Partie 2. Evaluation des principales pistes d’amélioration de la gouvernance

Chapitre 3. Modes de gouvernance et efficience de l’exploitant : Une évaluation économétrique

Comme le remarque Gagnepain (1998, p.59), la théorie de la réglementation des monopoles naturels proposée jusqu’au début des années 1980 s’est principalement 180 concentrée sur la partie demande, sur la réglementation de la tarification. Les effets de la régulation sur les coûts n’ont été identifiés et popularisés que dans un second temps. Typiquement, la tarification Ramsey-Boiteux (Boiteux 1956) a été rapidement diffusée, alors qu’elle ne permet pas de garantir que les coûts marginaux considérés sont les plus faibles possibles (Gomez-Lobo 1998). La recherche de la productivité nécessite cependant d’importants efforts. Elle ne pas de soi, notamment dans les secteurs régulés.

Dans les services publics de transport urbain, l’efficience productive est une dimension incontournable de la performance. Et l’efficience des modes de gouvernance ne peut pas être postulée a priori, car il n’existe pas de processus de sélection efficace. La pression électorale, en faveur d’un système de transport efficient, est limitée du fait des problèmes d’information des citoyens. Et contrairement à la sélection des exploitants que permettent les appels d’offres, le choix du mode de gouvernance est une décision de l’autorité organisatrice, non soumise à la pression concurrentielle. La concurrence, dans les transports collectifs urbains, ne porte donc que sur le choix de l’exploitant pour un mode de gouvernance donné. Par conséquent, puisqu’il n’existe pas de mécanismes « naturels » relativement puissants faisant converger les modes de gouvernance vers le(s) plus efficient(s), il nous semble approprié de rechercher à les identifier par l’observation et la mesure.

Comme le propose par exemple Demsetz (1969), nous procéderons à une analyse institutionnelle comparative, en suivant le critère de rémédiabilité, selon lequel : « une situation existante est tenue pour efficiente à moins qu’une alternative réalisable permettant de produire un gain net puisse être décrite et mise en œuvre. » (Williamson 1995, p.44). Pour réaliser les mesures, nous utiliserons une méthode de frontière appliquée à la productivité des facteurs de production des transports urbains. Cette méthodologie permet notamment d’estimer des scores d’efficience. La corrélation entre ces scores et le mode de gouvernance en vigueur dans chaque réseau montre alors leur impact statistique en termes d’efficience.

L’objectif de ce Chapitre 3 est de soumettre à l’épreuve des faits les propositions théoriques du Chapitre 2 concernant l’impact des modes de gestion sur l’efficience productive des opérateurs (propositions 1a et 1b (cf. 2.3.1), et 2a et 2b (cf. 2.3.2)). L’analyse des conséquences des choix contractuels sur les performances du secteur du transport collectif en France a déjà donné lieu a plusieurs études empiriques sur données françaises (Gagnepain 1998, Gagnepain & Ivaldi 2002, Croissant 2000, Kerstens 1996, 1999). Ce type d’études empiriques a également été réalisé sur la base de données norvégiennes (Dalen & Gomez-Lobo 1996, 2003). Notre travail est original à deux points de vue.

D’une part, nous nous appuyons sur une base de données récentes (1995-2002) et élargie (135 réseaux), qui n’a encore jamais été utilisée pour réaliser des estimations économétriques. Cette base est extraite de l’enquête annuelle commune DTT-CERTU-GART-UTP dite des Cahiers Vertset compile des données quantitatives et concernant les modes de gestion et types de contrat (cf. Encadré 1).

D’autre part, la méthode des frontières stochastiques de production (incorporant des variables sur les modes de gestion et les contrats) n’a jamais été utilisée pour étudier l’influence des choix de modes de gouvernance sur l’efficience des opérateurs de transport urbain au niveau de détail que nous envisageons (trois régimes de propriété et trois types de contrat de délégation).

Dans un premier temps (3.1), nous présentons les enjeux méthodologiques (délimitation du champ d’investigation pertinent) et la nature du modèle économétrique mis en œuvre (frontière stochastique de production). Nous proposons ensuite (3.2) de discuter les principaux résultats des estimations réalisées.

Notes
180.

A l’exception de quelques contributions comme par exemple d’Allais (1948), au sujet de la SNCF. « On ne saurait trop souligner que si une incitation à la recherche du coût moyen minimum n’existe pas, la couverture automatique éventuelle par l’État de l’écart entre le coût marginal et le coût moyen ne pourrait mener qu’à un immense gaspillage, d’autant plus immense qu’il risque d’être invisible et indécelable » (Allais 1948, p.219)