(ii) De la catégorisation à la non-catégorisation.

Avec l’introduction dans le système éducatif, du concept de besoins éducatifs spéciaux, on prétendait supprimer les effets stigmatisant de la catégorisation des élèves, ayant, cependant, créé une super étiquette qui distingue ceux qui ont des besoins éducatifs des autres, ou soit, les autres, les différents, les plus fragiles, en les plaçant dans une situation de dépendance, car ils ont des besoins et les autres non. (Armstrong & Barton, 2003). Malgré cette volonté (apparente) de se libérer des étiquettes, les diagnostics médicaux continuent à être le grande support pour les décisions à prendre au niveau éducatif et à incorporer et à marquer le discours des professionnels de l’éducation 44 De par l’Europe (UK par exemple 45 ) perdurent des unités spécialisées correspondant à une déficience déterminée. Au Portugal, la super catégorie «besoins éducatifs spéciaux» n’a pas été suffisante pour le système burocratico-administratif ce qui l’a «obligé» à créer une nouvelle catégorie, besoins éducatifs spéciaux de caractère permanent 46 (!...) qui est plus d’une fois le référentiel médical.

Une partie importante du processus de ségrégation provient de la décision du type de difficultés qui sont prises en considération dans les mesures d’appui, pour partie du système éducatif, lesquelles définies dans le processus de caractérisation des élèves, vont produire et alimenter les stéréotypes. L’effort pour fonder les pratiques éducatives sur la capacité de l’individu et sur la manière de fonctionner est loin d’être une réalité, malgré quelques tentatives plus ou moins réussies, comme ce fut le cas de la Classification Internationale de la Fonctionnalité (CIF).

Indifférents aux effets que l’«étiquette» produit sur l’individu étiqueté, les systèmes continuent à responsabiliser uniquement l’individu par sa situation de désavantage, sans se questionner sur eux-mêmes comme le dit Poizat (2004: 44):

‘Dès lors que les nomenclatures soulignent l’importance de la situation dans laquelle se trouve l’individu, dès lors qu’elles insistent sur le rôle central de l’environnement comme facteur déterminant de l’existence du handicap, dès lors qu’elles s’éloignent d’une conception du handicap attachée à l’individu lui-même, la nécessité pour les systèmes d’information dans la catégorisation des individus est mise en doute.’

Poizat continue:

‘La notion de handicap de situation fait référence à une approche dynamique et sociale, abandonnant une conception statique et uniquement médicale du handicap qui apparaît désormais comme l’expression d’un équilibre interne entre trois éléments mouvants: individuel, situationnel et environnemental(p.45).’

C’est vers les contextes que se tournent aujourd’hui les regards, étant eux décisifs dans la qualité de vie de ses usagers. Et les contextes éducatifs ont une importance accrue par le rôle qu’ils exercent sur le développement de l’individu. On constate que les personnes en situation de déficience font des progrès quand les contextes sont favorables. Aujourd’hui on rencontre des personnes en situation de déficience dans tous les secteurs de la vie social, académique ou sportive, ce qui vient questionner la décision de sélectionner avant ou après la naissance. Le naturel est que les enfants grandissent dans leur famille, dans leur communauté, avec l’aide de leurs amis. Pourquoi des écoles différentes organisées en fonction de parcelles de l’individu en dépréciant sa globalité? Pourquoi «cacher» ce qui nous incommode? Au lieu d’apprendre à vivre avec tous, la «morale et les bons usages» établissent ceux qui sont «bons» et ceux qui sont «mauvais, dangereux, inconvenants, incapables, etc.» et ainsi surgissent les prisons, les asiles, la maisons du troisième âge et les ghettos, enfin, la «répartition des individus dans l’espace» (Foucault, 1975:166), conformément à ce qui convient!

C’est le «meilleur pour eux» comme on entend dire fréquemment, ou c’est le meilleur pour nous qui ainsi ne sommes pas confrontés au «miroir partagé» qui pourrait être le nôtre, la peur de nous confronter avec notre propre image distordue? Au nom des bonnes intentions, de grandes atrocités se firent. La société actuelle tout divise et regroupe (les individus, les savoirs), mais la vie et l’individu n’est pas une tranche biologique, théologique, sociologique, mais un tout global de tous ces savoirs en interaction continue, exigeant l’équilibre et la coopération de tous. Sera-ce même nécessaire de catégoriser pour résoudre ou est-ce seulement le modèle d’agir que nous connaissons avec une longue tradition et avec beaucoup de difficultés pour le changer? Parfois le diagnostic, quel qu’il soit, n’a pas la fonction d’indiquer le chemin à suivre, mais de mettre l’individu dans une case pour justifier l’«impossibilité» d’intervention.

Tandis que la catégorisation avait été une activité importante pour la connaissance, elle est très souvent un obstacle à la reconnaissance de l’individu en tant que personne (Gardou 2004, 2005). Il n’est pas nécessaire de catégoriser pour intervenir, il faut permettre que le développement se déroule à sa mesure ou, parfois, seulement maintenir son humanité. Le point de départ pour l’intervention, en termes éducatifs, ou pour l’affectation des ressources, ne peut être le déficit, mais la fonctionnalité existante et espérée. C’est passer «de la seule vision des creux à la valorisation des reliefs» (Gardou, 2003: 59), c’est avoir comme point de départ et d’arrivée la personne dans toute sa globalité, c’est changer la perspective de l’intervention: de groupe homogène passer au groupe hétérogène, d’un petit groupe qui fait les règles passer à une organisation dans laquelle tous sont co-responsables pour les décisions et pour leur accomplissement.

Mais la non-catégorisation peut aussi porter quelques risques, si elle même se transforme en «assimilation normalisatrice, déguisée en pratique inclusive» (Gardou 2003:55), ce qui nous transporte vers le processus de normalisation, tant défendu, en une époque d’intégration scolaire. Peut être le primat du normocentrisme et l’annulation du droit à la différence.

Notes
44.

Au Portugal, l’Arrêté 1438/2005, du 4 janvier, vient responsabiliser le professeur du 1er cycle de l’enseignement basique et le conseil de classe des autres cycles d’enseignement, pour l’analyse de la situation spécifique de l’élève et la définition des mesures d’appui éducatif à adopter. Cette mesure faisait déjà partie du Décret Loi 319/91, du 23 août mais n’avait jamais été adoptée en plein.

45.

Au Portugal ils sont en train de surgir.

46.

Décret nº 6/2001, du 18 Janvier.