1.2.1.2 Le financement public des jours de grève

La lecture des contrats de délégation laisse apparaître que le coût des jours de grève est à la charge des collectivités dans la totalité des cas. Plus exactement, nous n’avons pas connaissance de contrats stipulant qu’une grève nationale est à la charge de l’opérateur. Comme le montre l’échantillon du Tableau 1, la grève nationale est systématiquement associée aux cas de force majeure dans les contrats de délégation. Les grève locales sont traitées de la même manière, à quelques rares exceptions près. Le contrat d’Aix-les-Bains propose par exemple d’amputer la rémunération de l’exploitant d’environ 60% si l’interruption du service n’est pas du à un mot d’ordre local.

Les coûts encourus pour les services non effectués pour cause de grève sont donc à la charge de l’AO. Plus précisément, les dépenses engagées par les AO pour faire assurer provisoirement les services prévus ne sont pas réclamées aux exploitants, et les subventions qu’ils perçoivent ne sont pas affectées par ce non-respect des services contractuellement fixés. Pour les élus locaux, le coût d’une grève est donc important en termes d’image, mais ils doivent aussi faire assumer budgétairement à l’agglomération le service public non réalisé et sa compensation.

Tableau 1 : Obligations et paiements des coûts lors d’une période de grève
Réseaux Période Dispositions contractuelles de la convention de délégation
AUXERRE
(SNC, Transdev)
1988 - 1997 ARTICLE 7 « (…) L'Exploitant, en cas d'interruption de service non motivée par la force majeure ou la grève, supporte la charge supplémentaire de toutes les dépenses engagées par l'Autorité Organisatrice pour pallier cette interruption. »
ANGOULEME
(SEM)
1988-1997 ARTICLE 6 « (…) Le prestataire de services est tenu d'assurer la continuité des services quelles que soient les circonstances, sauf cas de force majeure ou de grève ; en dehors de ces cas, il supporte la charge de toutes les dépenses engagées par l'autorité organisatrice pour assurer provisoirement les services. »
ARLES
(SA, Kéolis)
1992 -2002 ARTICLE 6 « (…) Le Transporteur est tenu d'assurer la continuité des services définis au cahier des charges, quelles que soient les circonstances, sauf cas de force majeure ou de grève ; (…) en dehors de ces cas, il supporte toutes les dépenses engagées par l'Autorité organisatrice pour faire assurer provisoirement les services prévus au cahier des charges, après mise en demeure qui lui sera faite et non suivie d'effet sous 48 heures.
ARTICLE 15.3 « La réalisation de l'offre kilométrique commerciale peut être inférieure à la prévision pour des raisons n'étant pas de la responsabilité du Transporteur ou pour cas de grève ou de force majeure.
Dans ce cas, l'objectif de recettes de l'année correspondante est révisé au prorata de la diminution de l'offre. »
ARTOIS
(SARL, Kéolis)
1993 - 2002 ARTICLE 3 « L'Exploitant est tenu d'assurer la continuité des services fixés au cahier des charges, quelles que soient les circonstances, cas de force majeure ou grève exceptés ; en dehors de ces cas il supporte toutes les dépenses engagées par l'Autorité Organisatrice pour faire assurer provisoirement les services prévus dans les conditions du cahier des charges »
ALES
(SARL, Kéolis)
1993 - 2005 ARTICLE 3 « L'Opérateur est tenu d'assurer la continuité des services fixés au Cahier des charges. quelles que soient les circonstances, cas de force majeure ou grève exceptés »
ARTICLE 14 « Tout arrêt momentané de l'exploitation par l'auteur suite à des grèves est traité comme une régression de l'offre kilométrique conformément à l'article 25.2. [Régression de l'offre à la demande de l'Autorité Organisatrice] »
AIX-LES-BAINS
(SA, Véolia)
1995-2001 ARTICLE 9 : « L’exploitant est tenu d’assurer la continuité des services fixés au cahier des charges, quelles que soient les circonstances, cas de force majeur ou grève exceptés. (…) En dehors des cas de force majeure ou de grève, il supporte toutes les dépenses engagées par l’Autorité Organisatrice pour faire assurer provisoirement les services prévus (…). En cas de grève ne dépendant pas d’un mot d’ordre national et entraînant une interruption du service, la contribution forfaitaire sera amputée de [60% d’après la formule présentée] »
ARTICLE 20 – « L'exploitant prend intégralement en charge les incidences financières d'une croissance des dépenses ou d'une réduction des recettes lorsqu'elles sont la conséquence de ses décisions, y compris le cas de grève locale dont les conséquences sur la contribution forfaitaire sont traitées à l'article 9 de la présente convention. (…)
L'exploitant prend en charge dans la limite de 3 % d'un plafond annuel égal au chiffre d'affaires de référence actualisé (base 8 785 000 Francs valeur 1995), les incidences financières d'une croissance des dépenses ou d'une réduction des recettes lorsqu'elles sont conséquence de décisions extérieures à l'Autorité Organisatrice ou à l'exploitant ou d’événements de toute nature indépendants de la volonté des parties tels que modification des lois ou règlements, force majeure (à ces cas, peuvent être assimilés les cas de grève à l'échelle nationale). »
AUCH
(SARL, Kéolis)
1996 - 2003 ARTICLE 7 « L’Opérateur est tenu de faire assurer la continuité des services quelles que soient les circonstances, sauf cas de force majeure, de grève ou d'intempéries. »
ALENCON
(SARL, Kéolis)
1996-2001 ARTICLE 5 « L'Exploitant est tenu d'assurer la continuité des services quelles que soient les circonstances, sauf en cas de force majeure, grève ou intempéries exceptionnelles. En dehors des cas évoqués ci-avant, il supporte la charge de toutes les dépenses engagées par le District pour assurer provisoirement les services.
En cas de grève, quelle que soit sa durée, l'Exploitant s'efforcera d'effectuer un service minimum journalier permettant notamment la desserte des établissements scolaires dans les horaires normaux de fonctionnement. »
ANNECY
(SEM)
1997-2002 ARTICLE 4 « (…) La S.I.B.R.A. doit assurer la continuité de ces services, quelles que soient les circonstances, sauf cas de force majeure ou de grève. »
ANNEMASSE
(SARL, Kéolis)
1998 - 2002 ARTICLE 4 : « Le Prestataire est tenu de faire assurer la continuité des services fixés au cahier des charges, quelles que soient les circonstances, cas de force majeure ou grève exceptés.
Le Prestataire ne pourra se prévaloir de la grève comme cause légitime de discontinuité du service public que s'il a fait ses meilleurs efforts pour en empêcher le déclenchement ou, à défaut, en arrêter le processus aussi rapidement que possible. »
ARRAS
(SA)
1998 - 2004 ARTICLE 10 « Le Délégataire est tenu d'assurer la continuité des services quelles que soient les circonstances, sauf cas de force majeure ou de grève de son personnel. En dehors de ces cas, il supporte la charge de toutes les dépenses engagées par I’Autorité Organisatrice pour faire assurer provisoirement les services. »
AGEN
(SA, Transdev)
1998 - 2005 ARTICLE 8 « L'Exploitant est tenu d'assurer la continuité des services définis au cahier des charges quelles que soient les circonstances, sauf cas de force majeure ou grève. »
ARTICLE 9 « Lorsqu'un préavis de grève est porté à la connaissance de l'Exploitant, celui-ci en informe immédiatement l'Autorité Organisatrice.(…) L'Exploitant s'engage à faire respecter, par tout moyen à sa disposition, la liberté du travail. L'Exploitant s'engage, en outre, à assurer un service minimum en cas de grève, dans le cadre de la législation et en fonction des moyens dont il peut effectivement disposer. »
AUXERRE
(SNC, Transdev)
1998 - 2009 ARTICLE 9.2 : « En cas de grève de son personnel, le délégataire est tenu d’en aviser l’Autorité Organisatrice et le public dès notification du préavis, et de s’efforcer de maintenir un service minimum (…) Lorsque l’interruption ou la perturbation du service n’est imputable ni à la force majeure, ni à la grève du personnel du délégataire, le coût subi par l’Autorité Organisatrice afin d’assurer les services de remplacement est supporté par le délégataire. »
AMIENS
(SEM, Véolia)
1998-2002 ARTICLE 11 « La SEMTA est tenue d'assurer la continuité du service, quelles que soient les circonstances, sauf cas de force majeure ou de grève. (…) Par ailleurs, en cas de grève du personnel, la SEMTA est tenue d'aviser le DISTRICT dès notification du préavis et de se coordonner avec le DISTRICT pour informer le public. La SEMTA fera son affaire de la mise en place des services de substitution qui seraient décidés en commun. »
AURILLAC
(SEM, Transdev)
1999 - 2006 ARTICLE 5 « L'Exploitant est tenu d'assurer la continuité du service défini au cahier des charges quelles que soient les circonstances, sauf cas de force majeure ou de grève. En dehors de ces cas, il supporte toutes les dépenses engagées par l’Autorité Organisatrice, le cas échéant, pour faire assurer provisoirement les services. »

