1.2. En croisant perspectives et concepts

Tout le point de vue est la vue d’un point. Pour comprendre comment quelqu’un lit, il est nécessaire de savoir comment sont ses yeux et quelle est sa vision du monde. (Boff, 2002:9) 34

L’éducation des enfants et des jeunes en situation de handicap a constitué au travers de l’histoire, des moments très importants. Cependant récent le mouvement de l’intégration scolaire est, sans aucun doute, un de ceux-ci. Le partage de l’espace a été conquis pour vivre ensemble, pour les apprentissages et pour la grande possibilité de l’interaction parmi tous. Le fantôme du handicap s’est dilué et on a appris à avoir affaire avec la différence. On a créé une forme très adaptée pour agir et interagir avec les «différents», entre les «égaux», mais, en même temps, furent générées de nouvelles attentes et mises en équation de nouvelles formes d’interaction qui conduisent au mouvement de l’inclusion.

Nombreux furent les facteurs sociaux et éducatifs qui conduisirent à l’intérêt de poser dans l’agenda de l’Europe le combat contre l’exclusion, en commençant par l’exclusion scolaire. La pyramide sociale est en train d’élargir sa base selon les analystes sociaux; l’insuccès et l’abandon scolaire ou même le non accès à la scolarisation préoccupe, pour le moins à un niveau théorique, les représentants des grandes organisations éducatives internationales. Beaucoup a été dit et écrit à ce propos. Pour ceci, nous avons tenté de faire un relevé des perspectives les plus divulguées, dans le milieu dans lequel nous nous situons, près du chemin qu’on prétend parcourir: passer de l’exclusion à l’inclusion éducative, passer de l’«indifférence aux différences» (Rodrigues, 2003) pour la «célébration de la diversité» (CSIE) 35 , passer des communautés fermées à des communautés ouvertes dans lesquelles le respect pour soi et pour l’autre soient la divise et la priorité soit de rendre dignes les droits de la personne humaine.

Pour Ainscow (1995) il y a un chemin à parcourir pour arriver à l’école inclusive. La philosophie et les méthodes sont différentes de celles de l’intégration scolaire, comme on peut le voir dans le tableau suivant.

Tableau 1 – Ainscow (1995)
De l’intégration scolaire/éducation spéciale A l’inclusion scolaire/éducation inclusive
Des besoins éducatifs spéciaux A l’éducation pour tous
Des mesures complémentaires pour répondre aux élèves spéciaux A la réponse aux besoins éducatifs de tous les enfants et les jeunes
D’un système éducatif qui se maintient inaltérable dans ses lignes générales A la restructuration des écoles:
changements méthodologiques et organisationnels
réussite dans les apprentissages pour tous les enfants et les jeunes
De la perspective centrée sur l’enfant A la perspective centrée sur le curriculum

On peut constater que la perspective centrée sur l’individu reconnu avec des besoins éducatifs spéciaux s’étend à tous les élèves, ce qui va obliger à poser un autre regard sur le rôle de l’école dans la société, en exigeant des transformations méthodologiques et organisationnelles importantes. Ce ne sera pas une école qui sélectionne, mais une école qui fait l’inclusion de tous au travers des apprentissages, parce que l’élève est dans l’école pour apprendre, pour y réussir, indépendamment de ses difficultés et de ses différences. Apprendre à travailler avec la différence pour que chacun puisse vivre avec sa différence est le grand défi de l’école et des professionnels, et c’est ceci qui va faire tout changer. Il faut changer le regard sur l’école et repenser le rôle que l’éducation peut représenter dans la qualité de vie de l’homme.

Meijer (1998), en tant que coordinateur de la recherche Intégration en Europe: dispositions concernant les élèves à besoins éducatifs spécifiques , éditée par l’Agence européenne pour le développement sur les besoins éducatifs spéciaux, signale la différence entre l’intégration et l’inclusion, en faisant appel à la qualité de l’apprentissage en opposition à une simple présence physique, ce qui n’est pas suffisant pour obtenir un succès personnel et académique, comme le montre le tableau suivant:

Tableau 2 – Meijer (1998)
De l’intégration scolaire/éducation spéciale A l’inclusion scolaire/éducation inclusive
Du placement des élèves avec des besoins éducatifs spéciaux dans l’enseignement ordinaire A une évaluation de la qualité du programme ou de l’enseignement en général

