Six cantons de l’Isère sur quarante-cinq rejettent le plébiscite de 1870, tous situés dans le Bas-Dauphiné soyeux. Cependant, les cantons où la noblesse conserve une forte influence (Morestel , Crémieu, Virieu, Le Grand-Lemps ) votent en faveur du régime 3716 . Aux élections de 1876, la candidature du marquis de Quinsonnas échoue devant celle du candidat républicain, Edouard Marion qui obtient 65% des suffrages sur l’ensemble de la circonscription, mais seulement 53% à Bourgoin . Paradoxalement, Quinsonnas, représentant de la vieille noblesse terrienne du Dauphiné, réalise ses meilleurs scores en ville grâce à l’action de son agent, Pierri , alors qu’il est en partie désavoué dans les campagnes. Lors de ces élections, tout le département bascule dans le camp républicain 3717 . Les élections législatives et cantonales de 1877 scellent définitivement l’échec politique des élites conservatrices en Bas-Dauphiné dans les instances les plus importantes. Toutefois, monarchistes et bonapartistes obtiennent leurs meilleurs scores, dans le dernier quart du XIXe siècle, en Bas-Dauphiné, alors que Grenoble et les montagnes les rejettent 3718 .
Certes, les plus conservateurs (voire monarchistes) tentent brièvement de s’organiser et de s’affirmer en Isère en participant à la fondation d’un journal, Le Courrier du Dauphiné, par le Vicomte Dugon. À feuilleter la liste des souscripteurs, il se dégage l’impression de lire le bottin mondain local : plus des trois quarts appartiennent à la noblesse (Neyrieu, Franclieu, Dauphin de Vernas, Vaulserre, Quinsonnas , Monteynard, Meffray , Murinais, de Leusse, Ferrier de Montal…). Toutes les vieilles familles du Dauphiné semblent s’être données rendez-vous pour participer à cette aventure. Quelques patrons s’engagent à leurs côtés : évidemment les papetiers Blanchet , de Rives , réputés pour leur conservatisme, mais aussi le façonnier Ernest Constantin de Chanay , Louis Chomer, le fils du fabricant lyonnais, le fabricant Lupin. On retrouve quelques Voironnais influents, appartenant le plus souvent à l’ancienne bourgeoisie locale, proche des milieux légitimistes et catholiques 3719 : le banquier Daiguenoire (de la banque Rambeaud frères), Hector Denantes (futur associé de Jules Tivollier ) et le papetier Aloïs Ducrest (marié à une Lafuma ) 3720 .
Façonniers |
Maire | Autres mandats |
BelinAimé | Saint-Jean-de-Bournay | Conseiller d’arrondissement (Vienne) |
BellenFrançois | Chimilin | |
Brun Jean-Marie | Coublevie | |
Brunet-Lecomte Henry | Jallieu | |
Couturier Joseph | Bévenais | |
Couturier Louis | Bévenais | |
Couturier Régis | Charavines | |
Diederichs Théophile I | Jallieu | |
Diederichs Charles | Jallieu | Conseiller général (Bourgoin) |
DonatGeorges | Corbelin | |
Favier Séraphin | Voiron | |
Giraud Antoine | Moirans | |
Martin Séraphin | Moirans | |
Michal-Ladichère André | Saint-Geoire | Conseiller général (Saint-Geoire) |
Michal-Ladichère Henri | Saint-Geoire | Conseiller général (Saint-Geoire) |
Mignot Pierre | Saint-Bueil | |
Moyroud Pierre-Joseph | Vinay | Conseiller général (Vinay) |
Perrégaux Louis Emile | Jallieu | Conseiller d’arrondissement (La Tour du Pin) |
Veyre Gustave | Saint-Bueil | |
VignalJules | Saint-Antoine |
Au mieux, peut-on espérer retrouver les façonniers au Conseil général de l’Isère. Mais il faut bien constater une certaine sous-représentation de l’industrie soyeuse : principal employeur du département, elle n’a jamais plus de deux conseillers généraux issus de ses rangs (Alexandre Michal-Ladichère , l’oncle d’André, et Moyroud dans les années 1870). Au niveau national, tant en 1848 qu’en 1870, les milieux d’affaires sont sous-représentés dans les conseils généraux 3721 . En Isère, la main d’œuvre est très majoritairement féminine et les électeurs exclusivement masculins. Pendant plus de cinquante ans, le seul relais politique des façonniers au conseil général, est la famille Michal-Ladichère, solidement implantée dans son fief de Saint-Geoire 3722 . Favier, conforté dans son fauteuil de maire de Voiron depuis un an déjà, et soutenu par les conservateurs de la cité, brigue en 1880 le siège de conseiller général, mais il échoue contre le conseiller sortant, Rémy Gaston, un médecin 3723 . Alors que son entreprise n’a pas dix années d’existence, Pierre-Joseph Moyroud est déjà maire de Vinay , chef-lieu de canton, et conseiller général.
