Une faible représentation consulaire.

Les façonniers du Bas-Dauphiné sont ballottés entre plusieurs Chambres de Commerce, mais aucune ne peut – ou ne veut – s’investir activement en leur faveur. Les façonniers en soieries contrôlent certes les deux Chambres Consultatives des Arts et Manufactures de Bourgoin et de Voiron , mais ces institutions n’ont qu’une influence limitée.

À Voiron , la Chambre Consultative sert d’abord les négociants en toiles : en 1830, sur les six membres qui la composent, quatre (Denantes, Rambeaud, Vial et Géry) sont des négociants en toiles, pour un papetier (Frachon) et un maître de forges (Jacolin ). Les comptes-rendus sont révélateurs des préoccupations et de l’activité de cette institution. Le premier façonnier en soieries à y siéger est Joseph I Guinet, l’ancien directeur de la fabrique Flandin , élu le 5 février 1848. Mais cette élection ne change pas le rapport de force puisque quatre négociants toiliers dominent l’assemblée (Bonnard, Rambeaud, Denantes, Géry). Un an plus tard, le 18 février 1849, on procède à une large modification dans la composition de la Chambre à l’occasion de l’installation des nouveaux membres élus le 3 décembre précédent : les membres sont entièrement renouvelés et leur nombre est doublé. Désormais, il n’y a plus que deux négociants en toiles sans grande envergure, Casimir Jacquemet et Jean-Baptiste Bally. Les Denantes, Rambeaud, Vial et autres Allégret en sont exclus. En revanche, les papetiers et les métallurgistes font une entrée en force avec Joseph-André Bret , Victor Jacolin, Claude-Joseph Périnel, Frachon-Dugas, Jean-Baptiste Lafuma , Alexandre Kléber 3790 , auxquels on peut ajouter Victor Sestier, influent maître de scieries de Saint-Pierre-de-Chartreuse. Claude Brun défend les intérêts des liquoristes. Finalement, les façonniers, certes encore en nombre relativement restreint dans le pays, ne sont représentés que par un seul individu, Désiré Sebelon, le directeur de la fabrique Montessuy & Chomer de Renage , et Victor Pochoy, qui est encore fabricant de cierges 3791 .

Dès le début du Second Empire, les négociants en toiles reprennent l’ascendant sur la Chambre avec le retour des Denantes , Rambeaud, Géry et Landru. Les fabricants de soieries sont désormais représentés par Michel Bouvard (Moirans ). Ce n’est qu’après 1860 que la soie supplante progressivement le chanvre à la Chambre avec les arrivées de Florentin Poncet (1861), de Joseph I Guinet (1862). Après sept années d’interruption, la Chambre se réunit de nouveau à partir de 1873 : désormais une « règle des quatre quarts » prévaut : trois négociants en toiles, trois fabricants de soieries, trois fabricants de papiers et trois membres appartenant à diverses activités. Ce nouvel équilibre minore pourtant le poids des soieries dans l’activité économique locale. Dès ce moment, l’activité de la Chambre est relativement réduite (une ou deux sessions par an à la portée limitée). Elle ne se substitue en rien à une véritable Chambre de Commerce. Ses avis sont rares et sans grand intérêt. Malgré la présence de grands industriels comme Guérimand, Révollier, ou Ronjat, elle n’a plus qu’une influence ridicule. Vers 1900, Martin, un façonnier de Moirans, y défend les intérêts de ses confrères, avec Honoré Bruny et Léon Béridot. La Chambre Consultative des Arts et Manufactures de Bourgoin pèse aussi de peu de poids : à la fin du siècle, Théophile I Diederichs et son ancien associé, Louis-Emile Perrégaux , contrôlent l’assemblée. Perrégaux et son ancien rival Michel Brunet-Lecomte décèdent au début du nouveau siècle, et sont remplacés respectivement par Crozier , un fabricant lyonnais de velours, propriétaire d’un tissage à Tignieu , et par un fils Brunet-Lecomte 3792 .