Dans le contexte du document de l’OCDE «Implementing inclusive education» Porter (1997) fait une comparaison entre l’approche traditionnelle (intégration) et la nouvelle approche, celle de l’école inclusive:

Tableau 3 – Porter (1997 )
De l’intégration scolaire/éducation spéciale
(approche traditionnelle)
A l’inclusion scolaire/éducation inclusive
(approche inclusive)
De la focalisation sur l’élève A la focalisation sur la classe
De l’évaluation des élèves par des spécialistes A l’évaluation des conditions de l’enseignement et de l’apprentissage
Des résultats de l’évaluation traduits en diagnostic/prescription A la résolution coopérative de problèmes
Du programme pour les élèves Aux stratégies pour les professeurs
Du placement dans un programme approprié A l’adaptation et appui dans la classe régulière (ordinaire)

Pour Rodrigues (2001:20), l’école inclusive est un processus dans lequel les individus et les groupes, la méthodologie de la différentiation pédagogique et le curriculum en construction en sont l’objet:

Tableau 4 – Rodrigues (2001)
De l’intégration scolaire/éducation spéciale A l’inclusion scolaire/éducation inclusive
Des catégories Aux individus et groupes
Des produits différents Au processus
De la dichotomie méthodologique A la différenciation
De la dichotomie curriculaire Au curriculum en construction

Correia (2001) trace le parcours de l’intégration à l’inclusion, en passant d’un groupe spécifique d’élèves, les élèves considérés avec des besoins éducatifs spéciaux, à tous les élèves et pour tout apprentissage, avec une culture de l’école et de la salle de classe qui oblige à sa restructuration et à celle du curriculum:

Tableau 5 – Correia (2001)
De l’intégration scolaire/éducation spéciale A l’inclusion scolaire/éducation inclusive
De l’intégration physique et sociale - A l’intégration cognitive
- A l’accès académique, partagé avec les pairs
- A la culture de l’école et de la salle de classe
De l’homogénéité (élève moyen) - A la diversité comme principe et fin;
- A l’objectif premier: développement global des élèves
Des élèves avec des besoins éducatifs spéciaux A tous les élèves
De l’entrée de quelqu’un dans le courant principal: être une partie du tout. A faire partie du tout

Armstrong (2001) fait l’analyse des différences entre intégration et inclusion, en partant du «micro cosmos, l’école, au «macro cosmos», la société; des élèves «capables» à tous les élèves; d’un assistant de soutien à tous les adultes; de l’aide à l’individu à l’organisation de la classe, à la culture de l’école et à la transformation culturelle. Elle célèbre la diversité et l’acceptation naturelle de la différence:

Tableau 6– Armstrong (2001)
De l’Intégration scolaire/éducation spéciale A l’inclusion scolaire/éducation inclusive
De l’assimilationnisme – aménagements administratifs et techniques opérés entre les écoles ordinaires et les écoles spéciales Aux questions politiques sur la nature de la société et le statut accordé aux personnes
De les élèves considérés «convenables» qui peuvent fréquenter l’école ordinaire partiellement ou provisoirement - Au pas conditionnelle, non plus une inclusion partielle
- Au rendre tout accessible à tous
- Aux droits de tous les élèves à participer et à être acceptés dans les écoles ordinaires et dans la vie de la communauté
- Au maximum de possibilités d’apprentissage à tous les élèves (en citant Rouse & Florian, 1997)
- De l’assistant de soutien «attaché» à eux
- D’un adulte «accroché» à eux comme une sorte de gardien (en citant Ainscow, 1999)
A tous les adultes présents dans la salle de classe pour enseigner et soutenir tous les élèves, quelles que soient leurs différences
De l’intégration concentrée sur les difficultés et sur les voies qui permettent l’aide à des élèves en tant qu’individus Aux difficultés éducatives liées au contexte
De les pratiques qui construisent l’élève comme différent, à part, fragile et même potentiellement dangereux Aux enseignants et aux décisions qu’ils prennent, à leurs attitudes, aux relations qu’ils développent et aux formes qu’ils donnent à l’organisation de la classe comme des facteurs qui conduisent ou non à l’expérience de succès à l’école. (en citant Ainscow, 1999)
- De les graves implications en ce qui concerne les possibilités offertes aux élèves de devenir des «apprenants» indépendants et des acteurs sociaux autonomes
- De la pratique d’un soutien permanent en classe pour quelques élèves vus comme une utilisation dispendieuse et inéquitable des ressources
A une société plus tolérante et plus équitable
De la pratique d’un élève ou plusieurs élèves qui reçoivent de manière visible et évidente un traitement différent de celui des autres - A la diversité et les différences acceptées et célébrées
- A l’acceptation naturelle de la différence
- A la transformation complète des cultures de l’école
- Au processus de transformation culturelle

