1.4. Difficultés et recherche de réponses.

On n’apprend à vivre qu’avec les différents en interagissant avec eux, dans leur contexte naturel.

Résoudre le «dilemme de la différence» (Dyson 2001:28) non seulement pour les personne en situation de handicap mais pour tous ceux qui sont exclus de la société est ce que nous espérons de l’école en ce moment, parce que le droit à l’éducation est universel, devant, par conséquent, s’étendre à tous les enfants, jeunes et adultes.

Par les recherches faites, nous savons que l’évolution des concepts ne fut pas accompagnée par une mutation généralisée des pratiques, mais dans le même pays et dans la même communauté éducative nous pouvons rencontrer diverses modalités de pratiques, quelques unes plus inclusives que les autres. (Meijer 2003). La transformation des pratiques est difficile parce qu’elles sont soutenues par une tradition culturelle qui ne croit pas «à ceux que le hasard de la naissance ou de la vie a stigmatisés d’être reconnus sans condition comme sujets et de jouer pleinement leur rôle dans la communauté humaine» (Gardou, 2003: 13).

Nous avons passé des siècles a exclure les considérés comme indésirables de la société (de l’école), avec des méthodes plus ou moins sophistiquées. Tout parce que nous ne croyons pas ou nous ne voulons pas croire qu’ils sont capables de faire des apprentissages. Nous continuons à nous surprendre avec les réussites réalisées par des personnes cataloguées d’ «incapables», en ne voulant pas leur reconnaître leur capacité à participer à la construction quotidienne de la communauté à laquelle ils appartiennent. La dangerosité et l’incapacité que leur est attribuée, sans discernement, marquent d’une façon décisive les formes tel que nous nous mettons en relation avec eux et tel que «nous déterminons» leurs vies.

Depuis Rosenthal et Jacobson (1968) 52 , d’innombrables chercheurs (Moscovici, 1989, Jodelet, 1989, Santiago, 1996, par exemple) ont montré le rôle important que les représentations et les attentes exercent sur les actes quotidiens des personnes.

Le chemin pour inverser le courant est très difficile; apprendre à vivre avec la différence et la respecter est une mission presque impossible, c’est une lutte de Don Quichotte contre «les moulins à vent» 53 , une lutte d’une minorité qu’on prétend transformer sous une bannière de la majorité. C’est une véritable «révolution culturelle» (Gardou, 2003) dont nous avons besoin pour que les nouvelles mentalités, en partant de formes différentes d’envisager les situations de différence, dans lesquelles sont inclues les situations de déficiences, puissent ouvrir des portes et tracer de nouveaux chemins, dans et hors de l’école.

Changer les représentations, en relation aux élèves en situation d’échec scolaire/difficultés pour les apprentissages stipulés, pourra être un enjeu gagné dans le sens de créer des situations d’apprentissage stimulantes, gratifiantes et provocatrices de succès pour tous les élèves. De là apparaît la nécessité que des théoriciens et des praticiens de l’éducation impulsent des formes pour sensibiliser et amener les personnes à croire dans le potentiel qui se cache derrière des formes trop superficielles d’évaluation et des jugements critiques précipités, assis sur des visibilités douteuses, potentiel qui n’eut jamais la chance de s’exprimer et qui, quand il est stimulé, vient à briller.

Autre aspect qui est en train d’empêcher un bon investissement dans la libération des situations d’apprentissage significatives pour les élèves réside dans le fait que l’école continue à croire que la meilleure (et peut-être unique) forme d’enseigner les élèves est de les mettre en situation de relation chaque fois plus proche du professeur (en atteignant le plus fréquemment possible ce qui serait désirable, le ratio un pour un, en situations d’éducation compensatrice 54 ) et en groupes homogènes, dépréciant la richesse de l’apprentissage avec les pairs et l’importance de modèles différenciés d’action. Les professeurs continuent à revendiquer des classes chaque fois plus petites (avec raison dans certaines situations) et un appui pédagogique accru (individuellement, de préférence) pour ceux qui présentent des difficultés, en continuant à centrer exclusivement sur l’individu la responsabilité de ses difficultés et en ignorant les effets découlant d’une bonne ou d’une mauvaise interaction avec les contextes et avec les pairs. Répondre aux difficultés que les élèves présentent au travers des réponses collectives d’apprentissages significatifs et fonctionnels ne fait pas encore partie du quotidien des écoles, ni des politiques éducatives.