Ayant besoin d’un prêt bancaire en 1912, Joseph Mignot sollicite Dubost, un ancien ami de son père, devenu entre-temps sénateur de l’Isère et surtout président de la Haute assemblée, se rappelant à cette occasion à son bon souvenir, pour qu’il intervienne en sa faveur. Mignot mentionne à Dubost leur ami commun, l’incontournable André Michal-Ladichère . Il adresse une lettre quasi identique au Président du Comité Républicain du Commerce et de l’Industrie, auquel il adhère d’ailleurs depuis sept ans 3724 .
Au contraire, dans la seconde moitié du XIXe siècle, les fabricants de liqueurs ou les papetiers sont au moins aussi nombreux, sinon plus, à siéger à l’assemblée départementale 3725 . Malgré le caractère massif et dominant du tissage de soieries, les communes du Bas-Dauphiné ne sont pas aux mains des façonniers, contrairement au Faucigny contrôlé par les horlogers 3726 . Les tissages emploient une main d’œuvre en état de minorité civile et civique : des enfants et des femmes. Les électeurs, des hommes, n’ont donc qu’un intérêt secondaire à soutenir les façonniers. La fragilité financière des façonniers entraîne des purges régulières au sein de leur groupe. Or l’investissement politique repose sur la stabilité et la durée.
Les milieux d’affaires locaux affichent des opinions politiques diverses. Le camp républicain semble séduire le plus grand nombre, sauf à Voiron , dans la seconde moitié du XIXe siècle. Alexandre Michal-Ladichère s’affiche comme un farouche opposant au régime de Napoléon III. À Jallieu , les républicains s’organisent autour des industriels protestants, Louis-Emile Perrégaux et Théophile Diederichs. Fils d’un manufacturier orléaniste, Perrégaux siège au conseil municipal de Jallieu dès 1852. L’associé de son père et futur rival en affaires, Henry Brunet-Lecomte , un conservateur catholique, obtient le fauteuil de maire en 1860, jusqu’à la chute de l’Empire. En 1875, Perrégaux, républicain et libéral, devient maire à son tour, mais les autorités départementales prennent soin de lui donner deux adjoints conservateurs. Révoqué à l’automne 1877 pour avoir manifesté ostensiblement son opposition au candidat de l’Ordre, Baboin, lors des élections législatives, il retrouve néanmoins son fauteuil quelques mois plus tard 3727 . Après Louis-Emile Perrégaux entre 1874 et 1879, c’est au tour de son associé, Théophile I Diederichs , d’occuper le fauteuil de maire entre 1884 et 1900, puis de Charles Diederichs entre 1908 et 1919 3728 . En 1900, une élection partielle est organisée. Tenté de se représenter au suffrage de ses concitoyens, Charles Diederichs préfère renoncer à obtenir l’investiture du camp radical 3729 . Dans la cité voisine, Bourgoin , c’est leur cousin Auguste Diederichs qui représente la famille au conseil municipal, mais comme simple conseiller 3730 . En janvier 1908, Joseph Mignot , le fils de Pierre, adhère ainsi au Comité républicain.
Les façonniers préfèrent les mandats locaux, et plus particulièrement les conseils municipaux, qui leur permettent d’asseoir leur emprise sur un village ou un bourg. Ainsi, à Moirans , entre mars 1848 et 1852, Antoine Genin et Maurice Bouvard , jeunes façonniers en soieries, siègent au conseil municipal, le premier comme adjoint au maire. Puis entre 1865 et 1869, Séraphin Martin , le gendre de Genin, occupe le poste de maire. Nommé à la chute du régime impérial, en septembre 1870, Martin, ainsi que Bouvard, réintègrent le conseil municipal de Moirans. Martin occupe même le poste de premier adjoint de 1871 à 1873 puis de 1877 à 1881. Il retrouve son fauteuil de maire en 1888, avant de démissionner le 21 novembre 1895. Il quitte définitivement le conseil municipal au printemps 1897. Son confrère, Antoine Giraud , gendre de Bouvard, est son bras droit à la mairie entre 1884 et 1896, date à laquelle il fait office de maire pendant quelques mois 3731 .
