Positionnement et problématique

Pour porter un jugement sur la performance des services publics de transport collectif urbain, il est fondamental d’en comprendre les processus technologiques de production et de formation des coûts. Et pour discuter les équilibres de ce marché, il tout aussi important de connaître les préférences des usagers et des autorités publiques, leurs fonctions de demande de mobilité. Par conséquent, un grand nombre de travaux d’étude et de recherche de la transportation science ont pour objet l’optimisation de l’offre de transport ou l’amélioration de la compréhension des demandes.

Mais une autre manière d’aborder la question de la performance, est de se concentrer sur le comportement des acteurs de ce marché réglementé, en considérant qu’il leur revient de mettre en œuvre les outils d’optimisation de l’offre et de connaissance de la demande. Dans cette perspective, il ne s’agit plus de qualifier la production optimale, mais de mettre en évidence les mécanismes permettant d’orienter les comportements.

Cette seconde perspective, retenue par de nombreux économistes, amène notamment à relâcher les hypothèses de bienveillance, d'omniscience et d'omnipotence des agents publics. Elle met aussi l’accent sur le comportement de l’entreprise prestataire. En effet, la recherche de l'optimum d'un système technique n’a de sens que si les agents en responsabilité souhaitent réellement atteindre cet objectif, ou que ceux qui souhaitent l’atteindre disposent de l’information et des capacités nécessaires. La performance des transports collectifs urbains est donc aussi celle des choix institutionnels, réglementaires et contractuels encadrant l’action publique et orientant le comportement des acteurs privés.

Nous supposerons dans cette recherche que les difficultés des transports collectifs urbains évoquées au début de cette introduction ne sont pas de nature technologique. Nous prenons le parti de traiter exclusivement l’organisation de ces transports et la régulation du monopole, sa gouvernance, à la suite de plusieurs autres thèses ayant été produites sur ce même thème (Christie 1992, Gagnepain 1998, Yvrande 2002 et Lévêque 2005). Le projet thématique de cette thèse est l’identification des modes de gouvernance pouvant favoriser l’émergence de meilleures performances dans la fourniture des services publics de transport urbain. Il s’agit de réunir et d’appliquer aux transports urbains, les questionnements relatifs aux mesures de la performance des services publics d’une part, et ceux portant sur la gouvernance (réglementation et contractualisation principalement) des marchés « défaillants » d’autre part.

En termes de résultats et d’originalité, les meilleurs chapitres de cette thèse sont les deux derniers. Nous y avons évalué, à partir de données originales (cf. Encadré 1), les principaux enjeux du choix du mode de gouvernance d’un exploitant (Chapitre 3) et la perspective de la gouvernance simultanée de plusieurs exploitants (Chapitre 4).

Les principaux résultats du Chapitre 4 sont rassemblés dans un article en cours de soumission 16 . Ceux du Chapitre 3 ont fait l’objet d’une publication dans la JTEP 17 . En outre, les questions relatives aux investissements, qui ne sont eux pas développées dans cette thèse, ont aussi fait l’objet d’une récente publication 18 .

Encadré 1 : Les données « originales » utilisées
Base de données des « cahiers verts »
Sous la direction du Groupement Autorité Organisatrices de Transport (Gart), de l’Union des Transports Publics (UTP, syndicat des entreprises de transport urbain) et du Centre d’Etude et de Recherche sur les Transports et l’Urbanisme (Certu, service du Ministère de l’Equipement), une enquête annuelle est réalisée sur la base d’un questionnaire appelé « cahiers verts ». Les données sont rassemblées localement par les Centres d’Etude Technique de l’Equipement (Cété, services du Ministère) et gérées par le Certu (Jacques Salager & Thierry Gouin), qui a bien voulu nous les transmettre en 2003.
Sur la période 1995-2002, 165 réseaux de transport urbain de Province ont répondu correctement à l’enquête dite des « cahiers verts », commanditée par le Gart, l’UTP et le Certu (cf. Annexe 1, p.356). Nous en exploitons les 196 principales variables (620 variables sont au moins partiellement disponibles), dont les caractéristiques sont présentés à l’Annexe 2.
Base de contrats
En complément, nous avons bénéficié d’une base de 95 contrats de délégations 19 , fournie par le Certu (Lila Kechi), dont la liste est fournit à l’Annexe 3.

