1.1.2.3 L’équilibre du marché de la réglementation : la protection du producteur

L’équilibre du modèle de Stigler sur le marché politique est caractérisé par la cohésion d’une minorité taxant la majorité diffuse (Peltzman 1993). Cette vision débouche sur la mise en évidence de l’importance des groupes d’intérêt.

L’une des conclusions redondante dans cette littérature est que l’intérêt des producteurs tend à dominer celui des consommateurs (Peltzman 1976, 1993). Le résultat typique est l’avantage dont bénéficie l’intérêt cohésif du producteur sur les intérêts diffus des consommateurs. Stigler (1971) lui-même défend l’idée selon laquelle la réglementation bénéficie d’abord aux producteurs du secteur 51 , qu’elle est principalement élaborée et mise en œuvre dans leur intérêt.

Jordan (1972) met en avant trois propositions résumant les effets de la réglementation. Il s’agit en fait des trois équilibres possibles :

La protection du ou des producteurs a pour effet de maintenir ou d’augmenter les prix, d’accroître les profits ou de limiter les entrées sur le marché. Jordan (1972) distingue les effets selon que la structure « naturelle » de marché est un monopole ou un oligopole. Sur la base d’un survey des études empiriques sur le sujet, il émet de sérieux doutes sur la capacité des réglementations à réduire le pouvoir des monopoles naturels. Ses conclusions sont encore plus critiques concernant les marchés structurés par un oligopole, et en particulier concernant le transport aérien, le transport ferroviaire et le transport routier de marchandises. Il y voit une concentration des marchés et des bénéfices en direction des producteurs plutôt que des consommateurs 52 . Pour Jordan (1972), la réglementation est un instrument puissant de redistribution par la protection du producteur.

L’élément déterminant l’impact réel d’une réglementation est, selon lui, le « travestissement » du régulateur (perversion hypothesis). La réglementation est caractérisée par le niveau auquel les « réglementés » sont protégés à la place des consommateurs.

Cependant, bien que la configuration la plus répandue soit un important gain marginal de la réglementation pour un faible nombre de grandes firmes, les mécanismes fondamentaux de la théorie de la réglementation ne permettent pas de rejeter la possibilité d’une capture de la réglementation par d’autres petits groupes homogènes, influents et fortement impliqués dans une réglementation particulière. Par exemple, alors même que le Code des marchés publics est réputé objectif (transparence, jeu de la concurrence...), son article 53-4 exprime assez nettement la priorité accordée a priori à certains groupes d’acteurs : « Lors de la passation d'un marché, un droit de préférence est attribué, à égalité de prix ou à équivalence d'offres, à l'offre présentée par une société coopérative ouvrière de production, par un groupement de producteurs agricoles, par un artisan, une société coopérative d'artisans ou par une société coopérative d'artistes ou par un atelier protégé ». En effet, il ne s’agit pas ici d’accorder une priorité aux PME à la manière de ce qu’identifie Morand (2002) dans le droit états-unien, car les préférences européennes et françaises en la matière se sont orientées vers l’allotissement (cf. Chapitre 4) et des groupements de PME (GIE).

Notes
51.

Le cas développé par Stigler (1971) est celui des quotas d’importation de pétrole.

52.

« The essential thrust [of the evidences] has been consistent with implications derived from the producer-protection hypothesis » (p.174 Jordan 1972)