Warwick (2001) en se reportant à ce que le Comité Fish, en 1885, critiquait de l’intégration et de qu’il disait que devrait être (ce qui après fut appelé inclusion), nous situe aussi dans les grands principes qui font partie de l’inclusion scolaire: pour tous les élèves et avec la restructuration des programmes de l’école pour que les élèves puissent réaliser des apprentissages, malgré leur diversité et différence.

Tableau 7– Warwick (2001)

Gardou (2003) nous pousse à réfléchir sur nos comportements et sur ce qui est souhaitable pour des élèves en situation de handicap. Il souligne que ce qui est «bon» pour eux peut l’être aussi pour les autres. Il dessine les contours d’une révolution culturelle, comme le montre le tableau qui se suivit:

Tableau 8 – Gardou (2003)
Tableau 8 – Gardou (2003)

Les auteurs sélectionnés pour cette réflexion sont tous d’accord sur des points aussi importants comme ceux-ci:

Tableau 9 – Synthèse
De l’Intégration scolaire/éducation spéciale A l’inclusion scolaire/ éducation inclusive
De l’homogénéité A la hétérogénéité
De la normalisation Au droit à la différence
De les handicapés A tous les élèves
De la différence, un problème A la différence, un défi
De l’indifférence à la différence A la valorisation de la diversité
Du curriculum commun Au curriculum flexible
De la sélection des meilleurs Au succès pour tous
De l’individu A l’environnement
De l’isolement A la coopération
De l’aventure solitaire A la responsabilité collective
De l’entrée dans l’école, sous condition, en transportant les appuis mis à la disposition À faire partie de l’école que génère et rend disponible les conditions et les ressources nécessaires.
Du programme spécifique pour l’élève Aux stratégies pour la classe
De la différenciation pédagogique exclusive A la différenciation pédagogique inclusive
Du handicap A la fonctionnalité
De l’éducation spéciale pour les élèves spéciaux A l’éducation de succès pour tous
D’un adulte «accroché», «gardien» A tous les adultes présents dans la salle de classe, pour enseigner et soutenir tous les élèves
Du professeur consommateur, applicateur Au professeur créatif, chercheur et acteur

Le travail d’intégration commencé dans les années soixante et la réflexion sur ce travail même, a contribué pour apprendre qu’il est possible d’enseigner non seulement à des groupes homogènes mais aussi à des groupes hétérogènes, dans le même espace et au même temps, ce qui peut résulter dans un développement plus équilibré des groupes respectifs. On a constaté que les «différents» peuvent être (sont) les grands moteurs du changement à opérer dans l’école 37 et, pourquoi pas, dans la société. L’intégration fut un grand pas dans le sens de la scolarisation/de la socialisation/de l’action de rendre digne les personnes en situation de déficience, dans l’espace qui est de tous et pour tous. La scolarisation en institutions spécialisées a le grand avantage d’avoir des techniques et des matériels adaptés aux situations, mais elle manque de diversité de modèles de socialisation et d’apprentissage. Aujourd’hui de nouveaux et grands défis sont posés à tous ceux qui vivent et travaillent en éducation: une éducation inclusive et de réussite pour tous les élèves, incluant tous les exclus et non seulement ceux qui se trouvent en situation de déficience.