Les écoles demeurent inflexibles pour répondre à la diversité humaine parce qu’il leur est exigé une fonction pour laquelle elles ne furent pas créées: elles furent faites pour sélectionner, en excluant, et non pour inclure (Canário, 2005 55 ). Elles furent créées pour enseigner à un enfant idéal, fait à la mesure des groupes sociaux qui eurent les opportunités sociales, culturelles et économiques (Ainscow & Ferreira, 2003) et non pour différencier en incluant. Ainsi, placées dans leur présupposée «mission» et ne voulant pas abdiquer, elles vont créer des parcours labyrinthiques pour justifier les nouvelles orientations politiques internationales et ne rien changer 56 Cette représentation de l’école est patente dans le discours et les pratiques des politiques, des professeurs et des directeurs d’école, quand ils prétendent construire l’école de l’efficacité, assise sur le rang dans les classements produit avec des critères qui ne prennent pas en compte le point de départ des élèves ni les conditions dans lesquelles se réalisent l’apprentissage. Tel que dans la société néolibérale, les «bons» restent [les] meilleurs et les «mauvais» restent [les] pires, ce qui fait augmenter le nombre d’exclus parce qu’ils [les critères] interférent dans l’évaluation global des résultats des écoles. Ce n’est pas par hasard que Ainscow (1995) choisit comme une des aires prioritaires pour la construction des écoles inclusives, l’investissement dans la culture de l’école.

Selon Fullan (2001:115), rien ni personne n’est tant important pour améliorer l’école que le professeur car «la transformation éducative dépend de ce que les professeurs font et pensent», ce qui pointe la nécessité de sa valorisation en tant que facteur important pour l’implantation des écoles inclusives (Ainscow, 1995).

Avec la facilité de l’accès à l’information et de leur constante actualisation, les savoirs du professeur (auparavant intouchables) sont aujourd’hui très souvent mis en cause, d’où une certaine dévalorisation sociale et économique. Les professeurs se sentent un peu perdus, avec un niveau de stress préoccupant, dénoncé au travers du grand volume des publications sur cette question. (Esteve, 1992, Fisher, 1994, Jesus, 2004, Lopes, 2004, par exemple). Il faut que les professeurs apprennent à découvrir ceci, qu’ils sont capables de faire (nous sommes capables de faire plus que ce que nous pensons être), quand ils veulent et quand la circonstance l’exige 57 . Renforcer l’identité professionnelle doit être un des chemins que la formation des professeurs doit exploiter pour qu’ils sentent la nécessité et la capacité d’être créatifs, pour construire un savoir à partir de leur pratique avec les élèves et du contexte dans lequel ils interagissent, car la réussite et l’échec des élèves résultent aussi du processus d’apprentissage qui nécessite une pédagogie créative et critique réalisée par des professeurs réflexifs (Zeichner, 1993) et expérimentateurs dans la salle de classe. (Estrela, 1986, Arends, 1995, Sanches, 2005a).

Un autre aspect qui peut créer des difficultés pour la pratique d’une éducation inclusive, est la représentation que les professeurs spécialisés et les techniciens spécialistes se font de leur rôle et de leur statut. Avec l’école inclusive et l’éducation inclusive, ces professionnels craignent de perdre le statut différencié, déjà qu’on leur demande de travailler en coopération avec le professeur de la classe et avec l’école, dans les dimensions dont elle a besoin. Il cessera d’être le spécialiste de ceci ou de cela pour pouvoir être au service de, ce qui pour beaucoup représente une perte de statut et d’identité.

