Éducation spéciale

Itard (siècle XIX) est considéré comme un des précurseurs de l’éducation spéciale et même, de la pédagogie scientifique pour son action auprès de Victor, l’enfant sauvage (Capul & Lemay, 2003; Gardou & Develay, 2005). L’intervention auprès des enfants en situation de handicap mentale ou sensorielle fut, durant des décennies, développées par des personnes individuelles, lesquelles, pour des raisons d’ordre divers, crurent qu’il était possible de changer le statu quo et optèrent pour la scolarisation de ces enfants dont ils firent la bannière de leurs vies et se consacrèrent à ce choix sans réserve. Leur action se développa dans les institutions privées ou sous la responsabilité de la sécurité sociale, loin des moyens normaux d’enseignement sous la responsabilité du ministère de l’éducation 20 , pour la «dangerosité» qu’ils [ces enfants] représentaient pour les autres ou parce qu’ils n’étaient pas crus capables d’accéder à la scolarisation. Depuis le XII.ème siècle (Gardou & Develay, 2005) des expériences pionnières ont été réalisées avec l’objectif de rendre possible l’éducation à ceux qui en étaient éloignés pour incompatibilités ou par incompréhension et ignorance du système éducatif, de ses agents et de la société en général. Des pas importants furent faits et de nouvelles formes d’accès aux codes institués furent alors découverts. Citons, à titre d’exemple, le code Braille, pour la communication écrite, et le Langage gestuel, pour la communication orale. L’intervention avec les surnommés de «différents» s’est constituée en un véritable laboratoire d’innovation et de découverte de l’apprentissage humain.

Avec le Warnock Report (1978) de nouvelles perspectives furent introduites au niveau de l’enseignement des enfants en situation de handicap et de ceux qui, pour d’autres raisons, se voyaient aussi exclus, formellement ou informellement, du système d’enseignement. En introduisant le concept de besoins éducatifs spéciaux 21 (BES), le même rapport propose que les difficultés scolaires des enfants soient analysées non en fonction de leur étiologie, sous des critères médicaux, mais sous des critères éducatifs, plus proches des difficultés scolaires présentées. La définition officielle du concept ne va arriver qu’en 1981, en Angleterre, avec l’éducation act, en considérant qu’un enfant nécessite une éducation spéciale s’il a quelques difficultés d’apprentissage qui exige une mesure éducative spéciale.

Ce nouveau terme a été longtemps «collé» aux enfants en situation de handicap, dans la mesure où les diverses catégories de handicap avaient été remplacées par le terme générique de besoins éducatifs spéciaux ou spécifiques. Les onze catégories de déficiences existantes en Angleterre, définies sous des critères médicaux, sont remplacées par le terme générique besoins éducatifs spéciaux (Armstrong & Barton, 2003). Peu à peu le concept se clarifie et la Déclaration de Salamanque (1994:6) donne sa contribution:

l’expression "besoins éducatifs spéciaux" se réfère à tous les enfants et les jeunes dont les carences sont liées à des déficiences ou des difficultés scolaires. Nombre d’enfants présentent des difficultés scolaires et, en conséquence, ont des besoins éducatifs spéciaux à un moment déterminé de leur scolarité.

Récemment, divers auteurs ont défendu et adopté cette perspective. Selon Plaisance (2003:31-32),

l’expression «besoin éducatif spécial (ou particulier)» a précisément été proposée en Grande-Bretagne dans le rapport Warnock (1978) pour se substituer au «handicap» Elle a ensuite été précisée dans l’education act de 1981. Selon les arguments avancés, le «handicap» comme notion médicalisante ne nous dit rien des capacités ou des difficultés pédagogiques de l’élève concerné. Au contraire, envisager les «besoins éducatifs spéciaux» revient à «démédicaliser» les perspectives d’action et à porter attention aux éventuelles difficultés d’apprentissage, quelles que soient leurs causes possibles (déficience, maladie, milieu social, etc.). C’est aussi reconnaître un continuum entre les élèves avec besoins spéciaux et les autres. (…) Certains défendent pourtant son adoption, au motif qu’il permettrait d’inclure, dans l’ensemble des dispositifs d’aide, non plus seulement des enfants et des adolescents habituellement désignés comme «handicapés» mais aussi ceux qui sont en échec scolaire grave, rejetés de l’école ordinaire et orientés vers des établissements spécialisés, tels que les Instituts de rééducation.

