Introduction

L’éducation doit permettre la découverte de l’autre comme une réalité différente, comme quelque chose qui me complète, au lieu de me diminuer, quelque chose qui m’enrichit et me fait grandir.
(Saint-Exupéry, 1900-1944 1 )

Cette recherche marque une nouvelle étape d’une aventure inscrite dans un parcours déjà long jonché de tant d’autres étapes qui ont contribué à la construction de notre profil tant personnel que professionnel. Tout commença quand, dans les années soixante dix, nous étions l’une des protagonistes du mouvement dit de l’intégration scolaire au Portugal. Après avoir réalisé notre formation dans le domaine de l’enseignement spécial, dans l’environnement de la déficience motrice, nous fûmes chargée par le Ministère de l’Éducation, avec nos collègues, de « faire entrer » dans l’école ordinaire, les enfants en âge scolaire, classés par un diagnostic dans la catégorie de la déficience motrice. Notre mission prévoyait aussi d’assurer leur accompagnement scolaire et d’apporter un soutien aux enseignants de ces classes ordinaires auxquels ces élèves étaient confiés. Ce fut un travail ardu qui nécessita de parcourir concrètement de nombreux kilomètres afin de faire l’inventaire des situations de déficience motrice concernant les enfants en âge scolaire à partir desquelles nous nourrissions l’espoir d’un regard plus attentif et une possible amélioration de la qualité de vie de ces enfants. Pour faire face aux difficultés inhérentes aux transports routiers 2 de l’époque fasciste, nous utilisions largement la communication écrite par laquelle, dans un dialogue simple et ouvert, les parents, surtout les mères, confiaient leurs aspirations et leurs craintes auxquelles, nous-même, jeune professeur et jeune mère, allions répondre avec l’enthousiasme de la jeunesse et avec la naïveté de penser que les utopies pourraient, à court terme, devenir réalités, en aidant à faire les petites conquêtes dont nous rêvions ensemble pour ces enfants et ces adolescents. Nombre vécurent pour la première fois avec d’autres enfants, certains même laissèrent pour la première fois un mode de vie qui ne les mettaient en contact qu’avec des animaux de ferme. Comment oublier ce jour où nous avions quitté Lisbonne à l’aube, et où, après un long parcours, parvenue au bout de la route carrossable, la seule possibilité que nous restait, était de poursuivre à pied notre chemin sur plusieurs kilomètres, ce que nous avions fait alors. En fin de journée, nous sommes arrivée dans un village entouré de montagnes et de forêts de sapins. Là une table humblement mais chaleureusement dressée nous attendait avec un gâteau tout spécialement cuisiné pour l’occasion et, à côté de celle-ci, un enfant souffrant d’une paralysie cérébrale !

Cette intervention, mais aussi bien d’autres, était le résultat d’une démarche pionnière dans l’adhésion au mouvement de l’intégration scolaire, lancé dans les pays nordiques et soutenu, entre autre, par la Suède. Comme il y avait peu, très peu de réponses éducatives pour les situations de déficiences, notre tâche fut facilitée. L’ouverture que nous avons donnée avec la Révolution d’Avril [25 avril 1974] fit le reste, en canalisant vers l’école ordinaire, une grande partie des élèves en situation de déficience sensorielle (auditive ou visuelle) et motrice. L’entrée de ces élèves, étendue ensuite à d’autres problématiques, ne s’est plus interrompue et, selon les données de l’Observatoire des soutiens éducatifs du Ministère de l’Éducation, en 2000/2001, des 79 572 élèves signalés avec des besoins éducatifs spéciaux (5% de la population scolaire), 75 040 (94%) sont dans une école régulière [ordinaire].

L’entrée conséquente des élèves classés avec des besoins éducatifs spéciaux, dans le système ordinaire d’enseignement et l’augmentation corrélative des enseignants pour intervenir en soutien, mais sans formation et même très souvent assumant cette fonction pour faciliter la résolution de problèmes personnels 3 , nous a conduite vers une approche méthodique et rigoureuse pour étudier ces phénomènes sociaux au travers de travaux de recherche scientifiques. Ainsi, au début des années quatre vingt dix, la thématique organisant le mémoire de Master Recherche 4 que nous avons réalisé, était focalisée sur la compréhension des réponses qui avaient été données et celles qui le sont encore, en cherchant l’articulation entre la formation en éducation spéciale et les pratiques des enseignants de l’éducation spéciale, dans le modèle en vigueur, celui de l’intégration scolaire.

