1.2.1.3 Le financement public des conséquences de la grève

La piste la plus immédiate pour expliquer un dérapage des coûts est de considérer la relation contractuelle qui lie l’AO à son exploitant. Dans un contrat dit de « gérance », c’est à dire au coût du service (cost plus), la collectivité est le créancier résiduel. Elle recevra ou payera le solde nécessaire à l’équilibre comptable. Ce type de contrat, longtemps majoritaire, reporte sur le budget de la collectivité tous les avantages consentis aux salariés. Remarquons que ce mécanisme est tout aussi valable dans le cas d’une gestion directe par « régie ». Toutefois, la plupart des contrats sont aujourd’hui incitatifs sur les coûts 56 (fixed price). Les conventions « à compensation financière forfaitaire » ou « de gestion à prix forfaitaire » représentent environ 75% des contrats en 2002. De surcroît, certains contrats de gérance intègrent un intéressement sur la variation des coûts non négligeable.

A priori, dans les contrats incitatifs ce n’est pas à la collectivité de financer les variations du coût de production. Lorsque le montant des subventions est négocié à la signature des contrats, les entreprises sont les créanciers résiduels. Toutefois, la modification des conditions conventionnelles de travail se traduit quasi-systématiquement 57 par des avenants aux contrats (cf. l’échantillon du Tableau 2).

Le montant de subvention accordé initialement (duquel est extrait la rémunération des opérateurs) est alors modifié de telle façon que les entreprises exploitantes ne subissent aucunes pertes. Les nouveaux montants de subvention intègrent les augmentations de salaire. Une hausse non prévue et collective des salaires (par un accord modifiant la Convention Collective) va donc être, quel que soit le type de contrat, généralement compensée par un financement des collectivités.

Tableau 2 : Financement des renégociations de la Convention Collective Nationale de branche en cours de contrat
Réseaux Période Dispositions contractuelles
ANGOULEME
(SEM)
1988 - 1997 Contrat de Gérance sans intéressement
AUXERRE
(SNC, Transdev)
1988 - 1997 ARTICLE 17 « Le Coût d'exploitation et la rémunération de l'Exploitant seront modifiés tous les trimestres en fonction de l’adaptation des éléments de base aux conditions économiques du moment. »
ARLES
(SA, Kéolis)
1992 - 2002 ARTICLE 14 « Le prix forfaitaire est révisé (…) lorsque les modifications d'ordre réglementaire, législatif ou conventionnel régissant les conditions de travail, de rémunération ainsi que les avantages sociaux de la profession le justifient. »
ARTOIS
(SARL, Kéolis)
1993 - 2002 ARTICLE 15 « Le montant de la contribution forfaitaire et/ou la formule d'actualisation peuvent être revus en cas d’événements entraînant une modification importante de l'équilibre économique et financier de la présente Convention et notamment dans les cas suivants : (…) Lorsque les modifications des règlements et accords régissant les conditions de travail et les avantages sociaux au niveau national ou au niveau de la profession justifient cette révision. »
ALES
(SARL, Kéolis)
1993 - 2005 ARTICLE 26 « Le montant de la contribution forfaitaire est renégocié dans les cas suivants : (…) lorsque les modifications des règlements et accords régissant les conditions de travail et les avantages sociaux de la profession justifient cette révision. »
AIX-LES-BAINS
(SA, Véolia)
1995 - 2001 ARTICLE 17.3. « (…) Si des dispositions légales ou réglementaires rendaient impossible l'application intégrale de la formule [d’actualisation de la contribution tarifaire], l'Exploitant ou l'Autorité Organisatrice pourrait demander une renégociation de la présente formule. »
ALENCON
(SARL, Kéolis)
1996 - 2001 ARTICLE 8 « (…) Le montant de la compensation forfaitaire ou la formule de révision sont revus dans les cas définis à l'article 18.4 du cahier des charges [non disponible] ».
AUCH
(SARL, Kéolis)
1996 - 2003 ARTICLE 16 « Le montant du prix forfaitaire est revu dans les cas suivants : Lorsque des modifications de la législation et notamment de la législation du travail ou des règles applicables à la profession justifient cette révision. (…) »
ANNECY
(SEM)
1997 - 2002 Contrat de gérance sans intéressement
AMIENS
(SEM, Véolia)
1998 - 2002 ARTICLE 23 « ( …) En cas de survenance d'événements extérieurs ayant une incidence sensible sur les coûts ou la fréquentation, les parties conviennent qu'il y a lieu de mettre en œuvre les mesures correctrices nécessaires afin que soient rétablies les conditions de l'équilibre financier prévisionnel de la convention, y compris si nécessaire par un réajustement des objectifs. Dans un tel cas, les parties s'obligent à se rapprocher, sur l'initiative de l'une d'entre elles, en vue d'une renégociation des termes de la présente convention. »
ANNEMASSE
(SARL, Kéolis)
1998 - 2002 ARTICLE 16.3.4 « Les parties conviennent de se rapprocher pour étudier les conditions d'application des formules [d’intéressement] et en réviser les termes, si nécessaire, pour ne pas avantager ou pénaliser l'une ou l'autre des parties, notamment dans les cas suivants :
- Modifications (…) de la législation et (ou) de la réglementation notamment fiscale, sociale et du travail, de la Convention Collective Nationale, des règles applicables à la profession,
- (…) Evénements imprévus et/ou indépendants de la volonté des parties, grèves, entraînant des perturbations dans les conditions d'exploitation, des modifications de l'offre du transport et/ou ayant une influence sur la fréquentation du réseau.
Les parties se concerteront pour procéder au réexamen et trouver un accord, dans le délai de deux mois à compter de la saisine par la partie la plus diligente, sur les modifications à apporter par avenant au contrat. »
ARRAS
(SA)
1998 - 2004 Contrat de gérance sans intéressement
AGEN
(SA, Transdev)
1998 - 2005 ARTICLE 22 « Les parties conviennent de se rencontrer et de procéder par voie d'avenant à l'adaptation du régime financier de la convention (réexamen des conditions d'exploitation, du montant de la compensation forfaitaire, de la composition de la formule d'actualisation), dans les cas suivants : (…) nouvelles obligations réglementaires ou fiscales imposées aux entreprises de transport qui entraîneraient une modification substantielle des conditions économiques de l'exploitation. »
AUXERRE
(SNC, Transdev)
1998 - 2009 ARTICLE 16.3 « Les formules de révision ci-dessus et leurs paramètres sont modifiés (…) si des obligations nouvelles légales ou réglementaires sont imposées de droit commun aux entreprises de transport et entraînent une modification substantielle des conditions économiques d'exécution des missions confiées au transporteur, alors que les formules de révision en vigueur n'en reflètent pas l'incidence. »
AURILLAC
(SEM, Transdev)
1999 - 2006 ARTICLE 23 « Révision de la Convention (…) en cas de (…) modifications législatives, réglementaires ou fiscales de nature à influer sur les engagements des co-contractants (durée et organisation du travail, règlements de sécurité ... ). (…) Afin de rétablir l'équilibre économique de la délégation de service public, les parties conviennent, d'un commun accord, de procéder, le cas échéant, à la révision de la présente convention, par voie d'avenant ou éventuellement de conclure une nouvelle convention. »

