4.2.2.2 La répartition horizontale de la production

Horizontalement, l’activité qui peut être répartie entre plusieurs opérateurs, ce qui est le cas dans un certain nombre de villes à l’étranger (cf. 4.2.3 et Tableau 51). L’activité de traction est celle qui est le plus souvent confier à différents opérateurs, comme à Londres, Stockholm, Helsinki ou Copenhague (Puccio 2006). Dans ces cas, plusieurs appels d’offres (par zone géographique ou par lot de lignes) sont organisés pour l’exploitation de services. Leur consistance est précisément définie dans les appels d’offres. Les « caractéristiques de réseau » (tarification, image, information du public…) sont gérés par l’AO ou par une entreprise (publique, semi-publique ou privée) intermédiaire.

L’une des questions liée à cette conception dé-intégrée horizontalement de l’exploitation des transports en commun (que nous appelons « allotissement ») est bien sûr le coût de la mise en concurrence. Malheureusement, le coût de la procédure de mise en concurrence pour les AO n’est généralement pas évalué. Plus précisément il n’existe pas de base de données rassemblant les informations à ce sujet. On sait toutefois que le coût de l’assistance externe pour la réalisation d’un appel d’offres unique sur le réseau d’une agglomération moyenne française est compris entre 15 000€ et 30 000 € (CERTU 1997, 1998a, 2003d), et peut monter jusqu’à 60 000€.

L’autre point important concerne la taille des lots qui pourraient être mis en concurrence. Les réseaux de bus de Londres, Copenhague, Helsinki ou Melbourne sont allotis par lots de taille réduite (par ligne ou par un petit nombre de lignes), tandis que les autorités organisatrices de Stockholm et Adélaide ont opté pour des lots de plus grande taille, parzones géographiques. En ce qui concerne les modes lourds, soit chaque technologie (c’est à dire chaque mode) constitue un lot, soitchacune est subdivisée. Théoriquement, de plus petits lots permettent d’abaisser les barrières à l’entrée, en diminuant les ressources nécessaires à une candidature 298 . Ils portent aussi le risque de briser certaines économies d’échelle et d’envergure, et se traduisent dans les faits par la constitution de groupes détenant plusieurs lots (voir par exemple, dans le cas de Londres, la Figure 41, page 238) reconstituant ex post les économies d’échelle et d’envergure. L’allotissement par zones géographiques ou par mode présente des caractéristiques inverses. Ce type d’allotissement permet a priori de préserver ex ante la plupart des économies d’échelles. En revanche, leur taille peut concourir à la formation d’une barrière à l’entrée.

Tableau 51 : Multiplicité des opérateurs de transport public par mode en Europe
VILLE Autorité de Transport Métropolitain MODES Nombre d’opérateurs par mode Dont opérateurs publics
AMSTERDAM
GVBA
Gemeentevervoerbedrijf Amsterdam
AUTOBUS URBAIN 1 1
MÉTRO 1 1
TRAMWAY 1 1
FERRY 1 1
ROA
Regional Organ
AUTOBUS INTER. 1 1
CHEMIN DE FER B. 1 1
COPENHAGUE HT
Copenhague Transport
AUTOBUS 7 1
CHEMIN DE FER B. 6 1
FERRY 1  
STOCKHOLM SL
AB Storstockholms Lokaltrafik
AUTOBUS 3  
MÉTRO 1  
TRAMWAY 1  
CHEMIN DE FER B. 2  
FERRY 1  
LYON SYTRAL
SYndicat Mixte des Transport pour le Rhône et l’Agglomération Lyonnaise
AUTOBUS-TROLL. 1  
MÉTRO 1  
FUNICULAIRE 1  
CHEMIN DE FER B. 1 1
MANCHESTER GMPTA/GMPTE
G. Manchester Passenger Transport Authority/Executive
AUTOBUS > 50  
MÉTROLINK 1  
CHEMIN DE FER B. 5  
MILAN ATM
Azienda di Transporti Milanesi
AUTOBUS-TROLL. 1 1
MÉTRO 1 1
TRAMWAY 1 1
CHEMIN DE FER B. 2 2
MUNICH MVV
Münchener Verkehrs-und Tarifverbund GmbH
AUTOBUS URBAIN 1 1
MÉTRO 1 1
TRAMWAY 1 1
AUTOBUS INTER. 51 1
CHEMIN DE FER B. 2 1
ZURICH ZVV
Zurcher Verkhrsverbund GmbH
MODES URBAINS 6 5
AUTOBUS INTER. 6 5
CHEMIN DE FER B. 2 1
+26 opérateurs dont 3 Chemins de Fer, 1 Bateaux, 19 Autobus… 50%
MADRID CRTM
Consorcio Regional de Transportes de Madrid
AUTOBUS URBAIN 1 1
MÉTRO 2 1
AUTOBUS INTER. 33  
CHEMIN DE FER B. 1 1
BARCELONE ATM
Autoritat del Transport Metropolitá
AUTOBUS 1 1
MÉTRO 1 1
CHEMIN DE FER 2 2
AUTOBUS INTER. 40  