On ne passe pas facilement d’une attitude, d’un comportement à un autre, quand on parle de changements sociaux ou éducatifs. L’intégration scolaire fut un moment très important pour que les enfants et les jeunes en situation de déficience puissent conquérir la dignité humaine complète. Le regard de la société et du système éducatif a changé un peu, et à quelques uns d’entre eux il leur fut donné l’opportunité de partager leurs expériences de vie avec leurs pairs, ce qui leur a permis d’entrer dans le monde du travail et de constituer une famille. Lentement et seulement pour un petit nombre, le monde s’est ouvert et les frontières entre les «normaux» et les autres devinrent plus fluides. Mais ce cheminement, en cherchant ce qui aujourd’hui encore s’appelle utopie, est le commencement d’une «bataille» qui va être gagnée, pas à pas, et qui va conduire au plein droit de vivre avec sa différence, dans un monde dans lequel on célèbre la diversité et sont créées les conditions du plein exercice de cette diversité même. L’inclusion scolaire et sa philosophie de la réussite éducative pour tous, en suscitant d’autres formes de «regard» de l’autre et d’autres co-responsabilisations sociales et éducatives vont obliger les intervenants du processus à des compromis plus forts entre leurs formes d’agir et les conséquences de leur action éducative. Avec l’inclusion scolaire rien ne peut être comme avant. Les perspectives qui orientent l’action sont autres et, avec d’autres mentalités, autres pratiques sociales et éducatives auront lieu dans un processus exigeant un fort engagement et une responsabilité professionnelle élevée.

En regardant rétrospectivement, on peut établir un continuum, sans frontières bien définies en ce qui concerne l’éducation des minorités 38 : l’enseignement spécial, de l’école ségrégative, découle jusqu’à la fin des années soixante, ayant donné lieu à l’école intégrative, dans les années soixante dix 39 et aux concepts d’éducation spécial et de professeur d’éducation spécial, dans les années quatre vingt 40 En relation aux élèves en échec scolaire, ils en sont venus à créer des programmes spécifiques dans une perspective de différenciation positive exclusive, comme le sont les appuis traditionnels pédagogiques accrus, les groupes de niveau, les curricula alternatifs 41 et les TEIP 42 , entre autres.

C’est dans la seconde moitié des années 90 qu’on va tenter d’initier un autre paradigme de l’école et de l’éducation: l’école inclusive et l’éducation inclusive, avec l’appui du professeur de soutien éducatif 43

À l’idée de quelqu’un qui enseigne (le professeur) à un autre (l’élève) quelque chose qu’il ne sait pas (dans une perspective béhavioriste de l’enseignement) fait suite la nécessité d’atteindre la globalité de l’individu à travers l’apprentissage compréhensif et contextualisé, en faisant interagir des savoirs et des expériences déjà acquises avec l’aide du professeur (perspective constructiviste). Aujourd’hui on prétend que l’apprentissage se fait avec l’aide du professeur, mais aussi avec le groupe et dans le groupe de pairs, dans le contexte auquel appartient chacun des individus à éduquer, en valorisant des savoirs et des expériences de tous, avec leur niveau de fonctionnalité (Vygotsky, 1985, Bronfenbrenner, 1979), dans une perspective écologique de développement.

Notes
34.

Boff, L. (2002). A águia e a galinha (39ª edição). Petrópolis: Vozes.

35.

CSIE (UK) – Centre d’Études en éducation inclusive.

36.

Adapté de Porter (1997: 39).

37.

Seulement, comme exemple, je peux ajouter ce qui est arrivé dans ma classe de formation spécialisée. J’avais un aveugle et je voulais qu’il participe aux activités mis en œuvre avec les élèves/professeurs, ses collègues, pendant la classe. Il n’avait pas l’accès nécessaire aux matériaux, ce qui m’a obligé à les préparer auparavant, les envoyer, par e-mail, ce que je fais maintenant pour tous les élèves/professeurs, avec grand succès.

38.

Les dates prennent en compte ce qui s’est passé au Portugal.

39.

1973 Création des Divisions de l’enseignement spécial au Ministère de l’éducation.

40.

Arrêté nº36/SEAM/SERE/88, le 17 août – règlement des équipes d’éducation spéciale..

41.

Arrêté nº 22/96, le 19 juin. Cet Arrêté a donné la possibilité à l’école de faire des classes avec des élèves qui avaient de l’insuccès répété avec un curriculum différent du curriculum normal. Les élèves se considéraient les «anormales» de l’école et la plupart ne voulaientt pas intégrer ces classes. Les professeurs, volontiers pour ce travail, l’aimaient bien. L’expérience est finie, maintenant.

42.

TEIP – Territoire éducatif d’Intervention Prioritaire.

43.

Arrêté 105/97, le premier juillet