Avec la Conférence de Jomtien (1990), faisant suite à la Déclaration de Salamanque (1994) 5 , et ses principes orienteurs, de nouveaux chemins furent tracés pour délimiter des politiques et des pratiques éducatives, en ce qui concerne l’éducation pour tous dans des contextes inclusifs, préconisant la réussite de tous par la réussite de chacun. L’engagement dans l’adoption de ces mesures, de la part des pays qui adhérèrent à celles-ci, nous conduisit alors à porter un regard attentif aux discours proférés par les mentors de l’Éducation ainsi qu’aux discours tenus par les acteurs de ce secteur spécifique que sont les enseignants de soutien éducatif, et à leurs pratiques au sein des écoles, en fonction des élèves qualifiés par des besoins éducatifs spéciaux 6 . En ce moment, au Portugal, nous pouvons constater que le discours des experts, des enseignants de soutien éducatif et même la teneur des textes législatifs invitent progressivement à construire un système orienté par les objectifs et les caractéristiques de l’éducation inclusive pour tous les élèves. Cependant, force est de constater que l’organisation concrète de l’école et les pratiques observables restent globalement en retrait par rapport à ce discours et à ces textes. Quelle est donc l’origine de cet écart entre les incitations et les mises en œuvre ?

En analysant les discours que les mentors de l’Éducation produisent, les mesures politiques adoptées par le Gouvernement et les Instances de la République et le terrain même où se réalise l’action éducative, nous constatons que de nombreuses variables interviennent et s’entrecroisent. Systématiquement, celles-ci semblent donner origine à une situation quelque peu préoccupante de l’éducation, en général, et de l’éducation inclusive, en particulier, et c’est dans leur étude que nous pouvons expliciter la (les) réponse(s) ou une partie des réponses à notre question principale. Dans l’impossibilité de couvrir la totalité du phénomène, nous avons sélectionné pour cette étude, un secteur très spécifique de la population scolaire, les enseignants de soutien éducatif, enseignants qui sont placés dans l’école ordinaire pour donner un appui aux élèves classés dans la catégorie de ceux qui ont des besoins éducatifs spéciaux. L’observation attentive de l’école ordinaire et des pratiques éducatives qui s’y développent, nous permet d’avancer l’hypothèse que les enseignants de soutien educatif mettent en œuvre des pratiques d’education spéciale (depuis 1970) qui restent éloignées d’une education inclusive (en référence à la Déclaration de Salamanca, 1994). Ces pratiques contribuent à maintenir l’écart constaté entre le discours et la réalité éducatifs.

Très peu d’études ont été menées, au Portugal, dans ce domaine spécifique et encore moins qui prennent comme objets d’étude les enseignants de soutien éducatif. Dans les années quatre vingt dix, avec l’apparition des Masters Recherche en Sciences de l’éducation, ces thématiques commencèrent à émerger en tant qu’objet d’étude pour le mémoire de recherche, mais ces travaux demeurent dans une proportion relativement faible 7 .

Préoccupée par cette question, nous nous sommes donc engagée dans une recherche pour mieux connaître, au travers de ce que les enseignants de soutien éducatif disent quand ils sont provoqués par des questions écrites, de ce qu’ils pensent sur l’inclusion des élèves classés dans la catégorie de ceux qui ont des besoins éducatifs spéciaux, de ce qu’ils font quand ils travaillent avec ces derniers et enfin de ce qu’ils aimeraient faire. Pour ceci un échantillon d’enseignants de soutien éducatif fut soumis à un questionnaire construit avec des questions de divers formats dont des questions ouvertes avec des réponses textuelles à côté de questions fermées. Pour accéder à ce qu’ils aimeraient faire, nous les avons placés face à une situation problème concrète pour laquelle nous leur demandions de collaborer à la résolution.