Source : rapport de Michel Destot sur les « Transports publics urbains en Europe », Forum Européen de l’Energie et des Transports organisé par la DG TREN, 21 novembre 2006.

Les diverses expériences étudiées par Puccio (2007) montrent que « la logique qui prime aujourd’hui pour l’allotissement des modes lourds est de ne recourir qu’à une division modale ». Pour ce qui est du bus, une certaine diversité des tailles de lots proposés subsiste. Au total, comme le résume la Figure 37, la séparation entre le bus et les modes lourds est très courante 299 . Chaque technologie (métro, tramway…) est généralement gérée par un seul opérateur, mais chacun des modes est plutôt l’objet d’un lot séparé. Concernant les bus, dont la production globale est plus importante et dont la technologie nécessite moins d’interactions entre opérateurs (sur le partage des gares, la régulation du trafic…), les opérateurs peuvent être plus nombreux. Du cas de Londres où les appels d’offres se font quasiment par ligne de bus, au cas d’un allotissement par zone géographique comme à Stockholm, l’expérience n’a pas encore tranché en faveur de l’une de ces deux options. Notons aussi que l’hypothèse d’un allotissement par dépôt proposé par Puccio (2006) ne peut être écartée d’un revers de main.

Figure 37 : Modalités de l’allotissement en Europe (Puccio 2007)

Toutes ces considérations sur la dé-intégration horizontale des réseaux peuvent aussi être éclairées par la structuration organisationnelle des exploitants français. Les observateurs attentifs du secteurs savent que les grands groupes (Véolia Transport, Kéolis ou Transdev) ont une conception très décentralisée de la gestion des réseaux locaux. Dans chaque agglomération, le directeur local a un pouvoir important (il est assisté de la structure régional dans les petits réseaux). Il est autonome pour un grand nombre de décisions, et possède beaucoup d’informations que le siège ne gère qu’à un niveau agrégé. Les sièges des groupes s’impliquent plutôt lors de missions d’expertise ponctuelles, notamment au moment des appels d’offres.

Ce qui est moins connu, c’est que les filiales locales délèguent elles-mêmes de nombreuses responsabilités à leurs différents établissements (qui sont souvent les dépôts) ou services. Et cette responsabilition des différentes composantes d’une entreprise locale est une tendance qui semble s’accentuer. Les dernières ré-organisations du réseau grenoblois en est un exemple. La Sémitag (Transdev) a récemment décentralisé son bureau des méthodes vers ses trois établissements 300 . Les compétences et responsabilités de ces trois établissements, qui étaient importantes, le sont donc encore plus.

Autre exemple, le cas de la Société Lyonnaise des Transports en Commun (filiale de Kéolis), détentrice du contrat d’exploitation pour le compte de l’autorité organisatrice des transports en commun de l'agglomération lyonnaise (Sytral). L’entreprise était divisée en 2004 en 10 « unités de transport » (voir Figure 38) auxquelles s’ajoute un siège social (549 personnes) : 8 unités de transport de surface (2 591 personnes sur 9 dépôts), 1 unité de transport de métro (591 personnes sur 3 dépôts), 1 unité de transport tramway (198 personnes sur 1 dépôt).