Vers 1910, Louis Couturier, à la tête de trois tissages de soieries, tente d’entrer au Conseil d’arrondissement, soutenu par le camp libéral. Son frère, Régis, lui aussi patron d’un tissage à Charavines , le dissuade de se lancer dans une campagne contre son ami Hugonnard, chef de file du camp républicain 3732 .
BARRAL (P.), 1952.
BOREL (T.), 1988, pp. 148-149 et 243, FAURE (L.), 1992, p. 126.
BARRAL (P.), 1962, pp. 390-401. M. de Menon, riche propriétaire à Saint-Savin , tente en vain de se faire élire dans le canton de Bourgoin en 1870 ; Le comte de Monts essaye lui aussi en 1877 dans le canton de La Côte-Saint-André. Au Grand-Lemps , le marquis de Virieu, déjà conseiller général entre 1861 et 1877, perd son siège contre Romain Favre, le maire du Grand-Lemps. Dans le canton de Saint-Etienne-de-Saint-Geoirs , Berger de la Villardière tente sa chance en 1889 et en 1892.
Sur les relations entre la bourgeoisie catholique et le légitimisme, voir KALE (S. D.), 1992.
ADI, 11U421, Feuille de présence de l’Assemblée générale des actionnaires du 30 mars 1882 et MONTCLOS (X. de), 2005, p. 71.
GIRARD (L.), PROST (A.) et GOSSEZ (R.), 1967, pp. 46-48. Les milieux d’affaires forment en moyenne 15% des conseils généraux français.
BARRAL (P.), 1962.
BRICHET (E.), 1901, p. 95.
APM, Lettres ms (brouillon) de Joseph Mignot à Dubost le 5 décembre 1912 et à Mascurand le même jour.
BRICHET (E.), 1901, pp. 53-95. Banquier : Jean-Pierre Pierri (canton de Bourgoin , 1871-1877), Augustin Berlioz (canton de Pont-de-Beauvoisin , 1833-1859), Papetier/Cartonnier : Pierre Pascal (canton de Bourgoin, 1877-1895), Victor Blanchet (canton de Rives , 1833-1854), Léonce Blanchet (canton de Rives, 1854-1868), Alphonse Kléber (canton de Rives, 1868-1871), Emile de Montgolfier (canton de Virieu, 1885-1898), Félix Peyron (canton de Vizille , élu en 1862), Liquoriste/Brasseur : Camille Rocher (canton de La Côte-Saint-André, 1871-1877), Auguste Dutruc (canton du Grand-Lemps , élu en 1901), Félix Poulat (canton de Grenoble-Est, 1888-1896), Paul Mistral (canton de Grenoble-Est, élu en 1901), Félix Bigallet (canton de Virieu, élu en 1898), Cimentier : Joseph Arnaud (canton de Grenoble-Est, 1852-1866), Jean-Thomas Vendre (canton de Grenoble-Est, 1866-1870)… Sur les conseillers généraux, voir GIRARD (L.), PROST (A.) et GOSSEZ (R.), 1967.
JUDET (P.), 2004, p. 193.
BOREL (T.), 1988, p. 205.
Charles Diederichs créé en 1901, au décès de son père, un prix Théophile Diederichs père décerné par l’Association fraternelle des anciens élèves du Collège de Bourgoin . Charles échoue en 1904 dans sa tentative de conquête de la mairie de Jallieu .
FAURE (L.), 1992, pp. 145-147.
Cette tentative de cumul des mandats électifs n’est pas sans rappeler celle des Schneider au Creusot, par exemple, mais les Diederichs ne parviennent pas jusqu’à la députation. Voir OFFERLE (M.), 1995.
LAROCHE (P.), 1992, pp. 479-483.
ADI, 162M13, Dossier de Légion d’Honneur de Louis Couturier, Lettre ms du sous-préfet de La Tour-du-Pin du 7 février 1927.