Armstrong et Barton (2003: 87, 88) affirment que les élèves ayant des

‘«besoins éducatifs spéciaux ou besoins éducatifs particuliers» (…) sont des élèves qui ont des difficultés d’apprentissage, très légères ou plus marquées selon les cas, sur le plan intellectuel ou dans le domaine de l’écriture et de la lecture. La majorité des élèves connaissent des échecs dans les disciplines de base. Beaucoup d’entre eux sont des jeunes ayant des troubles affectifs ou du comportement, plus ou moins graves, d’origines diverses. ’

La redéfinition et le détachement du concept du diagnostic médical furent un pas fait dans le sens de l’élimination de la catégorisation des personnes en situation de handicap. C’est une autre catégorie, il est vrai, mais une grande catégorie qui invite les techniciens à valoriser la fonctionnalité des enfants et des jeunes pour promouvoir leurs apprentissages. 22

Malgré cette tentative de ne pas étiqueter les enfants et de se décoller d’un diagnostic médical, celui-ci continue à être déterminante dans les décisions administratives et même dans le discours et les pratiques des professeurs. Ce n’était pas là l’intention initiale, mais rapidement le concept fut adopté et transformé en une super étiquette qui distingue ceux qui ont des besoins de ceux qui n’en ont pas, conduisant Ainscow (1990) à affirmer que la grande préoccupation à définir besoins éducatifs spéciaux et à y répondre est venu seulement porter préjudice aux enfants en cause parce qu’elle les a éloignés de leur groupe naturel.

L’intégration scolaire, dans les pays qui y adhérèrent, et l’adoption du nouveau concept vont donner naissance au sous-système de l’éducation spéciale à l’intérieur de l’enseignement régulier, pour prendre en compte les élèves avec des besoins éducatifs spéciaux et les professeurs de l’éducation spéciale qui les accompagnent. Le système se maintient à tous les niveaux et ces élèves et les professeurs qui les accompagnent devront faire tout ce qui est possible et même l’impossible pour faire accepter les règles et accéder au fonctionnement du système régulier, pour avoir droit à un lieu dans le milieu scolaire normal, tandis que le système ne se questionne pas et ne préconise pas le changement. S’ils ne réussissent, alors ils seront exclus.

La perspective que l’individu avec des problèmes est l’unique responsable de ceux-ci et qu’il lui revient de les résoudre, est visible dans le paradigme éducatif centré sur l’élève, avec une grande focalisation sur la compensation éducative. Ainsi l’élève est dans la classe régulière et il a un professeur d’éducation spéciale qui fait un programme pour lui, pour compenser ses domaines déficitaires, et le met en œuvre individuellement avec l’élève, en dehors de la salle de classe, où se trouve la classe à laquelle appartient l’élève.

Aujourd’hui on ne comprend pas une éducation spéciale pour une tranche des enfants et des jeunes, on ne comprend pas qu’il soit nécessaire de séparer les personnes pour les éduquer, pour leur enseigner à vivre avec les autres, pour les réunir après.

Au Portugal, en 1986, la Loi de bases du système éducatif définit comme un de ses objectifs relatifs à l’éducation scolaire, à l’enseignement de base, «assurer aux enfants avec des besoins éducatifs spécifiques, dus, par désignation, à des handicaps physiques et mentales, des conditions adéquates à leur développement et à la pleine jouissance de leurs capacités.» Le décret-loi 319/91, du 23 août, diffusa le concept de besoins éducatifs spéciaux et décréta la substitution des critères médicaux par des critères pédagogiques pour évaluer ces élèves. Il fut établi officiellement le régime éducatif spécial qui prend en considération une série de mesures à appliquer aux élèves avec des besoins éducatifs spéciaux, relevant d’un plan éducatif individuel et d’un programme éducatif (Art. 15 et 16) dans les cas les plus complexes, dont l’élaboration est de la «responsabilité du professeur d’éducation spéciale qui assure sa mise en œuvre» (Art 17).

L’éducation spéciale (évolution de l’enseignement spécial) est, selon ce qui a été dit, un ensemble de moyens mis au service des enfants et des jeunes avec besoins éducatifs spéciaux pour qu’ils aient accès aux apprentissages. Autres professionnels, autres méthodes (pas toujours), autres matières à apprendre (plus courtes, moins exigeantes), autres espaces à l’intérieur de l’école, mais la majeure partie du temps hors de la salle de classe à laquelle, par droit, ils appartiennent. Une éducation spéciale pour des élèves spéciaux.

Notes
20.

Au Portugal, dans les années 70, l’éducation des enfants en situation de handicap passa à être sous la responsabilité du Ministère de l’éducation.

21.

Besoins éducatifs spéciaux (BES), la traduction pas toujours consensuelle de special educational needs.

22.

Un phénomène identique est apparu dans la société civile, en remplaçant la Classification Internationale des Déficiences (CID) par la Classification Internationale de la Fonctionnalité (CIF).