1.1.2.1 L’offre de réglementation

A priori, les premiers offreurs de réglementation sont les décideurs politiques. Or, Peltzman (1993) constate que les acteurs politiques ne sont pas précisément identifiés dans les travaux de Stigler. Ce dernier ne précise pas qui sont les offreurs de réglementation. Aucune distinction n’est faite entre le législateur (élus), les hauts fonctionnaires ou les régulateurs. Stigler semble supposer implicitement qu’il existe suffisamment de points communs entre ces types d’acteurs publics pour les assimiler, ou tout au moins que les processus administratifs et politiques de décision n’ont pas besoin d’être développés pour théoriser la réglementation.

Stigler (1971) identifie tout de même deux fondamentaux de la rationalité politique, qui la différencie d’une rationalité dans l’allocation des ressources. D’une part, la rationalité politique est la résultante d’une doctrine. A ce titre, elle est construite par un rapport de force politique. Les objectifs poursuivis par le réglementeur ne peuvent pas, en toute hypothèse, être identifiés aux objectifs normatifs de l’économie bien-être. Et d’autre part, l’exercice du pouvoir politique se traduit un ensemble d’actes décisionnels très concrets qui, selon Stigler, oscillent entre la grande moralité (Droits de l’Homme…) et la vulgaire vénalité (satisfaction de son intérêt individuel). Ces quelques remarques suffisent à Stigler pour rejeter le postulat selon lequel les décisions politiques peuvent être modélisées par les critères normatifs de la rationalité économique.

Posner (1974) ajoute deux limites concernant la capacité du réglementeur à orienter la réglementation vers l’intérêt collectif. Quand bien même le réglementeur souhaiterait allouer les ressources de manière optimale, deux contraintes fortes limitent sa propension à atteindre cet objectif :

  • La production législative nécessite d’importantes phases de négociations. Les coûts des transactions augmentant très rapidement avec le nombre de parties prenantes, le législateur peut éprouver le besoin de déléguer une partie de son travail en recourant à un régulateur plus ou moins indépendant. Or le contrôle que le législateur exerce sur son régulateur s’atténue à mesure qu’il lui délègue plus de travail, que celui-ci se bureaucratise et que le législateur s’intéresse à d’autres problèmes. Cette observation conduit Posner (1974) à penser que la supervision des régulateurs est de moins en moins effective dans le temps, que l’efficacité de la régulation déléguée est faible à long terme.
  •  De nombreuses tâches sont confiées aux régulateurs, et certaines ne sont pas réalisables d’un point de vue pratique. Par exemple, la fixation des prix nécessite des instruments de mesure et de contrôle des coûts qui n’existent pas forcément. « The agencies are asked to do the impossible and it is not surprising that they fail » (p.339). Posner (1974) pense qu’il n’existe pas systématiquement d’instruments fiables et à coût raisonnable pour réguler les marchés. Dans ce cas, l’évaluation des objectifs et la correction des comportements est évidemment impossible. Reste à comprendre pourquoi le législateur assigne aux régulateurs de tels missions irréalisables, ce que Posner ne développe pas.

La double critique de Posner n’est pas sans rappeler, plus généralement, les difficultés que peut rencontrer le régulateur en situation d’asymétrie d’information. Laffont & Tirole (1991) développent à ce sujet une analyse des organisations et des réglementations en termes de théorie de l’agence et d’asymétries d’information, dans le but de traiter le problème des groupes d’intérêt et de la capture. Le modèle qu’ils présentent permet de mettre en évidence certains fondements des défaillances de la réglementation. En l’occurrence, Laffont & Tirole (1991) montrent le rôle des asymétries d’information en tant que limite du contrôle du législateur sur les agences de régulation d’une part, et en tant que limite du contrôle des régulateurs sur les groupes d’intérêt d’autre part.

Le coût de production de la réglementation n’est donc pas nul, car la production législative mobilise les ressources du réglementeur et des groupes d’intérêt. Mais surtout la réglementation qui favorise un groupe particulier est coûteuse pour les autres. La limite principale dans le processus politique de réglementation, tel qu’il est envisagé par les théoriciens de la réglementation, est la charge morte (deadweight loss). L’augmentation des prix entame le surplus des consommateurs, qui sont aussi électeurs. On peut toutefois penser que cette perte est assez faible (Harberger 1954), comparée à ce que coûte un monopole qui peut se permettre d’avoir des coûts élevés.