4.1.1.1 Le choix de la procédure de dévolution

Le choix entre deux conceptions des transports collectifs urbains

La procédure de dévolution applicable aux transports urbains était, jusqu’en 1996 240 , uniquement la délégation de service public (DSP). Depuis, le législateur a confirmé dans la loi MURCEF n° 2001-1168 du 11 décembre 2001, que la procédure de DSP ne pouvait être mobilisée que lorsque la rémunération de l’exploitant est « substantiellement liée aux résultats de l’exploitation du service » (art. L. 1411-1 modifié du CGCT). Dans le cas inverse, la procédure applicable est celle du Code des marchés publics (désormais CMP). En effet, dans l’esprit du marché public, la participation financière des voyageurs n’est qu’accessoire. Le prestataire est avant tout rémunéré par l’autorité organisatrice.

Il existe donc aujourd’hui deux procédures dont les philosophies et les caractéristiques diffèrent (cf. Tableau 48), mais qui peuvent toutes les deux être appliquées pour la dévolution des services de transport urbain. Pour sélectionner la procédure légalement prévue à cet effet, l’autorité organisatrice doit choisir la façon dont elle veut s’impliquer dans la gestion du service pour (CERTU 2001) :

  • Soit elle souhaite confier la gestion du service public à un transporteur : DSP
  • Soit elle souhaite commander une prestation de service : marché public
Tableau 48 : Les termes des deux dispositifs de dévolution
  Marchés publics Délégation de service public
Position de l’AO Acheteur public Déléguant
Statut de l’exploitant Titulaire de marché public Délégataire
Bénéficiaire principal L’autorité organisatrice Les usagers
objet Prestations de service public Le service public « clé-en-mains »
Rémunération Principalement la subvention de l’AO Substantiellement assurée par l’exploitation

Mais malgré l’évolution réglementaire, le marché public est encore peu utilisé : il était quasiment inexistant avant 1996 et était à l'origine d’environ 16% des contrats en 2003 (Gouin 2005). Pour autant, il n’y a rien de dramatique ni d’illégal dans cette répartition inégale. Il s’agit simplement de la conséquence du choix très majoritaire des AO de faire dépendre « substantiellement » la rémunération de l’exploitant du comportement des voyageurs.

En effet, le choix de la DSP, pour être légitime, implique que le risque financier pris par l’entreprise soit suffisamment important, que sa rémunération soit « substantiellement lié au résultat ». A l’inverse, la commande d’une prestation de service par un marché public implique que c’est l’autorité organisatrice qui doit assumer l’essentiel des risques financiers liés à l’exploitation. En particulier, la prise en charge du risque commercial 241 apparaît comme un critère majeur de distinction dans le degré d’implication des parties (CERTU 2001). Mais plus généralement, la question centrale est celle de la répartition des droits de décision dans le détail de la définition du service : itinéraires, arrêts, horaires, types de véhicules …

Ceci implique notamment que les contrats de gérance ne peuvent être passés qu’après une procédure du Code des marchés publics, alors que les contrats à compensation financière forfaitaire (CFF) doivent être passés par une procédure de DSP. Les contrats de gestion à prix forfaitaire (GPF) sont intermédiaires en termes de partage des risques. Il appartient donc à l’AO de déterminer, pour ces types de contrat, si la rémunération est « substantiellement » liée au résultat de l’exploitation ou non (la jurisprudence ne précise pas de seuil précis 242 ), et d’utiliser la procédure conforme. Le Tableau 49 montre quels ont été les choix faits en 2000/2001 par les réseaux enquêtés dans CERTU (2003d), choix mettent en évidence les considérations précédentes.

Tableau 49 : Exemples de corrélation des choix de type de contrat et de procédure de mise en concurrence
  Marché public Délégation de service public
Gérance 2 0
Gestion à prix forfaitaire 3 2
Contribution financière forfaitaire 0 9

Source : Echantillon de CERTU (2003d, p.15)

Le prestataire est, dans le CMP, centré sur la demande de l’AO, il n’a que des liens indirects avec d’autres acteurs économiques. A l’inverse, dans la DSP, l’autorité organisatrice n’est pas tant le commanditaire de services pour ses propres besoins, que la représentante des intérêts des usagers potentiels. L’AO doit donc s’assurer que l’exploitant satisfera les voyageurs potentiels dans les meilleures conditions, alors que le contrôle de toutes les transactions futures (voyage contre ticket) auxquelles elle ne participe pas est, a priori, relativement difficile ou coûteux.

Nous touchons ici à la justification économique des procédures imposées par la loi selon le type de contrat. D’une part, lorsque l’exploitant prend à sa charge (de manière substantielle) les risques d’exploitation, c’est parce que l’autorité organisatrice tient à s’assurer par des incitations financières qu’il aura intérêt à répondre de son mieux aux besoins des usagers (dans le cadre fixé par le contrat et le cahier des charges). D’autre part, lorsque l’autorité organisatrice prend les risques d’exploitation, c’est qu’elle considère que le contrat et ses propres contrôles seront suffisants pour que l’exploitant fournisse de manière conforme les services qu’elle a commandés. Dans le premier cas, l’exploitant perçoit une rémunération qui dépend du comportement des usagers, c’est donc une DSP. Dans le second cas, tous les besoins collectifs (des électeurs, des usagers ou des contribuables) sont exprimés à l’exploitant par le truchement de l’autorité organisatrice, c’est donc un marché public.

Notes
240.

Arrêt du Conseil d’État du 15 avril 1996, Préfet des Bouches-du-Rhône, considérant les dispositions de la loi Sapin du 29 janvier 1993 relatives aux DSP (art. 38) : « [ces dispositions] ne sauraient être interprétées comme ayant pour objet de faire échapper aux règles régissant les marchés publics tout ou partie des contrats dans lesquels la rémunération du cocontractant de l’administration n’est pas substantiellement assurée par les résultats de l’exploitation ».

241.

L’arrêt du Conseil d’État du 30 juin 1999 (SMITOM du centre-ouest seine-et-marnais) considère par exemple qu’une rémunération assise à hauteur de 30% sur le recettes d’exploitation permet d’établir que l’exploitant est substantiellement rémunéré par les résultats d’exploitation. En outre, il semble ressortir de l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Marseille (13 avril 2004, ville de Marseille) que le seuil de 20% serait insuffisant, à condition qu’il soit connu durant la procédure de DSP.

242.

Pour une revue de la jurisprudence et des positions du commissaire du gouvernement, voir GART (2001).