Conclusion générale

Cette recherche étudie la performance des services publics de transport collectif urbain. Son objectif n’est pas d’identifier les bonnes et les mauvaises missions de service public. Son propos se concentre en revanche sur les moyens utilisés pour assurer tel ou tel niveau de service, sur les choix de réglementation et de gouvernance.

Le premier chapitre traite du lien entre coût des transports collectifs urbains et réglementation du travail. Les deuxième et le troisième chapitres se concentrent sur les aspects de gouvernance (régime de propriété et type de contrat), dans le cas typiquement français d’un unique exploitant par agglomération. Le troisième chapitre détaille en particulier une évaluation économétrique de ce problème, qui a fait l’objet d’une publication 388 . Le quatrième chapitre aborde la question de la délégation simultanée à plusieurs exploitants. Il traite donc à la fois de la réglementation des appels d’offres, et de l’opportunité d’une gouvernance par lot.

Le premier chapitre aborde l’un des points sensibles des transports de voyageurs : le pouvoir de blocage des salariés et les bénéfices qu’ils peuvent en tirer. Nous avons principalement abordé le problème par le prisme de la théorie de la réglementation, qui apporte d’importants éléments de compréhension de la situation. Et en termes de méthode, sur le plan empirique, toute l’analyse des données (salaires et conditions de travail) est bâtie sur la comparaison entre urbain et interurbain. Les salariés sont en effet rattachés à l’une ou l’autre des conventions collectives selon qu’ils appartiennent à une entreprise qui produit des transports de voyageurs en zone urbaine ou non, mais les métiers et qualifications sont relativement comparables. Nos comparaisons montrent une réglementation (dans les conventions collectives) des conditions de travail et de rémunération significativement plus avantageuses dans l’urbain. Et il est possible que ces avantages soient dus à une forme de capture de la réglementation, le pouvoir de pression sur les élus étant nettement plus élevé dans les transports urbains.

Nous avons, dans ce premier chapitre, essayé d’identifier le chemin emprunté par la capture. Le premier fait mis en évidence est que les contrats de délégation traitent la Convention Collective comme un paramètre exogène, alors qu’une partie des résultats des négociations paritaires dépend précisément du traitement des modifications de la Convention Collective par les contrats. En second lieu, il semble que les entreprises n’aient pas intérêt à négocier âprement la Convention Collective, car elles n’en subissent pas toutes les conséquences. Les Autorités Organisatrices, réglementairement non concernées, participent en fait à la négociation car elles vont prendre à leur charge une importante partie des nouvelles dispositions conventionnelles (hausse de salaire, amélioration des conditions de travail). En effet, le blocage des transports collectif est préjudiciable électoralement à court terme. Les élus locaux préfèrent éviter toute grève en accédant rapidement aux revendications des syndicats de salariés. Enfin, la concurrence lors des appels d’offres est limitée par le fort déterminisme de la Convention Collective sur les conditions de travail et les salaires. Les entreprises en place y trouvent donc une protection. Au total, nous montrons que la dérive, à long terme, des conditions de travail et de rémunération peut donc être expliquée par la conjonction du pouvoir de nuisance des salariés, des intérêts électoraux de court terme, et de la relative inconséquence de l’amélioration de la Convention Collective sur le profit des entreprises.

Le deuxième chapitre nous a permis de mettre en évidence la diversité des modes de gouvernance des services de transport public urbain en France, et les enjeux de performance dont ils sont à l’origine. Les autorités organisatrices jouissent d’une liberté importante dans leur constitution, et surtout dans la relation avec leur exploitant.

Cette gouvernance de l’exploitant est organisée sur la base de trois régimes de propriété (régie, délégation à une SEM, délégation à une entreprise privée) et de trois types de contrat pour les délégations (gérance, gestion à prix forfaitaire, compensation financière forfaitaire).

A la lumière de la théorie économique, quelques propositions ont été avancées sur les caractéristiques et les performances présumées des modes de gouvernance. Tout d’abord, la théorie des contrats incomplets montre que la délégation à un opérateur privé porte probablement plus d’efficience productive que la gestion publique ou semi-publique, car elle attribue notamment les gains résiduels aux détenteurs des droits de décision résiduels. Par ailleurs, le choix du contrat de délégation en faveur de ceux qui sont les plus incitatifs (contrats CFF et GPF) peut théoriquement (nouvelle économie de la réglementation) conduire à une meilleure efficience (relativement aux contrats de gérance) parce qu’ils récompensent l’effort inobservable de l’exploitant. Enfin, la théorie des coûts de transaction montre que les contrats avec des entreprises privées, et a fortiori ceux qui sont incitatifs, peuvent entraîner des coûts de renégociation (comportements opportunistes) et de non-adaptation, lorsque les transactions sont réalisées avec des actifs spécifiques et dans un environnement incertain.