Cet échantillon de contrats est relativement exhaustif sur les formulations disponibles. Il comprend la totalité des 15 conventions rendues disponibles par le CERTU et dont la dénomination du réseau commence par la lettre A. Ce n’est pas une sélection ad hoc. Entre parenthèses, est précisé pour chaque réseau, la forme sociale de l’exploitant et son actionnaire majoritaire si c’est l’un des trois grands groupes.

En fait, les élus ont une capacité de résistance à la grève qui peut s’avérer suffisante si elle est uniquement partielle et/ou locale 55 . Par contre, en cas de conflit national et généralisé dans la branche, les collectivités vont s’introduire dans les négociations paritaires pour faciliter la reprise du travail. C’est par le truchement de la Convention Collective que les salariés vont bénéficier d’une augmentation généralisée et pérenne des salaires.

L’entreprise a intérêt à ce que la pression des salariés soit brutale et forte, ce qui pousse les élus locaux à intervenir. Dans le cas de relations conflictuelles larvées, l’entreprise sera souvent la seule exposée à un préjudice. La section suivante montre que les modifications de la Convention Collective négociées par les élus se font avec la bénédiction des exploitants, tout simplement parce que le résultat de ces négociations sont aussi financés par les contribuables.

Notes
55.

Par exemple, à Lyon en 2004, l’AO n’est pas intervenue pour financer les revendications des conducteurs de tram grévistes. De son coté, l’exploitant a préféré payer les pénalités pour service non effectué que d’augmenter le salaire des traminots. La grève a duré plusieurs mois.