Chapitre 2. Analyse des modes de gouvernance locaux

La Loi d’Orientation sur les Transports Intérieurs 78 (LOTI) de 1982 accorde à chaque commune une compétence exclusive sur les services de transport situés dans ses limites territoriales. Plus généralement, elle définit le cadre institutionnel des transports publics urbains en France 79 . Chaque autorité organisatrice (AO) de transport urbain, gouvernée par une ou plusieurs communes, définit la politique de transport de son agglomération et organise la fourniture des services publics de transport urbain. Elle dispose notamment  d’une autonomie de décision sur les infrastructures de transport collectif, la définition des services (dessertes, fréquence, amplitude des horaires), les tarifs, et le choix du mode de gouvernance.

Concernant les modes de gouvernance, les autorités organisatrices peuvent choisir librement le régime de propriété de l’exploitant, entre la gestion directe (régie) et la gestion déléguée. Dans la grande majorité des cas, c’est à la délégation qu’ont recours les collectivités locales : 90% en 2002 (CERTU 2003, GART 2003). En cas de non recours à ses propres services pour assurer la fourniture du transport, les autorités organisatrices établissent un contrat de délégation (après appel d’offres), qui peut associer une société privée ou une société d’économie mixte 80 . Ce contrat est une seconde marge de manœuvre en termes de choix du mode de gouvernance : se superpose à l’arbitrage sur le régime de propriété (régie, SEM ou société totalement privée), le choix du contrat de délégation. La loi n’impose que quelques clauses générales le concernant, dont aucune ne contraint plus que le droit commun des contrats publics.

La relation entre l’autorité organisatrice et son exploitant peut être analysée comme une relation d’agence (Jensen & Meckling 1976). En effet, les parties sont liées par un contrat (qui n’en est pas explicitement un dans le cas des régies) par lequel un principal (l’autorité organisatrice) engage un agent (l’exploitant) pour exécuter en son nom une activité (les services publics de transport urbain), par la délégation d'un certain pouvoir de décision à l'agent. Cette lecture en termes de relation d’agence implique que la gouvernance des transports publics urbains peut être interprétée à travers deux outils théoriques majeurs, que sont la théorie des droits de propriétés (Alchian & Demsetz 1972, Fama et Jensen 1983) et des contrats incomplets (Grossman & Hart 1986, Hart 1988) d’une part, et la théorie des contrats et des incitations (Laffont & Tirole 1986, 1993) d’autre part. Ces deux premières grilles d’analyse permettent surtout de mettre en perspective les capacités des différents modes de gouvernance en termes d’efficience. Ajoutons que la relation AO-exploitant peut aussi être étudiée grâce aux concepts de la théorie des coûts de transaction. De manière complémentaire, ce type d’analyse est notamment utile pour prendre la mesure des capacités d’adaptation (aux évolutions externes) de chaque mode de gouvernance.

La gouvernance des TCU, dans le cadre de la réglementation française, se caractérise donc par la relation centrale entre l’AO et son exploitant. Elle est aussi le fruit de l’organisation de l’AO elle-même, et dépend de ses choix en termes de service public. Cette relation dépend aussi des paramètres contextuels, de l’environnement. Et c’est la prise en compte de l’ensemble de ces déterminants qui permettra d’analyser les modes de gouvernance et d’identifier leurs implications sur la performance des services offerts.

L’objectif du Chapitre 2 sera tout d’abord (section 2.1) de dresser un état des lieux des principes généraux de la gouvernance des transports urbains, de mettre en perspective l’organisation institutionnelle, et d’analyser le positionnement stratégique des acteurs (autorités organisatrices et exploitants) 81 . Nous traiterons ensuite le point central que constitue le choix des modes de gouvernance des autorités organisatrices, et notamment du type de contrat (2.2). Nous proposons enfin (2.3) un cadre d’analyse théorique des choix du mode gouvernance, en particulier des régimes de propriété et des types de contrats.

Notes
78.

 Prise en application de la loi de décentralisation du 2 mars 1982, la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 d'Orientation des Transports Intérieurs (JORF du 31 décembre 1982) dite «LOTI» est la première grande loi-cadre des transports.

79.

 La Région Ile-de-France est dotée d’un régime spécifique : non soumise à la LOTI pour l’essentielle de ses dispositions, elle est aujourd’hui encore réglementée par le décret n°49-1473 du 14 novembre 1949.

80.

 Sociétés anonymes dont le capital social est, au moins à 51%, détenu par la collectivité.