4.2.2.1 Répartition verticale des compétences et des responsabilités

Van de Velde (1999) a identifié trois niveaux de décision dans les services publics de transport collectif urbain :

  • Niveau stratégique (buts) : identification des finalités, des objectifs et des contraintes
  • Niveau tactique (élaboration des itinéraires et horaires) : choix de la desserte, des grilles horaire, des types de véhicule, des interconnections et des types de service
  • Niveau opérationnel (production) : organisation de la production, organisation des activités de commercialisation, et répartition des responsabilités sur les investissements

En première approximation, ces trois niveaux de décision reviennent aux trois types d’acteurs à l’origine de la production de TCU. Le niveau stratégique devrait être le lieu privilégié des choix démocratiques (des élus locaux). Au niveau tactique, une assistance de la structure administrative (l’AO) est incontournable car elle dispose de connaissances relativement indispensables sur les besoins (demande) et les coûts. Et au niveau opérationnel, les élus s’effacent la plupart du temps en faveur de l’AO et de l’exploitant, qui se répartissent les responsabilités de la mise en œuvre. Les exploitants sont généralement au moins en charge des activités de faible valeur ajoutée (traction, gestion des personnels, maintenance).

Dans certains pays européens (Van de Velde 1999), l’autorité publique définit le service, fixant dans le même temps les niveaux stratégique et tactique. En France, les élus s’impliquent parfois dans le domaine opérationnel, ce qui n’est pas toujours souhaitable (cf Chapitre 1). Il arrive aussi que l’autorité organisatrice laisse une partie des décisions tactiques à l’opérateur, comme à Helsingborg et à Malmö, sur les dessertes et la grille horaire essentiellement (ISOTOPE 2001). Par conséquent, au-delà d’un certain ancrage de chacun des trois types d’acteur sur chacun des trois niveaux de décision, les organisations ont de sensibles différences (ISOTOPE 2001, MARETOPE 2001, Puccio 2006), ce que la typologie de Van de Velde (1999) a le mérite de montrer.

En France, comme le résume le Tableau 50, l’autorité organisatrice occupe une place centrale et incontournable. Le rôle des élus est réduit aux décisions politiques, ou nécessite l’intermédiation de l’AO au niveau tactique. La plupart des tâches de gestion quotidienne sont attribuées à l’exploitant. Les décisions sur les enjeux de moyen terme (image, choix des véhicules) sont généralement dominées par l’AO. Et le design des réseaux (choix des lignes, des horaires et des arrêts) se réalise très souvent lors de la procédure d’appel d’offres. Sur la base de la proposition initiale de l’AO, les futurs cocontractants font des propositions et négocient, puis s’engagent sur un design généralement fixé pour toute la durée du contrat.

Tableau 50 : Niveau de décision et responsabilité dans le cas français

Source : Adapté d’après Van de Velde (1999)

En termes verticaux, certaines des activités présentées dans le Tableau 50 paraissent indissociables et/ou ne sont pas de nature à être déléguées. C’est notamment le cas des activités qui relèvent du niveau stratégique. En revanche, il existe aux niveaux tactique et opérationnel des marges de manœuvre. Le choix de conserver en propre (« in house ») certaines activités tactiques est réel. Puccio (2006) explicite notamment comment les autorités organisatrices de Londres, Copenhague, Stockholm et Helsinki ne délèguent à des entreprises privées que les tâches opérationnelles, conservant en propre la quasi-totalité du niveau tactique.

Toujours verticalement, au niveau opérationnel, on peut tout à fait imaginer que différentes entités réalisent les différentes tâches. Par exemple, en France, concernant les systèmes d’information en temps réel (information sur l’accès à une destination par Internet ou par téléphone), ce n’est pas toujours l’opérateur de transport en commun qui a l’initiative. Certaines agences de mobilité françaises offrent ce service, ce qui permet notamment de contourner les inconvénients (en termes d’information des usagers) d’un PTU trop réduit. On pourrait aussi imaginer qu’à l’image des renseignements téléphoniques (le « 12 »), ce service soit ouvert à la concurrence. D’autres pistes peuvent être évoquées :

  • Concernant la distribution, dans la plupart des agglomérations, la vente des titres de transport est ouverte aux buralistes.
  • Pour ce qui est de la maintenance, un certain nombre d’opérateurs fait déjà appel à des sous-traitants 296 spécialisés dans l’entretien des bus, ou à des filiales des constructeurs (sur la base d’un contrat associant vente du matériel roulant et maintenance).
  • Pour l’achat des véhicules, des entreprises de leasing agissant à la manière des RoSCo du système ferroviaire britanniques pourraient être introduites.

Au total, un grand nombre de dé-intégrations verticales sont envisageables. Ce n’est pas le cas horizontalement. La dé-intégration verticale du niveau tactique existe déjà dans plusieurs agglomérations, selon les responsabilités que décide de conserver en propre chaque AO.

Pour activités opérationnelles, un grand nombre de dé-intégrations verticales semblent testables, y compris concernant les services « de réseau » (tarification, information des voyageurs, gestion des correspondances…). Cependant toute dé-intégration horizontale de ces services « de réseau » aurait pour effet de détruire en grande partie leur valeur-client. L’intérêt de la « Carte Orange » serait par exemple nettement réduit si elle ne permettait plus d’emprunter les RER SNCF et les bus. Au niveau opérationnel, la traction (c’est à dire d’exploitation « brute » des lignes) est quasiment la seule activité pouvant faire l’objet d’une dé-intégration horizontale. A Londres, par exemple, 500 appels d’offres sont proposés pour les 700 lignes de bus, uniquement sur des activités de tractionnaire 297 .

Notes
296.

« Sous-traitance et cotraitance peuvent contribuer à l’efficacité économique, et donc être recherchées par la maître d’ouvrage » (Avis du Conseil de la concurrence n° 96-A-08 du 2 juillet 1996). Les obligations de sous-traitance formulées par la collectivité « sont inenvisageables, au moins au stade des candidatures et de la formation des offres » (CERTU 2003c, p.40). En effet, les sous-traitants, dans l’esprit de la loi Sapin, devraient faire l’objet de mises en concurrence. Cela dit, le Conseil d’État (avis n°364-803 du 8 juin 2000) autorise la « cession de l’ensemble d’une délégation de service public à un tiers avec l’assentiment préalable de la collectivité contractante ». L’autorisation de l’autorité organisatrice est bien sûr requise (Avis n° 99-A-16 du Conseil de la concurrence du 26 octobre 1999), à moins que la possibilité soit offerte à l’opérateur dans le contrat. L’article 3 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance précise que « l’entrepreneur qui entend exécuter un contrat ou un marché en recourant à un ou plusieurs sous-traitants doit, au moment de la conclusion et pendant toute la durée du contrat ou du marché, faire accepter chaque sous-traitant et agréer les conditions de paiement de chaque contrat de sous-traitance par le maître d’ouvrage ; l’entrepreneur principal est tenu de communiquer le ou les contrats de sous-traitance au maître d’ouvrage lorsque celui-ci en fait la demande. »

297.

L’autorité organisatrice du Grand Londres, Transport for London (Tfl), a conservé en propre la décision sur un nombre important de critères : définition de la tarification, définition des niveaux de service, politique commerciale, et information. TfL est aussi directement propriétaire des infrastructures, y compris des dépôts, gares, stations et abris voyageurs. Enfin, TfL se consacre à la préparation des appels d’offres et à l’évaluation des performances des entreprises.