L’absence de relais politiques nationaux.

En matière politique, on constate l’absence d’un véritable groupe de pression solidement organisé : les moyens d’influence sont encore largement fondés sur les réseaux familiaux et professionnels, dans le cadre de dîners informels, de visites privées, de correspondances, de liens personnels 3814

Tout au long du XIXe siècle, les fabricants disposent de relais à Paris pour défendre leurs intérêts 3815 . Ils commencent à organiser la défense de leurs intérêts de façon systématique. À Lyon , les fabricants peuvent compter sur Aynard 3816 à la Chambre basse, ou sur un Bouffier 3817 au Sénat, dont les intérêts personnels coïncident avec ceux de la Fabrique. Edouard Aynard et Auguste Isaac , successivement présidents de la Chambre de Commerce de Lyon, dirigent la Fédération républicaine 3818 . Il est évident qu’il existe une collusion très forte entre les milieux d’affaires de la Fabrique lyonnaise et les partis politiques au tournant du siècle, mais les façonniers n’en sont pas les premiers bénéficiaires.

Le fabricant de soieries le plus puissant de la place lyonnaise dans le dernier quart du XIXe siècle, Léon Permezel , gravite parmi les réseaux d’influence libéraux à Paris , au même titre qu’Aynard ou Auguste Isaac 3819 , puisqu’il participe au comité de rédaction de l’hebdomadaire Le Monde économique aux côtés de Léon Say ou d’Agénor Bardoux. D’ailleurs, Permezel prononce plusieurs discours devant la très libérale Société d’Economie Politique de Lyon , au même titre que le député Aynard. Quant à son confrère Auguste Sévène , lui aussi fabricant de soieries et président de la Chambre de Commerce de Lyon, il siège au conseil d’administration de l’Economiste français, dirigé par Paul Leroy-Beaulieu 3820 .

Tableau 81-Mandats électoraux des fabricants lyonnais.
Fabricants
maire Autres mandats
Baboin Henri   Député de l’Isère (1869-1870), conseiller général de l’Isère
BardonAntoine Pérouges (Ain)  
Bérard Ernest 3821   Député du Rhône
Bouffier Albert André Lyon 6e Président du Conseil général du Rhône, sénateur
BrossetJoseph Rillieux (Ain) Conseiller général du Rhône
ChevillardEdmond Lyon 2e Adjoint au maire de Lyon
Devay Auguste 3822   Conseiller municipal de Lyon
Durand Pierre-Eugène   Conseiller général de l’Ardèche
Isaac Auguste   Député du Rhône, ministre du Commerce
Lamy Jean-Antoine   Adjoint au maire du 1er arrondissement
Poncet Claude Lyon 5e  
PravazHippolyte   Conseiller général de la Savoie

En Isère, hormis Alexandre Michal-Ladichère 3823 (oncle d’André et d’Henri-Victor) dans les années 1870, les façonniers ne disposent pas de relais politiques très puissants pour se faire entendre au niveau national. Les façonniers du Bas-Dauphiné n’ayant pas les positions de fortune des grands patrons nordistes, alsaciens ou même lyonnais, ni de pied-à-terre parisien, ne peuvent pas s’intégrer dans les réseaux parlementaires nationaux susceptibles de défendre leurs intérêts au sommet de l’Etat. Ils ne côtoient ni grands notables, ni avocats ou publicistes parisiens de renom 3824 . Au mieux, ils peuvent prétendre à des mandats locaux et à exercer une influence au niveau départemental. Le plus proche d’eux est sans doute Henri Baboin , un fabricant de tulles, gendre de l’industriel papetier Blanchet , député de la région de Rives à la fin du Second Empire. Baboin appartient à la tendance conservatrice.

