2.1.3.2 Performance et politique de transport

Missions de service public et performance

Les communes françaises, de manière décentralisée, organisent depuis plus de 20 ans les transports collectifs urbains. Ce sont légalement les autorités organisatrices ayant la charge « d’organiser et de promouvoir » (LOTI, art. 5) le transport urbain. Dans leurs choix, elles intègrent théoriquement les multiples dimensions du bien-être socio-économique (prix, gains de temps, bruit, pollution de l’air…) des diverses parties prenantes (usagers, automobilistes, riverains…). Elles ont aussi à respecter une double contrainte financière, de « conditions raisonnables (…) de coût pour la collectivité » (LOTI, art. 2) et de « juste rémunération du transporteur » (LOTI, art. 6).

Globalement, les recommandations de la LOTI, de la circulaire de 2001 (cf. Encadré 3) et le contenu des Plans de Déplacement Urbain 112 permettent d’identifier trois items regroupant la quasi-totalité des objectifs collectifs justifiant le financement de missions de service public 113  :

  • Cohésion sociale et territoriale : transporter des personnes défavorisées socialement et/ou spatialement (« droit au transport », LOTI art.1 et 2)
  • Effets externes des véhicules particuliers : lutter contre le bruit, la pollution de l’air, et les accidents de la circulation.
  • Congestion de la voirie : préserver une certaine fluidité des déplacements sur la voirie et libérer l’espace occupé par les véhicules en stationnement.
Encadré 3 : Circulaire n° 2001-51 du 10 juillet 2001
Cette circulaire définit les projets éligibles aux aides de l’État. Ces projets doivent répondre aux conditions suivantes, qui sont autant de valeurs et d’objectifs portés par le transport collectif urbain :
- Apporter une véritable amélioration de service pour les usagers, correspondant à leurs besoins et à leurs attentes (fréquence, régularité, capacité, vitesse commerciale, amplitude des horaires, confort, sécurité, information...) ;
- Optimiser l’intermodalité, notamment l’accès aux transports collectifs par les modes non motorisés ;
- Respecter des principes d’efficacité économique (maîtrise des coûts d’investissement mais aussi de fonctionnement, impact sur les finances publiques) ;
- S’intégrer dans les quartiers qu’ils desservent ou traversent et contribuer à de meilleures structurations et lisibilité de la ville ;
- Présenter une amélioration en termes de réduction de la consommation énergétique, de la pollution de l’air et prendre en compte les aspects sonores ;
- Être accessibles à tous, y compris aux personnes à mobilité réduite, que les difficultés éprouvées soient d’ordre moteur, sensoriel ou mental ;
- Prendre en compte l’ensemble des problèmes de sécurité, tant en matière de sécurité routière que de sécurité et de sûreté des usagers du transport collectif. 

Les objectifs politiques des autorités organisatrices sont, aujourd’hui encore, centrés sur les questions de cohésion sociale et territoriale. La première préoccupation collective concerne historiquement ceux que l’on appelle les usagers « captifs » 115 . Et ces objectifs « traditionnels » sont généralement poursuivis par des instruments « internes » aux modes de transports collectifs : tarification sociale et desserte des territoires 116 . Et finalement, ce sont des outils relativement satisfaisants, dans la plupart des cas.

Mais les AO s’intéressent aussi, et de plus en plus, à la problématique des nuisances de la voiture personnelle en ville (bruit, pollution de l’air, congestion…), en France comme ailleurs en Europe (ISOTOPE 2001). Le TPU a été reconnu comme l’un des instruments pouvant permettre de prendre en charge la mobilité urbaine tout en atténuant la congestion et les dommages environnementaux de l’automobile.

Les situations locales sont relativement contrastées. Les choix politiques concernant les missions de services publics dévolues aux transports en commun peuvent différer d’une autorité organisatrice à l’autre, en fonction des couleurs politiques ou de la façon d’envisager le rôle des transports dans le cadre de la politique de la ville. Certains élus s’impliqueront et lieront leur image au sort des TCU, d’autres opteront pour une évolution « au fil de l’eau » (business as usual). Ajoutons que sont couramment mêlées aux objectifs collectifs quelques considérations électorales.

En outre, il est tout à fait probable que certaines attentes soient contradictoires (cf. Tableau 14). Par exemple, la différentiation tarifaire favorise la soutenabilité financière de l’activité, mais est-elle toujours équitable 117  ? A l’inverse, les tarifs sociaux augmentent le besoin de subvention, est-ce souhaitable ? Il n’y a pas d’arbitrage toujours meilleur que les autres, c’est une question de préférence collective locale. En revanche un travail d’évaluation pourrait être mené pour déterminer les coûts et les avantages des différentes alternatives (cf. Encadré 4).

