2.3.3.3 Capacité d’adaptation des modes de gouvernance des TCU

Adaptation et opportunisme

Les risques d’opportunisme s’accroissent lorsque se combinent incomplétude contractuelle et actifs spécifiques, parce que leurs présences est synonyme de « quasi-rente ». Pour limiter ces risques, les contractants usent alors de précautions. Ils ont une disposition à payer pour l’enrichissement du contrat, pour qu’il repose sur des engagements crédibles protégeant leurs investissements et garantissant la réalisation de l’échange. En pratique, il s’agit d’incorporer des mécanismes permettant de régler les éventuels conflits 173 , ainsi que ce qui est appelé des « clauses de sauvegarde » : clauses d’indemnisation en cas de résiliation unilatérale, compensations en cas de réductions tarifaires imposées par la collectivité locale, stabilité du cahier des charges, clause de continuité de service…

Limiter l’opportunisme suppose donc de supporter ex ante des coûts de contractualisation supplémentaires pour écarter les difficultés qui surviendraient lors des renégociations, pour sécuriser les investissements spécifiques que les agents ont (ou vont) réaliser. Les termes du contrat de délégation doivent assurer à ceux qui développent des actifs spécifiques qu’ils pourront bénéficier d’une partie de la « quasi-rente » qu’ils contribuent à générer. Aux coûts de production dans le cadre des contrats de délégation, doivent donc être ajoutés les coûts de contractualisation nécessaires au bon déroulement de la transaction.

Par conséquent, la théorie des coûts de transaction identifie l’avantage du recours à l’intégration verticale (régie) lorsque des actifs spécifiques ont besoin d’être protégés des comportements opportunistes et/ou lorsqu’il est nécessaire de prévoir d’importantes capacités d’adaptation en présence d’incertitude. En effet, la régie est caractérisée par un lien de subordination qui la rend mieux à même de régler à moindre coût de transaction ces difficultés. La régie est donc préférable à la délégation, si les actifs spécifiques en jeu, l’incertitude et les coûts de contractualisations nécessaires, sont tels que les besoins d’adaptation et les risques de comportements opportunistes seront plus coûteux que la perte due à la moindre efficience productive de la régie (cf. 2.3.1). A fortiori, la régie permet un gain relatif lorsque les contractants sont dans l’impossibilité de brider ex ante les comportements opportunistes, et d’organiser efficacement le cadre des adaptations qui seront nécessaires.

Dans le cadre d’une délégation, un certain nombre de remarques peuvent être faites sur la même base concernant le choix du type de contrat. En effet, si les risques d’opportunisme demeurent quel que soit le type de contrat (parce qu’il existe dans tous les cas deux parties), l’intensité des risques d’opportunisme et le cadre des capacités d’adaptation varient.

Dans les contrats, le besoin de sécurisation contre l’opportunisme ne signifie pas qu’il faille empêcher systématiquement tout ajustement ex post. Au contraire, les contractants doivent aussi rechercher la flexibilité qui va leur permettre de s’adapter ex post aux perturbations non anticipées (hypothèse de contrats incomplets), et d’innover. Sans pour autant encourager le développement de comportements opportunistes (recherche de sécurité), les parties souhaitent aussi choisir un type de contrat qui encourage le développement de la rente et les ajustements nécessaires à son maintien (recherche de flexibilité). C’est le dilemme opposant réduction de l’opportunisme (et incitation) et flexibilité (Crew & Crocker 1992).

Parmi les contrats de TCU, nous avons vu que les contrats de gérance exposent les autorités organisatrices aux conséquences de l’aléa moral des entreprises, par la faible incitation à l’effort d’une rémunération ex post. Mais cette rémunération ex post implique aussi une plus forte flexibilité des arrangements contractuels, car l’entreprise a relativement peu de raisons de s’opposer à une évolution du contrat dès lors qu’elle est compensée financièrement ex post. En revanche, les contrats CFF ou GPF sont plus incitatifs mais possèdent une capacité d’adaptation inférieure à celle des contrats de gérance, car la rémunération est fixée ex ante. Par conséquent, assurer les contractants contre les risques n’incite pas à minimiser les coûts de production 174 , mais permet de faciliter la renégociation des contrats en les rendant plus flexibles. Il existe donc deux effets contraires (efficience productive vs coûts de non-renégociation) dont la résultante dépend des caractéristiques (incertitude spécificité des actifs et coûts de contractualisation) des transactions en jeu

Dans le cadre des hypothèses de la théorie des coûts de transaction, les contrats doivent être suffisamment flexibles pour permettre de s’adapter ex post aux modifications non anticipées qui seront nécessaires (ou coûteuses si elles ne sont pas réalisées). Les schémas incitatifs peuvent rigidifier excessivement le contrat. Et si les contrats plus incitatifs impliquent une meilleure efficience productive, les gains qui auraient pu être réalisés au travers d’ajustements rendus impossibles sont perdus (coûts d’opportunité). De manière observable, la prime de risque que demandera l’exploitant sera logiquement plus élevée si le contrat n’offre pas la possibilité de renégociations ou d’ajustements. Ou plus brutalement, le manque de flexibilité de certains contrats incitatifs, dans un environnement très dynamique, pourrait être à l’exploitant.

Au total, sous certaines hypothèses 175 , les contrats de délégation sont sensibles aux risques d’opportunisme et aux coûts d’adaptation que les régies. Au minimum, ces deux préoccupations entraînent la contractualisation de clauses de sauvegarde, ce qui peut occasionner un coût supérieur à la moindre efficience de la régie.

En outre, les contrats de gérance contraignent moins les renégociations que les contrats incitatifs, et donc l’adaptation aux événements ou décisions imprévus. Ici aussi, la moindre efficience des contrats de gérance pour une production donnée et stable, se trouve contrebalancée par sa meilleure faculté d’adaptation.

Notes
173.

Choix d’un arbitre ou d’une procédure de concertation et d’arbitrage. A l’extrême, il est possible d’accorder ex ante à l’une des deux partie le pouvoir de décision ex post.

174.

On se trouve ici en présence du dilemme classique entre incitation à l’effort et assurance contre les risques (Milgrom & Roberts 1992, Laffont & Tirole 1993).

175.

Transaction(s) nécessitant de mettre en œuvre des actifs spécifiques dans un environnement incertain