Les Diederichs essaient, en vain, de briguer la députation. En 1885, Théophile I Diederichs figure sur la liste d’Union républicaine et recueille vingt mille deux cent quarante-neuf voix à l’élection législative, ce qui le classe en vingtième position au niveau départemental et entraîne son désistement au second tour, malgré son versement de 2.000 francs au comité républicain. En vue des élections de 1889, il participe financièrement à hauteur de 5.000 francs au renflouement d’un journal, Le Réveil du Dauphiné, mais devant la candidature du député sortant, Bovier-Lapierre, il préfère renoncer à se présenter 3825 . En 1898, Charles Diederichs , son fils, se présente lui aussi à une élection législative comme républicain modéré, mais il est battu par le radical Bovier-Lapierre. Pierre-Joseph Moyroud , maire et conseiller général de Vinay , possède dix actions du Républicain de l’Isère, instrument précieux de son ascension politique rapide 3826 .

Notes
3814.

GARRIGUES (J.), 2006, p. 81.

3815.

BERNARD (M.),1998, DUBOS (J.), 2003. Voir par exemple MICHELON (S.), 1999.

3816.

GENESTE (S.), 2004.

3817.

Dictionnaire et Album biographique, Rhône. Fabricant de tulles, Albert-André Bouffier naît à Pont-de-Beauvoisin (Isère) le 13 août 1835, d’un père docteur en médecine, formé par la faculté de médecine de Paris . Sa famille occupe alors une position confortable de ce petit bourg frontalier, puisque son grand-père maternel y dirige le bureau de poste. Bouffier est l’associé d’Hippolyte Pravaz , son cousin, également originaire de Pont-de-Beauvoisin (la mère de Bouffier se nomme Gabrielle Pravaz) dans une importante maison fabricant des tissus de crêpes, ayant une usine à Lyon , rue Duguesclin. Depuis 1881, comme en 1898, le capital de la société Hte Pravaz & Bouffier, devenue Bouffier & Pravaz fils par le décès de son principal associé, est d’un million de francs. À Lyon, il participe aux réseaux politiques des opportunistes, d’abord au conseil municipal de Lyon au lendemain du Quatre-Septembre, puis comme maire du VIe arrondissement de Lyon et 1er adjoint au Maire de la ville (1881-1890). Enfin, il se fait élire conseiller général du Rhône et devient président de l’assemblée départementale en 1893, puis sénateur inscrit au groupe de l’Union Républicaine (1897-1909). Il préside à Lyon le Cercle républicain pendant les années 1880. Chevalier de la Légion d’honneur et officier d’académie, il a fondé l’école du service de santé militaire de Lyon. Il décède à Nice le 15 décembre 1913.

3818.

BERNARD (M.),1998.

3819.

LADOUS (R.), 1992.

3820.

GARRIGUES (J.), 1997, pp. 98, 234, 356, BERNARD (M.), 1998 et 2004. Parmi les membres des cercles libéraux lyonnais, on relève la présence de quelques grandes figures des milieux d’affaires locaux, tel Ulysse Pila, Joseph Gillet…

3821.

Fabricant de soieries, Ernest Bérard est né en 1829. Il débute sa carrière comme dessinateur avant de se mettre à son compte. Il est élu député du Rhône entre 1889 et 1898. Son fils Alexandre, franc-maçon notoire, poursuit également une carrière politique après avoir entamé une carrière dans la magistrature. Alexandre Bérard devient député de l’Ain en 1893 puis éphémère ministre, avant de rejoindre les bancs du Sénat en 1908.

3822.

Fabricant de soieries, Auguste Devay est né vers 1855. Après des études au Lycée de Lyon , il intègre rapidement la maison Brunet-Lecomte & Devillaine. Conseiller municipal de Lyon, il est aussi administrateur de la Caisse d’épargne et du Dispensaire général. En 1908, après le retrait de la famille Brunet-Lecomte, Devay reste seul associé avec Adrien-François Paule . En 1911, leur affaire est transformée en société anonyme. Devay décède le 4 mai 1917.

3823.

BOURLOTON (E.), COUGNY (G.) et ROBERT (A.), 1889-1891.

3824.

LE BÉGUEC (G.), 2003.

3825.

APJD, Lettres ms du Comité républicain à Diederichs, les 27 septembre et 6 octobre 1885, du député Durand-Savoyat du 12 avril 1888, télégramme du 29 septembre, BARRAL (P.), 1962, p. 551.

3826.

ADI, 3Q39/240, Mutation par décès du 6 octobre 1881.