Le troisième chapitre a pour objectif de tester les principales propositions théoriques établies dans le chapitre 2. On y définit tout abord l’efficience des opérateurs, en mettant en évidence les risques d’une mesure trop globale, ne considérant par l’hétérogénéité des contraintes encadrant les marges de manœuvre de chaque exploitant. Nous y justifions le choix de l’efficience technique comme critère de performance, et l’utilisation de la méthode des frontières de production pour la mesure de l’efficience. Les modèles de frontière stochastique sont en effet adaptés à l’évaluation de l’influence des modes de gouvernance que nous souhaitons réaliser.

Les résultats obtenus confirment l’influence significative des modes de gouvernance. D’une part, le régime de propriété retenu par l’autorité organisatrice est bien une variable déterminante de l’efficience technique, et la propriété publique de l’exploitant de transport urbain n’apparaît pas comme étant la configuration impliquant la meilleure productivité. D’autre part, le type de contrat choisi pour encadrer la relation entre l’autorité organisatrice et l’exploitant a une incidence sur l’efficience de la production. Les contrats incitatifs conduisent à une meilleure efficience que les contrats cost plus. Dans le cadre des hypothèses du modèle et des données utilisées, le meilleur choix de gouvernance qu’une autorité organisatrice puisse faire pour atteindre (statistiquement) le niveau le plus élevé d’efficience technique, est de déléguer l’exploitation du service à un exploitant privé par un contrat de gestion à prix forfaitaire (GPF). Les résultats montrent aussi que le plus mauvais choix identifié est de gérer le service par l’intermédiaire d’une société d’économie mixte (SEM) et d’un contrat de gérance.

Le quatrième chapitre n’aborde que le cas des transports collectifs urbains mis en concurrence, ce qui est le cas dans la plupart des agglomérations françaises. Les procédures d’appel d’offres, « marché public » ou « délégation de service public », sont utilisées depuis de nombreuses années par les autorités organisatrices de Province. Mais le peu d’entreprises proposant des offres, à ces moments clés de la vie des réseaux de transport collectif, est problématique. Cette faiblesse de l’intensité concurrentielle lors des appels d’offres a pu être expliquée par des défaillances du coté autorité publique (transparence/information), et du coté exploitant (cartel).

Ce chapitre est ensuite orienté vers une piste particulière, celle de la dé-intégration des réseaux. La pratique française est de faire périodiquement un appel d’offres unique pour la totalité du réseau urbain d’une agglomération. Or ce n’est pas le cas partout dans le monde, notamment au Nord de l’Europe. Nous avons souhaité envisager l’alternative que représente l’allotissement, c’est à dire la mise en concurrence de plusieurs lots dans la même agglomération. Les enjeux se révèlent être d’une triple nature : la question des coûts de production au sens technologique, celle des pouvoirs de marché locaux et celle des coûts de transaction.

La première de ces trois problématiques a été plus particulièrement explorée dans ce chapitre. Concernant la formation des coûts du transport collectif, pour apporter des éléments de réponse sur l’allotissement, les rendements d’échelle et d’envergure sont les caractéristiques principales à explorer. Notre contribution se compose d’une estimation économétrique de la fonction de coût d’un panel de 141 réseaux de Province sur la période 1995-2002, et d’une revue de la littérature sur ce thème.

La conclusion principale, dans le cadre des hypothèses relatives aux données et aux modèles, est qu’il n’existe pas de monopole naturel global. D’une part, il existe clairement des segments de marché distincts de la production « grand public » : scolaires, personnes à mobilité réduite, transport à la demande… Les synergies dans la réalisation conjointe (dans la même ville) des transports collectifs de masse et de ces segments particuliers n’ont jamais été identifiées dans la littérature. L’allotissement est donc viable du point de vue productif, en ce qui concerne les segments de demande distincts et/ou faisant appel à des matériels spécifiques. Ce résultat est le plus trivial, puisqu’il correspond à une pratique existant même en France. D’autre part, pour le réseau « grand public », nous avons montré qu’il n’existait pas de monopole naturel quel que soit le niveau de production. Les estimations réalisées identifient une taille de lot optimale à l’intérieur de l’échantillon, en termes de véhicules-kilomètres offerts. Ces résultats sont conformes à la plupart des résultats de la littérature économétrique appliquée à ce domaine. Ils décrivent un gain à la séparation modale (bus et modes lourds), comme à Londres et en Scandinavie, et une taille optimale des lots de bus comprise entre la pratique londonienne (1 ou 2 lignes par lot) ou scandinave (2-5 zones géographiques par agglomération).

Notre contribution éclaire donc le débat sur l'allotissement, en montrant que la gouvernance par appel d'offres sur des lots n'est pas une solution à écarter d'emblée, en invoquant l'existence systématique d'un monopole naturel. L'allotissement est une piste sérieuse de renouvellement de la gouvernance mono-partenaire actuelle, qui souffre d'un environnement concurrentiel parfois trop limité pour être efficace. Ce n'est bien sûr pas la seule solution envisageable.

Notes
388.

Roy W. & Yvrande-Billon A. (2007), “ Ownership, Contractual Practices and Technical Efficiency: The Case of Urban Public Transport in France ”, Journal of Transport Economics and Policy, 41(2), pp. 257-282.