Cet échantillon est relativement exhaustif sur les formulations disponibles. Il comprend la totalité des 15 conventions rendues disponibles par le CERTU et dont la dénomination du réseau commence par la lettre A. Ce n’est pas une sélection ad hoc. Entre parenthèses, est précisé pour chaque réseau, la forme sociale de l’exploitant et le cas échéant sa maison mère.

A court terme, la grande majorité des entreprises ne va pas s’opposer à une hausse collective des salaires puisqu’elle est financée par l’AO. On comprend mieux pourquoi, dans ce contexte, ce sont généralement les élus locaux qui conduisent les négociations avec les syndicats. Les dispositions contractuelles les rendent financièrement responsables.

Ajoutons que si nous nous sommes jusqu’à présent centrés sur la question des salaires, il n’y a aucune raison pour que le biais que nous avons décrit sur les salaires n’affecte pas aussi les conditions de travail.

Mais les contrats de service public de TCU sont renouvelés périodiquement, selon des procédures ayant pour objectif de mettre en concurrence (Délégation de Service Public ou Marché Public), et il convient d’identifier le comportement des coûts à long terme.

Notes
56.

Bien que les études comparant les performances des différents types de contrat soient porteuses d’importants enseignements sur la performance des réseaux (Gagnepain & Ivaldi 2002, Roy & Yvrande 2005), ce n’est pas ici le niveau d’analyse que nous souhaitons aborder.

57.

Le Tableau 2 montre aussi que les dispositions sont peu détaillées pour environ 40% des observations. Il n’y est pas fait référence à la « modification des conditions de travail et de rémunération », mais aux « éléments de base aux conditions économiques du moment », aux « dispositions légales ou réglementaires », à la « survenance d’événement extérieurs », aux « nouvelles obligations réglementaires »… On ne peut donc pas exclure que dans certains cas les modifications de la Convention Collective soient à la charge de l’exploitant.