Le premier chapitre discute les dispositions de la convention collective du secteur, sur la base de la théorie de la réglementation (Stigler). Une comparaison des conditions de rémunération avec celles des transports interurbains, secteur technologiquement proche mais relevant d’une autre convention collective, met en évidence un écart salarial d’environ 25% à tous les niveaux de qualification. Pour expliquer cet écart, nous montrons que les employeurs peuvent faire financer les augmentations de salaire par le contribuable grâce à diverses clauses contractuelles. La faille identifiée implique que les pouvoirs publics assument en partie les conséquences des négociations sur la répartition de la valeur ajoutée entre salariés et employeurs.

L’objectif du deuxième chapitre est de dresser un état des lieux des principes généraux de la gouvernance des transports urbains, de mettre en perspective l’organisation institutionnelle, et d’analyser le positionnement stratégique des acteurs (autorités organisatrices et exploitants). L’enjeu central est la compréhension et l’analyse des choix de gouvernance des autorités organisatrices. Dans ce but, nous proposons un cadre d’analyse théorique des choix de gouvernance, en particulier des régimes de propriété et des types de contrats.

Le troisième chapitre soumet à l’épreuve des faits certaines propositions théoriques du deuxième chapitre, celles qui concernent l’impact des modes de gouvernance sur l’efficience productive des opérateurs. La perspective choisie est l’étude de la productivité des exploitants en fonction du régime de propriété de l’exploitant (régie, SEM ou entreprise) et/ou du type de contrat (cost-plus, fixed-price partiel ou fixed-price total). Une frontière de production stochastique sur données de panel (modèle de Battese & Coelli 1993, 1995) est estimée. Les résultats corroborent les effets mis en évidence par la théorie des contrats, tout en allant plus loin que la distinction entre cost-plus et fixed-price puisque les choix de gouvernance testés sont plus nombreux (trois régimes de propriété et trois types de contrat de délégation).

Le quatrième chapitre se termine par une estimation économétrique de la fonction de coût des transports urbains français. Cette fonction de coût sur données de panel nous permet de mettre en évidence les limites des économies d’échelle et d’envergure du secteur. Par conséquent, il semble que le manque de candidatures aux appels d’offres pourrait être endigué par une diminution de la taille des lots (allotissement). Pour l’essentiel, il semble que les activités de bus et de métro-tramway pourraient faire l’objet d’appels d’offres séparés. Pour les villes au-delà de 200 000 habitants, les réseaux de bus pourraient aussi être découpés en plusieurs lots comme à Londres ou en Scandinavie. En début de chapitre, les défaillances des procédures d’appel d’offres pratiquées en France sont discutées.

Notes
16.

Croissant Y. & Roy W. (2007), « Improving urban transport performances by tendering lots : an econometric estimation of natural monopoly frontiers », 11 th World Conference on Transportation Research, Berkeley, 24-26 juin 2007.

17.

Roy W. & Yvrande-Billon A. (2007), « Ownership, Contractual Practices and Technical Efficiency: The Case of Urban Public Transport in France », Journal of Transport Economics and Policy, 41(2), pp. 257-282.

18.

Bonnafous A., Jensen P. & Roy W. (2006), « Le co-financement usagercontribuable et le partenariat public-privé changent les termes de l’évaluation des programmes d’investissement public », Economie & Prévision, n° 175-176 2006/4-5.

19.

Nous ne disposons ni des cahiers des charges ni des annexes des contrats.