D’ailleurs, les façonniers voironnais ne s’y trompent pas. Ils lui préfèrent d’autres intermédiaires pour se faire entendre. N’ont-ils pas constitué une Chambre Syndicale Voironnaise du Tissage de la Soie ? À la fin de l’année 1905, celle-ci, réunie sous la présidence de Louis Ruby , un ancien fabricant de soieries, souhaite réanimer la Chambre Consultative et demande sa transformation en Chambre de Commerce dont la circonscription rassemblerait les cantons des arrondissements de La Tour-du-Pin et de Saint-Marcellin , les cantons de Saint-Laurent-du-Pont, Saint-Jean-de-Bournay , Beaurepaire, La Cote-Saint-André, Roybon, et Voiron :

‘« […] Tout en rendant hommage à la haute compétence de la Chambre de Commerce de Grenoble, et sans méconnaître la haute autorité de la Chambre de Commerce de Lyon , qui représente plus particulièrement les transactions sur la matière première, et le côté spéculatif de l’industrie de la soie ; la création de l’assemblée que nous sollicitons, correspondrait à la représentation plus sincère et plus immédiate des intérêts ouvriers et patronaux en ce qui concerne la production. […] À l’appui de sa demande, la chambre syndicale fait observer qu’une chambre de commerce constituée avec les cantons sus-indiqués sera composée en grande majorité, pour la bonne répartition des intérêts, d’industriels appartenant à l’industrie du tissage de la soie, et que sans négliger les intérêts des autres industries, soit connexes, soit étrangères, elle apportera un soin et une compétence tout à fait spéciale, dans les questions touchant de près, non seulement à la prospérité, mais à l’existence même de cette grande industrie nationale qui constitue le gagne pain de la grande majorité de la population ouvrière du département » 3793 .’

Un tel projet ne peut que susciter l’animosité et l’hostilité des Chambres de Commerce de Lyon et Grenoble ; la première verrait son autorité sur la Fabrique lyonnaise sérieusement compromise par la création de ce contre-pouvoir aux mains des façonniers, tandis que la seconde serait amputée de plus de la moitié de sa circonscription. En revanche, du point de vue des façonniers locaux, cette requête ne fait que traduire une réalité économique et sociale. Forts du modèle de la Chambre de Commerce de Lyon, ils savent qu’une telle institution peut leur donner un contrepoids sérieux face aux fabricants lyonnais. Mais cette doléance n’aboutit pas.

À Lyon , les façonniers n’ont pas de représentant jusqu’à l’élection de Théophile II Diederichs en 1908, mais qui siège comme fabricant de soieries. À l’automne 1899, Isaac, président de la Chambre de Commerce de Lyon participe à la création de l’Assemblée des présidents de Chambre de Commerce nouvellement fondée, afin de défendre les intérêts lyonnais, et surtout ceux des fabricants de soieries touchés par la montée de la concurrence étrangère et des pressions protectionnistes 3794 . De plus, les façonniers, ne se trouvant pas dans sa circonscription, ne peuvent espérer une aide totale. Théophile II Diederichs ne peut pas défendre correctement les intérêts des façonniers : ne possède-t-il pas sa propre maison de soieries à Lyon (ce qui justifie son élection) ? Cela le rapproche davantage des soyeux lyonnais. Même parmi les façonniers, il fait figure d’exception par la taille de son entreprise : plus de mille ouvrières tissent dans ses usines, alors qu’une majorité de façonniers a moins de cent ouvrières.

À Grenoble, la Chambre de Commerce n’est guère plus intéressée par le sort des façonniers : elle est contrôlée par les industriels du papier, de la construction mécanique et de la houille blanche, comme Emile Kléber , Marius Viallet, Casimir Brenier. Les industriels de la soie n’occupent qu’un siège sur la douzaine que compte la Chambre. Pochoy de Voiron , puis Antoine Giraud de Moirans (jusqu’à son départ en novembre 1906 en raison de la liquidation de ses affaires) et Philippe Blachot , de Voiron, s’y succèdent 3795 .

