (D.), 1988. En 1875, parmi les autres membres, on retrouve également les frères lyonnais Henri, Emile et Léonce Baboin, Augustin et Paul Blanchet , Eugène Charrière des forges d’Allevard, ainsi que plusieurs membres de la famille Kléber, de Rives .

3701.

FONTAINES (G.), 2003, p. 26.