Figure 38 : Décentralisation de la gestion des transports en commun de Lyon au sein de la société détentrice de l’unique contrat d’exploitation (SLTC)

Source : Société Lyonnaise des Transports en Commun (2004-2005), intervention pour le Master Economie et Management mention transports urbains et régionaux de personnes, Université Lumière Lyon 2.

Les Unités de production ont un rôle relativement élargi au sein de Kéolis-Lyon :

  • Mettre en œuvre les moyens nécessaires à l’exécution du service dans le respect des normes de qualités contractuelles : personnel de conduite et maintenance, parc de matériel roulant.
  • Assurer la maîtrise des coûts de production: budgets décentralisés, contrôle de gestion local.
  • Participer à l’évolution de l’offre de service: adaptation fine des horaires, itinéraires.
  • Assurer la sécurisation des passagers et conducteurs

Les fondations d’un allotissement existent donc déjà dans les gros réseaux français, à travers notamment les choix de décentralisation des décisions que les entreprises ont faits en interne. Il est en effet possible de supposer qu’il est conforme aux intérêts des opérateurs de réseaux comme celui de Lyon de ne pas briser inutilement les principales économies d’échelle et d’envergure. Si ces exploitants ont décidé qu’il était souhaitable de décentraliser les décisions, c’est très probablement parce qu’il leur paraît préférable de tirer profit des incitations que procure une prise de décision locale, par rapport à la perte de coordination globale que cela engendre. Cela dit, ces modes d’organisation ne génèrent pas de coûts de transaction supplémentaire entre l’autorité publique et l’exploitant. L’un des enjeux est donc aussi de savoir, au sens de la théorie des coûts de transaction, si les coûts de coordination dans la firme sont supérieurs aux coûts de transaction qu’engendrerait une coordination externe par l’autorité publique.

En conclusion, étant donné la technologie des transports publics urbains, ce que suggère l’étude de quelques expériences, et l’observation de la manière dont les opérateurs français s’organisent en interne, il est possible de brosser les quelques traits de ce qui pourrait caractériser l’allotissement en France.

D’une part, verticalement, certaines fonctions transversales (informations du public, gestion des recettes commerciales…) sont confiées à différents types d’entité selon les choix des AO, ce qui implique que ce n’est pas l’opérateur qui est incontestablement le mieux placé pour toutes les réaliser. Il pourrait s’agir de compétences conservées en propre par l’AO, ou qu’elle délègue à un tiers.

D’autre part, les activités de traction semblent tout à fait pouvoir être réalisées par différents opérateurs, selon la technologie (le mode) et même par groupe de lignes concernant le bus. Tout au moins, les coûts de coordination au sein des plus grands exploitants semblent moins importants que les gains réalisés par la décentralisation des décisions. Il existe peut-être aussi des déséconomies d’échelle et d’envergure.

Toutefois, si les dé-intégrations sont possibles à certains niveaux (elles ne sont pas des abérations économiques ou technologiques), cela ne signifie pas qu’elles sont souhaitables. Tout au plus, cette sous-section 4.2.2 montre les pistes qui méritent d’être évaluées. De plus, l’allotissement implique une multiplication des procédures de mise en concurrence, et il conviendrait de s’assurer que ce choix implique un gain global. Nous proposons dans ce qui suit d’éclairer cet arbitrage complexe par une mise en perspective des expériences européennes.

Notes
298.

Dans une étude citée par Puccio (2007) portant sur une centaine d’enchères à Londres entre avril 1999 et décembre 2000 à Londres, Toner (2001) montre de plus de 80% des lots nécessitaient moins de 15 véhicules.

299.

y compris dans les villes où un opérateur public historique gère la totalité du réseau, par le biais de filiales distinctes (Athènes, Barcelone, Lisbonne…).

300.

Source : François Ravez, responsable analyse et définition de l’offre, Sémitag