Compte tenu du fait que c’est au premier de cycle de l’enseignement basique que nous souhaitions développer cette investigation, le cas présenté est celui d’un enfant de ce niveau scolaire. Dans la mesure où les problèmes comportementaux constituent le plus grand défi auxquels les enseignants 8 sont confrontés, nous avons sélectionné un cas avec une problématique de cette catégorie. Enfin, nous avons choisi la Région académique de Lisbonne parce qu’elle est parmi les cinq qui divisent le Portugal dans son organisation administrative de l’éducation, celle qui concentre la plus forte proportion d’enfants et d’adolescents avec des besoins éducatifs spéciaux (43,4% 9 ). Elle est aussi celle que nous connaissons le mieux puisque nous relevons administrativement de cette région pour notre travail professionnel.

Pour le développement de ce travail de recherche, nous partons d’un état des lieux, une revue de la question à partir d’une exploration des publications ayant comme point central les thématiques de l’éducation spéciale et de l’éducation inclusive ainsi que celles se référant aux acteurs principaux que sont les enseignant de soutien éducatif et à leurs pratiques pédagogiques concrètes. Nous n’avons pas non plus omis de questionner et de réfléchir sur les mesures politiques, mises en œuvre dans les textes législatifs, qui aident à donner forme aux pratiques développées par les acteurs éducatifs. Le mode par lequel prend forme tout ce travail de recherche est décrit en détail quand sont abordées les questions relatives à la problématisation et à la détermination du terrain sans cesser de réfléchir sur ce qui se produit ou ce qui pourrait ou devrait arriver. Ce que ces enseignants de soutien éducatif disent de ce qu’ils pensent, font et aimeraient faire, constitue la part la plus expressive de cette étude. Ces données que nous avons construites, ont été minutieusement analysées quantitativement et qualitativement.

Quelques points saillants intéressants ressortent de tout le processus de recherche et de la réflexion critique, même si nous n’avons focalisé notre regard que sur une situation qui paraît vouloir se transformer. En effet la situation dans laquelle se trouvent les enseignant de soutien éducatif reflète presque d’une manière paradigmatique, lato sensu, les difficultés enracinées dans ce que nous appelons une culture de l’indifférence aux différences, au sein de laquelle sont immergées les pratiques éducatives d’une construite pour sélectionner les meilleurs, mais jusqu’alors, en promouvant sa réussite, incapable d’éduquer en incluant tous ceux qui recherchent l’école.

Les cas de réussite mettant en jeu les méthodes de l’éducation inclusive paraissent donner raison à la possibilité de l’émergence d’un nouveau paradigme pour notre système scolaire d’éducation, à savoir celui d’une culture de la valorisation de la différence et de l’équité éducative.

Notes
1.

Saint-Exupéry, A. (1938). Terre des hommes. Paris Ed Gallimard (1ère Edition).

2.

Le pays était encore sous un régime fasciste [1932-1974], “fièrement seul” comme se plaisait à le dire le Premier Ministre Salazar.

3.

Problèmes de lieu de travail loin de la résidence personnelle, difficulté à tenir la classe, entre autres.

4.

Ce ne fut que dans les années quatre vingt qu’apparurent des Master-Recherche [Mestrados] en Sciences de l’éducation..

5.

Se référer aussi à l’Encadrement de l’Action de Dakar (2000), dont l’objectif principal est d’atteindre l’Éducation pour Tous à l’échéance de l’année 2015 et la Déclaration de Madrid (2002), avec le principe de «Non discrimination plus Action positive font l’Inclusion sociale».

6.

Deux expressions sont utilisées pour la même situation: élèves avec des besoins éducatifs spéciaux et élèves auxquels ont été attribués des besoins éducatifs spéciaux ou encore qui ont été classés dans la catégories des individus ayant des besoins éducatifs spéciaux. La première expression correspond à un usage commun chez les enseignants tandis que la seconde est utilisée au niveau du discours théorique, signifiant par là que l’expression « Besoins éducatifs spéciaux » est une construction sociale, plus ou moins aléatoire, dépendant des contextes dans lesquels on se situe.

7.

Dans une liste divulguée en 2004 par la Faculté de Motricité Humaine, parmi les 62 mémoires de mestrado [Master Recherche] réalisés dans l’environnement de l’Éducation Spéciale, seulement 4 concernent les enseignants de soutien éducatif. Un inventaire identique fut fait à la Bibliothèque Nationale et les résultats sont du même ordre.

8.

Conclusion de Meijer (2003). Educação inclusiva e práticas de sala de aula. European agency for development in special needs education.

9.

Données de l’Observatoire des Soutiens éducatifs, 2004/2005.