2.3.1.2 Que penser de l’efficience des SEM d’un point de vue théorique ?

Le secteur des transports publics urbains en France se caractérise par le recours fréquent à une société d’économie mixte (21% des cas en 2002), ce qui nécessite d’aller au-delà de la distinction traditionnelle présentée précédemment. Toutefois, cette distinction n’a, à notre connaissance, jamais été opérée dans les études théoriques ou empiriques.

La Commission européenne définit l’entreprise publique comme « toute entreprise sur laquelle les pouvoirs publics peuvent exercer directement ou indirectement une influence dominante du fait de la propriété, de la participation financière ou des règles qui la régissent. » 154 . Toutefois, le droit européen considère aussi que les exploitants ne peuvent être considérés comme des « opérateurs internes » (ou « in house ») lorsqu’une participation, même minoritaire, d’une entreprise privée existe 155 . Le droit, notamment européen, est donc relativement ambiguë sur la question.

En France, le Conseil constitutionnel a, comme la CJCE, considéré que les SEM devaient être traitées sur un pied d’égalité avec les autres entreprises, être soumises à la même procédure d’appel d’offres 156 . Les SEM seraient donc des sociétés anonymes comme les autres ? En réalité, il est évident que la candidature d’une SEM, surtout si elle a été créée spécialement pour gérer le service délégué en question, ne peut susciter que la suspicion de la part des autres candidats 157 . En effet, lors des appels d’offres, les élus présidents des SEM, si ce n’est formellement mais du moins dans les faits, sont à la fois juge (sélection des offres) et partie (offre de la SEM). Contrairement à ce que laissent penser les textes de loi, l’obligation d’un appel d’offres formel ne contribue pas, in fine, à renforcer le sentiment que les SEM sont plus proches des entreprises privées que des entreprises publiques.

En termes d’analyse, comme le remarque Charreaux (1997), à la manière de la théorie des contrats incomplets (Grossman & Hart 1986, Hart 1988, Hart & Moore 1990), l’entreprise publique se distingue de l’entreprise privée, d’une part par le droit qu’exerce l’autorité publique sur ses décisions stratégiques, et d’autre part par sa participation majoritaire aux gains/pertes résiduel(le)s. La présence d’actionnaires minoritaires n’est donc pas une condition suffisante pour considérer qu’une entreprise n’est pas publique. Dès lors que la collectivité participe aux décisions sur les options stratégiques, notamment sur la composition du capital et la nomination des dirigeants, il ne peut s’agir d’une entreprise privée. Les sociétés d’économie mixte (SEM) ne peuvent donc être considérées comme des entreprises privées par la théorie des contrats incomplets.

Cela dit, on peut penser que les SEM sont en mesure de bénéficier de certaines incitations de la gestion privée (primes, marché des dirigeants…). La participation d’acteurs privés à la gestion des services, même si elle n’est que partielle, peut aussi amener des compétences managériales ou introduire des incitations à utiliser efficacement les moyens de production.

Au total, si l’on considère que la SEM permet de tirer profit de quelques caractéristiques de l’entreprise privée, son efficience pourrait être plus élevée que celle des régies. Il nous semblerait beaucoup plus discutable de considérer qu’elle n’a ni les avantages de l’entreprise privée, ni les avantages de l’entreprise publique, nous concluons donc sur une proposition la plaçant en position intermédiaire en termes d’efficience, à la manière d’une combinaison linéaire des deux autres régimes de propriété.

Proposition 1b  : L’efficience des sociétés d’économie mixte (SEM) est légèrement meilleure que celle des régies.

Pour résumer, nous nous attendons donc à ce que les opérateurs les plus efficients soient les entreprises privées, et les moins efficients soient les régies. Les sociétés d’économie mixte sont supposées être moins efficientes que les entreprises privées, mais plus efficientes que les régies.

Notes
154.

Art. 2, Directive 80/723/CEE de la Commission européenne du 25 juin 1980 relative à la transparence des relations financières entre les États membres et les entreprises publiques.

155.

L’arrêt Stadt Halle de la CJCE du 11 janvier 2005 (Affaire C-26/03) a récemment précisé la stricte définition des opérateurs internes. « Il en est ainsi dans l’hypothèse où l’autorité publique (…) exerce sur l’entité distincte en question un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services et où cette entité réalise l’essentiel de son activité avec la ou les autorités publiques qui la détiennent. (…) En revanche, la participation, fut-elle minoritaire, d’une entreprise privée dans le capital d’une société à laquelle participe également le pouvoir adjudicateur en cause exclut en tout état de cause que ce pouvoir adjudicateur puisse exercer sur cette société un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services. » (art. 49)

156.

Décision n°92-136 DC du 20 janvier 1993

157.

« Pour certaines AO, le peu de candidatures provient du fait que leur réseau est exploité par une SEM, compliquant ainsi le jeu de la concurrence. Traditionnellement, à l’exception notable de l’épisode toulousain, il est rare de voir une SEM locale battue au cours d’une procédure de passation. » (GART 2005a, p.31-33)