2.1.2.1 Le rôle des exploitants

Les marges de manœuvre des exploitants sont tout d’abord celles d’une entreprise normale en terme de gestion du personnel 91  : recrutement, motivation, temps partiel, organigramme… Pour ce qui est des investissements, le pouvoir de décision des exploitants est généralement très réduit (voire inexistant). Les autorités publiques participent beaucoup aux choix d’investissement, parfois en partenariat, soit parce que l’exploitant dépend de leurs services (régie municipale), soit parce que l’exploitant en place ne l’est que pour la durée du contrat. Cette durée relève de la décision de l’autorité organisatrice 92 , mais elle ne doit pas empêcher une mise en concurrence régulière. Elle ne peut pas dépasser la « durée normale d’amortissement des [investissements] mis en œuvre » (art. L. 1411-2 du CGCT) 93 .

Par ailleurs, les exploitants de TCU bénéficient de marges de manœuvre dans leur politique de sous-traitance. Il est alors possible d’arbitrer entre une réalisation « en propre » ou une externalisation (pour un service occasionnel en particulier). La sous-traitance est notamment l’occasion pour l’exploitant principal de bénéficier du moindre coût de la main d’œuvre dans les transports interurbains 94 (Conventions Collectives moins protectrice pour les salariés, cf. Chapitre 1).

Il peut aussi exister des choix divers en termes d’entretien des matériels roulants. L’organisation du travail de maintenance, la prévention des pannes, l’achat des pièces sont autant de domaine où l’exploitant peut valoriser son expertise.

Mais surtout, les exploitants bénéficient d’un degré de liberté assez spécifique aux services de transport, et qui a contribué à la richesse de certaines entreprises de logistique : l’organisation spatio-temporelle. Cette organisation comporte deux volets, d’une part l’élaboration du « graphique de circulation » et du « service horaire », d’autre part « l’habillage des lignes ».

Le « graphique de circulation » est une représentation dans l’espace et dans le temps des passages des véhicules sur une ligne donnée, c’est le support de la grille horaire. L’exploitant le détermine conformément aux amplitudes horaire, dessertes et fréquences décrites dans le cahier des charges. Par exemple, pour une ligne donnée, la collectivité peut avoir comme double exigence un nombre de services par journée et l’heure du passage du premier bus. La fréquence des services reste, dans ce cas, à la discrétion de l’exploitant. Bien sûr, si le service est préalablement organisé en détail par l’AO dans le cahier des charges, l’exploitant a peu de matière à optimiser et ne peut pas mettre en œuvre ses compétences de « graphicage ». A l’inverse, si le niveau de service n’est pas suffisamment orienté 95 par l’AO, il se peut que l’exploitant ne fasse pas les choix qu’auraient pu attendre les usagers-électeurs. De ce point de vue, le cahier des charges est un subtil équilibre entre contraintes et marges de manœuvre.

Le graphicage est généralement plutôt contraint par l’AO, tout au moins fixé lors de la négociation de l’appel d’offres (cf. 4.1.1.2). En revanche, l’habillage est systématiquement laissé à la discrétion de l’opérateur, dans le respect de la réglementation du travail et des accords d’entreprise (qui peuvent être relativement contraignants).

Chaque graphique de ligne nécessite des conducteurs et des véhicules, c’est ce que les professionnels appellent l’habillage des lignes. L’adéquation entre les services définis dans le graphique d’une part, et la disponibilité des différents véhicules et les temps de travail des personnels d’autre part peut être à l’origine de différences en termes de productivité des facteurs. Les compétences de l’exploitant (y compris les logiciels d’optimisation) sont déterminantes dans cet exercice.

Au total, les marges de manœuvre dont disposent les opérateurs sont limitées dans de nombreux domaines. Les AO exercent localement un fort encadrement de l’action des exploitants. D’importants leviers comme l’investissement en infrastructure, le choix des matériels roulants ou le design des lignes est plutôt conservé par l’AO. Cela dit l’opérateur disposent de quelques libertés pour tirer profit de son expertise et de ses capacités managériales. Pour simplifier, on peut dire que l’exploitant est surtout chargé de la gestion et de l’organisation quotidienne des services.

Notes
91.

Notons qu’un nouvel exploitant doit reprendre l’ancien personnel au titre de l’article L.122-12 du Code du Travail : « S’il survient une modification dans la situation juridique de l’employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mis en société, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise. » 

92.

Comme le rappelle la circulaire n°98-43 du 19 mars 1998.

93.

De surcroît, les contrats ne peuvent contenir une clause de tacite reconduction (arrêt du Conseil d’État du 23 mai 1979, commune de Fontenay le Fleury)

94.

Il suffit pour cela que l’activité principale du sous-traitant ne se situe pas en « réseau urbain ».

95.

Orienté ne veut pas dire contraint. Nous sous-entendons ici que d’autres solutions existent pour faire converger l’intérêt de l’exploitant avec celui de la collectivité.