Tableau 14 : La multiplicité des attentes liées aux transports collectifs urbains
Partie prenante Objectif Exemple de mesure
Citadins
Congestion Augmenter la part modale des TC
Environnement Utilisation de véhicules propres
Contribuables Subventions Tarification permettant de capter le maximum de recettes
Usagers captifs Pas d’exclusion par les prix Gratuité ou compensations tarifaires
Usagers
Accessibilité
Bonne couverture territoriale
Passages et fréquences concentrés aux heures d’activité
Facilité d’utilisation
Plan et informations
Intégration tarifaire
Offre stable et fiable
Garanties de confort
Attractivité Adaptation de l’offre et de la qualité
Opérateurs
Accès équitable au marché Appels d’offres et contrats limpides
Productivité externe Améliorer les priorités aux feux
Conditions de travail et de rémunération des salariés Faire des investissements de sécurité
Hausse de la valeur ajoutée Partage des bénéfices des innovations

Encadré 4 : A quoi sert l’économiste des services publics ?
Les représentants politiques ont pour rôle de poursuivre certains objectifs collectifs, comme de favoriser la cohésion sociale et territoriale. Dans les secteurs de service public, l’expression de ces objectifs peut passer par la définition de missions de service public à réaliser. Par exemple, dans le secteur postal 118 , « les règles ne peuvent autoriser que plus de 10 % de la population d'un département se trouve éloignée de plus de cinq kilomètres et de plus de vingt minutes de trajet automobile (…) des plus proches points de contact de La Poste ». Par cette obligation, « La Poste contribue, au moyen de son réseau de points de contact, à l'aménagement et au développement du territoire national ».
Pour mettre en œuvre les missions de service public, il peut être nécessaire d’envisager plus qu’une simple réglementation. En effet, la fourniture efficace des missions de service public peut requérir une intervention publique relativement fine : en amont pour créer les « bonnes » conditions (licences, appels d’offres, tarification de l’infrastructure…) ou en aval par le droit de la concurrence (contrôle des concentrations, sanction des ententes…). Il se peut aussi que les missions de service public soit plus efficacement réalisées par les services d’une administration.
L’économiste n’a aucune légitimité particulière pour choisir le cahier des charges des missions de service public, en lieu et place des institutions démocratiques. A ce niveau, son travail se concentre (c’est déjà beaucoup) sur l’évaluation des choix politiques (efficacité et pertinence) et sur l’évaluation des coûts et bénéfices des choix réalisés ou envisagés. Concernant la mise en œuvre des missions de service public, les économistes et les gestionnaires ont un rôle plus central, voire prépondérant, puisqu’il leur revient de proposer et d’évaluer les configurations organisationnelles et institutionnelles possibles et souhaitables (efficience).

A l’image de la modélisation du consommateur en micro-économie, les collectivités locales seront supposées avoir des préférences et des dispositions à payer données. Dans cette perspective, à l'image de particularités géographiques ou urbaines, les missions de service public que se donne la collectivité seront considérées comme exogènes, relevant de l'environnement du système économique étudié. De même qu'il serait aberrant de ne pas tenir compte, lors d’une évaluation, de la densité de population dans certains centres-ville historiques, il n'est pas possible d'ignorer les efforts financiers que suppose l'objectif d'aller offrir une liaison en transport public aux populations des ZUP périphériques (objectif qui n’est pas poursuivi partout avec la même intensité).

Notes
112.

ADEME, CERTU, CETE DE LYON, DTT & GART(2002), Bilan des PDU de 1996 à 2001, Ed ADEME & CERTU, 370 p.

113.

Tous les pays européens reconnaissent que les TPU sont un service public (ISOTOPE 2001) au sens du concept européen de « service d’intérêt général », qui dépasse la satisfaction de besoins individuels.

115.

Les captifs sont parfois définis par leur non motorisation. C’est en partie une définition erronée, car si à court terme chacun d’eux est contraint dans son mode de déplacement à moyenne distance, certains d’entre eux ont la possibilité physique et financière d’être motorisés. La captivité définie par la non motorisation est donc en partie endogène. Pour une partie de ceux qui ne disposent pas de voiture, il s’agit d’un choix modal lié à la bonne compétitivité des transports en commun par rapport à leurs besoins. Les « véritables captifs » sont ceux qui ont une incapacité physique (personnes âgées ou handicapés), légale (permis de conduire) ou économique (bas revenu).

116.

Desserte de quartiers enclavés et dessertes spécifiques : établissements d’enseignement secondaire, emplois, hôpitaux, administrations publiques…

117.

 L’idée, très sommairement, part d’une différenciation fondée sur des élasticités-prix différentes. Les non captifs ont, par définition, la possibilité d’utiliser un autre mode de transport, leur élasticité est plus forte que celle des captifs. Il n’est pas pertinent d’établir un prix qui dépasse (en termes de coût généralisé) celui de leur mode alternatif. A l’inverse, il est théoriquement possible d’augmenter le prix pour les captifs jusqu’au niveau d’utilité procuré par l’activité sous-jacente au déplacement. La différentiation s’appuie sur la faible élasticité des captifs, qui sont aussi les plus bas revenus. C’est un choix qui appelle un arbitrage politique.

118.

Article 2.1 de la loi n° 2005-516 du 20 mai 2005 relative à la régulation des activités postales, modifiant l'article 6 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990.