À Vienne, la situation est à peine meilleure : on y défend en priorité les intérêts de la draperie. Louis-Emile Perrégaux est pendant les années 1860 et 1870 le seul façonnier en soieries à être membre de la Chambre. Henry Brunet-Lecomte puis son fils Michel ou Victor Auger y siègent au début des années 1880, mais ils ne parviennent à se faire élire qu’au prix d’âpres négociations. Ainsi, pour les élections de 1873, il est convenu que trois sièges reviennent à des industriels de l’arrondissement de La Tour-du-Pin (l’indienneur Brunet-Lecomte, le sucrier Camichel et le cartonnier Pascal), cependant, au premier tour, les électeurs viennois ne retiennent que deux noms, obligeant les patrons du Bas-Dauphiné à se plaindre ouvertement du mauvais sort qui leur est réservé 3796 . Finalement, les trois hommes d’affaires obtiennent gain de cause, tandis que Louis-Emile Perrégaux est battu 3797 . En 1882 et en 1883, Michel Brunet-Lecomte devient même vice-président de la Chambre. Auger occupe la fonction pendant trois mandats, entre 1889 et 1898. Brunet-Lecomte prend alors sa suite. À la fin du siècle, les façonniers sont finalement mieux représentés à l’assemblée consulaire viennoise avec la présence de Louis-Emile Perrégaux, Michel Brunet-Lecomte et de Victor Auger 3798 . Mais ces trois hommes, déjà âgés, sont déjà retirés des affaires ou en voie de le faire, et décèdent au début du siècle. En 1904, Charles Diederichs se fait élire à la Chambre de Commerce de Vienne (son frère aîné rejoint celle de Lyon quatre ans plus tard). Lors du renouvellement de 1904, il est le seul représentant de l’industrie de la soie à se faire élire – et encore, il dirige les ateliers de construction mécaniques Diederichs – alors que les Viennois envoient trois des leurs à la nouvelle assemblée. La situation empire pour les façonniers en soieries, à Vienne, car lors du renouvellement de 1902, aucun d’entre eux n’était parvenu à se faire élire. Auger, récemment décédé, a été remplacé par un ancien liquoriste, Neyret 3799 .

Notes
3790.

Fabricant de papier, de confession protestante, Jacques-François-Alexandre Kléber est né à Voiron le 14 juillet 1817. Il épouse Emilie-Sophie Bouniols, qui lui donne deux enfants, dont Emile. Alphonse Kléber, maire de Rives , siège également au conseil général de l’Isère entre 1868 et 1871, succédant à son associé en affaires, Léonce Blanchet. Grâce à sa position sociale, il devient chevalier de la Légion d’Honneur. Il décède à Rives le 6 janvier 1892 en laissant une fortune estimée à 1.123.765 francs, dont 85% investis dans la firme familiale, Blanchet frères & Kléber. Son frère Gaston, également chevalier de la Légion d’Honneur, est marié à Hélène-Marthe Poupart de Neuflize.

3791.

ACV, 2F13, Registre de délibérations de la Chambre Consultative des Arts et Manufactures de Voiron , séance du 18 février 1849.

3792.

ADI, 155M11, Avis de la presse pour les élection de 1904.

3793.

ACV, 2F3, Pétition ms de Louis Ruby , Président de la Chambre Syndicale Voironnaise du Tissage de la Soie, adressée au Ministre du Commerce et de l’Industrie, sd [1906].

3794.

LACOMBRADE (P.), 2002.

3795.

ADI, 7868W2, Compte-rendus imprimés de la Chambre de Commerce de Grenoble, Imprimerie Allier, Grenoble.

3796.

ADI, 155M2, Procès-verbal de nomination et élection des membres de la Chambre de Commerce de Vienne, le 8 décembre 1864, AMBJ, Fonds Brunet-Lecomte, Registre de lettres, Lettre ms d’Auguste Ferrier du 19 février 1873 et 180M1, Compte-rendu de la Chambre de Commerce de Vienne, 1877-1883, Vienne, E.J. Savigné imprimeur éditeur, 1885, 152 p.

3797.

ADI, 155M16, Procès-verbal de l’élection du 28 février 1873.

3798.

ADI, 155M11, Lettre ms du Président de la Chambre de Commerce de Vienne au Préfet de l’Isère le 24 septembre 1898. En 1898, le banquier Jean-Pierre Pierri et le cartonnier Pierre Pascal siègent à la Chambre de Commerce de Vienne au titre de répresentant de l’arrondissement de La Tour-du-Pin . Bargillat , ancien façonnier de La Tour-du-Pin reconverti dans la banque, y siège aussi à partir de 1896.

3799.

ADI, 155M11, Avis pour la presse pour les élections de 1902.