Conclusion du Chapitre 4

Les services publics de transport collectif urbain sont mis en concurrence dans la plupart des agglomérations françaises. Les procédures d’appel d’offres, « marché public » ou « délégation de service public », sont utilisées depuis de nombreuses années par les autorités organisatrices de Province. Mais le peu d’entreprises proposant des offres, à ces moments clés de la vie des réseaux de transport collectif, est problématique. Cette faiblesse de l’intensité concurrentielle lors des appels d’offres a pu être expliquée par des défaillances coté autorité publique, et coté exploitant. Concernant certaines autorités publiques, il semble que l’attractivité des appels d’offres ait pu être négligé, par une trop faible transparence/information, un projet trop peu mobilisateur ou un manque de rétribution des efforts des perdants. Coté opérateur, le Conseil de la Concurrence a très récemment montré que des comportements répréhensibles de cartel avaient pu exister.

Ce chapitre est ensuite orienté vers une piste particulière, celle de la dé-intégration des réseaux. La pratique française est de faire périodiquement un appel d’offres unique pour la totalité du réseau urbain d’une agglomération. Or ce n’est pas le cas partout dans le monde, notamment au Nord de l’Europe. Nous avons souhaité envisager l’alternative que représente l’allotissement, c’est à dire la mise en concurrence de plusieurs lots dans la même agglomération. Les enjeux se révèlent être d’une triple nature : la question des coûts de production au sens technologique, celle des pouvoirs de marché locaux et celle des coûts de transaction. La première de ces trois problématiques a été plus particulièrement explorée, sachant que ce travail s’inscrit dans une recherche collective associant le LET et le centre ATOM (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne).

Concernant la formation des coûts du transport collectif, pour apporter des éléments de réponse sur l’allotissement, les rendements d’échelle et d’envergure sont les caractéristiques principales à explorer. Notre contribution se compose d’une estimation économétrique de la fonction de coût d’un panel de 141 réseaux de Province sur la période 1995-2002, et d’une revue de la littérature sur ce thème. La conclusion principale, dans le cadre des hypothèses relatives aux données et aux modèles, est qu’il n’existe pas de monopole naturel global. Plus en détail, deux types de résultats peuvent être distingués.

D’une part, il existe clairement des segments de marché distincts de la production « grand public » : scolaires, personnes à mobilité réduite, transport à la demande… Les synergies dans la réalisation conjointe (dans la même ville) des transports collectifs de masse et de ces segments particuliers n’ont jamais été identifiées dans la littérature. L’allotissement est donc viable du point de vue productif, en ce qui concerne les segments de demande distincts et/ou faisant appel à des matériels spécifiques. Ce résultat est le plus trivial, puisqu’il correspond à une pratique existant même en France.

D’autre part, pour le réseau « grand public », nous avons montré qu’il n’existait pas de monopole naturel quel que soit le niveau de production. Les estimations réalisées identifient une taille de lot optimale à l’intérieur de l’échantillon, en termes de véhicules-kilomètres offerts. Ces résultats sont conformes à la plupart des résultats de la littérature économétrique appliquée à ce domaine. Ils décrivent un gain à la séparation modale (bus et modes lourds), comme à Londres et en Scandinavie, et une taille optimale des lots de bus comprise entre la pratique londonienne (1 ou 2 lignes par lot) ou scandinave (2-5 zones géographiques par agglomération).

Enfin, et surtout, l'hypothèse du monopole naturel des transports urbains sur la totalité d'une agglomération, souvent considérée comme acquise et dominant toutes les autres considérations, n'est pas validée par nos résultats, par la littérature et par les performances de pratiques étrangères alternatives. Notre contribution éclaire donc le débat sur l'allotissement, en montrant que la gouvernance par appel d'offres sur des lots n'est pas une solution à écarter d'emblée, en invoquant l'existence systématique d'un monopole naturel. Par contre, il est très probable que le monopole naturel existe sur des lots d’au moins 4-5 lignes de transport en commun.

L'allotissement est une piste sérieuse de renouvellement de la gouvernance mono-partenaire actuelle, qui souffre d'un environnement concurrentiel parfois trop limité pour être efficace. Ce n'est bien sûr pas la seule solution envisageable, ni la meilleure. Plusieurs recherches en cours au LET ont pour objectif d'aller vers une analyse coût-avantage de l'allotissement plus complète.