4.2. L’allotissement en réponse aux difficultés des appels d’offres ?

Lorsqu’il existe un monopole naturel, la concurrence n’est technologiquement pas viable. La structure des coûts, au niveau considéré de la demande, implique que la fonction de coût est minimum lorsque le marché est servi par une seule firme (Sharkey 1982). Or le comportement de la firme en monopole maximisant son profit tend vers une augmentation des prix et une restriction des quantités produites. Cet équilibre de monopole n’est pas optimum au sens de Pareto, car le prix d’équilibre y est supérieur au coût marginal de production. Il entraîne aussi, en termes de redistribution, un transfert du surplus des consommateurs vers le monopoleur.

La réponse proposée par l’économie publique à ce problème classique du monopole naturel, est celle de la réglementation des prix et de l’output, de sorte que le monopole naturel devient aussi un monopole public. Mais la nouvelle économie de la réglementation a aussi montré que la question du nombre optimal de producteurs sur un marché n’était pas uniquement technologique 291 , que la prise en compte du type et du comportement du producteur pouvait changer la nature de la reglementation-gouvernance optimale.

La gouvernance française des TCU intégre en partie les critiques de la nouvelle économie de la réglementation En effet, conformément à la proposition de Demsetz (1968) 292 , les pouvoirs publics mettent en concurrence l’exploitation des réseaux. Mais c’est le réseau entié de chaque agglomération qui est soumis à appel d’offres, dans le but que les services soient fournis par un seul producteur. Or ce que propose la nouvelle économie de la réglementation, c'est aussi d'explorer les voies qui conduiraient à rompre avec la rationnalité technologique (monopole naturel) d’un unique exploitant. Les gains apportés par une stimulation plus forte du producteur pouvant plus que compenser les pertes d’une dé-intégration.

De plus, toutes les étapes du processus de production d’une industrie de réseau ne sont pas en monopole naturel ; et les frontières des monopoles légaux français dépassent souvent les frontières du monopole naturel (Lévêque 1998, Bergougnoux 2000, Curien 2000). « Dans les industries de réseau, la frontière des monopoles historiques s’est étendue bien au-delà du maillon des activités en monopole naturel » (Lévêque 1998, p.65). Ce constat a motivé de nombreuses réformes des industries de réseau, dans les télécommunications, l’électricité ou le secteur postal. Pourquoi ne pas s’en servir pour interroger le renouvellement de la gouvernance des services publics de transport urbain ? D’autant que cette seconde piste, celle du recentrage du monopole légal sur les frontières du monopole naturel, paraît quasiment un préalable à la première. La conjugaison de ces deux critiques complémentaires des monopoles publics nous amène donc à interroger l’une des pratiques de la gouvernance des transports collectifs urbain, celle de recourir à un exploitant unique.

En droit, la mise en concurrence de plus nombreux lots, l’allotissement des transports collectifs urbains, est en Province possible 293 . Mais du point de vue de l’économie normative, la question n’est pas simple. Ce choix implique un certain nombre d’arbitrages, dont ceux rappelé précédemment. Dans l’hypothèse où les transports publics forment un monopole naturel par agglomération, la théorie économique propose un arbitrage entre les déterminants technologiques, et les problèmes d’information (y c. le pouvoir de marché). Quand bien même la technologie est en monopole naturel, il peut être pertinent d’allotir le marché. C’est le point que nous développerons dans la première sous-section (4.2.1). Mais la technologie des transports urbains est complexe, et l’identification de la segmentation (fragmentation) la mieux à même de minimiser les coûts de l’allotissement nécessite une investigation de la structuration des activités et des métiers mobilisés (4.2.2). Enfin, pour recentrer l’analyse théorique des possibilités, l’étude des pratiques d’allotissement en Europe offre un aperçu des découpages réalisables (4.2.3). La question des frontières du monopole naturel fera l’objet d’une analyse empirique spécifique dans la section 4.3.

Notes
291.

Voir par exemple la synthèse et l’analyse de Combes, Jullien & Salanié (1997)

292.

Dans son argumentation, Demsetz (1968) identifie notamment deux hypothèses critiques pour que les appels d’offres fonctionnent, pour rendre possible et crédible l’existence de nombreuses offres concurrentes. D’une part, les inputs requis dans la production doivent être disponibles pour tous les offreurs potentiels à un prix déterminé par un marché libre (ce que le ne montre pas exactement). D’autre part, le coût de la collusion entre les enchérisseurs doit être prohibitif (ce que la sous section contredit en partie).