La majeure partie des personnes qui parle et écrit sur l’inclusion et l’éducation inclusive, le fait au nom des personnes en situation de déficience dans l’école ordinaire, mais le mouvement pour une éducation inclusive va beaucoup plus loin, et exige une éducation de qualité et la réussite pour tous les élèves, sans discrimination, au nom des droits de l’enfants et de la dignité de la personne humaine. La confusion entre les concepts et leurs présupposés, volontairement ou non, fait que les gouvernants ne s’engagent pas dans la construction d’un système éducatif qui peut aider à éliminer l’exclusion scolaire des exclus de la vie. Le lien entre l’école inclusive et éducation spéciale est une des principales barrières pour la réalisation des objectifs de la Déclaration mondiale de l’éducation pour tous, des Nations Unies (UNESCO, 1990) et de la conférence de Dakar (UNESCO, 2000) qui veulent dépasser les situations de déficience et considérer toute l’exclusion scolaire dans une perspective d’éducation pour tous (Ainscow et Ferreira, 2003). Selon Plaisance et Gardou (2001:11) il y a «une forte opposition entre une politique d’intégration dans la continuité des politiques anciennes d’éducation spéciale et une politique d’inclusion, impliquant un changement radical des écoles ordinaires en faveur de l’accueil des diversités, quelles qu’elles soient.»

L’école et l’éducation inclusives n’exigent pas de savoirs complètement nouveaux, mais bien un nouveau «regard» sur l’école et une volonté très grande de générer la réussite des élèves, ce qui va en aidant a expérimenter et à créer des solutions à la mesure des problèmes et avec ceux qui se trouvent en situations problématiques. Le plus difficile sera de changer ce qui se pense et ce qui se fait avec les élèves les plus défavorisés, mais le respect pour la différence, la participation des parents et l’incorporation des élèves dans leur processus d’apprentissage (Marchesi, 2001), ainsi que la collaboration des professeurs et la flexibilité organisationnelle et curriculaire peuvent aider à trouver des solutions pour les problèmes.

Si les ressources ne sont pas la première difficulté pour l’inclusion scolaire, elles sont toutefois très importantes. Quand bien même la question des ressources constitue très souvent l’excuse normale pour faire l’exclusion, il est vrai que l’école a besoin d’autres ressources pour accompagner les élèves en situations les plus problématiques. Le budget des gouvernements pour l’éducation laisse de côté cette particularité, après avoir proclamé la nécessité de faire l’inclusion. Des moyens sont nécessaire comme le dit Meijer (2003: 13): «la mise en œuvre d’une éducation intégrante 58 nécessite un soutien ferme du gouvernement et une clarification des objectifs de la communauté éducative», il faut responsabiliser la communauté éducative afin d’utiliser les moyens pour améliorer les conditions d’apprentissage, au bénéfice de tous les élèves. Les moyens utilisés, s’ils ne sont pas bien gérés, pourront produire des effets contraires à ce qui est désiré: un professeur ou un adulte en plus dans la salle de classe peut être un élément stigmatisant au lieu de faciliter la création d’une salle de classe plus inclusive, si leur appui n’est pas distribué sur le groupe des élèves parce qu’il est trop centré sur les élèves en situation de plus de difficultés.

L’inclusion peut donner origine à des effets pervers. Les enfants et les jeunes qui sont dans des écoles spécialisées ont droit à des subsides pour appuyer leur éducation, ce qui n’arrive pas dans l’école ordinaire. Ils ont besoin de méthodologies qui englobent des matériels diversifiés et l’argent n’est pas mis à disposition de l’école ordinaire. Pour tout ceci, l’école spécialisée fait l’impossible pour maintenir l’élève et l’école ordinaire le rejette. Une des recommandations de l’Agence européenne pour le développement des personnes qui présentent des besoins éducatifs spéciaux est justement que l’argent doit servir l’enfant.

Si on pense à l’argent que coûte l’inclusion, il est nécessaire de penser aussi à ce que coûte l’exclusion sociale et scolaire. C’est parier sur prévenir ou sur guérir. Le choix doit être fait.

Notes
52.

«Pygmalion in the classroom».

53.

Cervantes, M., S. (1605). Don Quichotte de la Manche.

54.

Ce qui est appelé appui pédagogique accru.

55.

Conférence prononcée à la Faculté de motricité humaine, 1 juillet, dans le cadre du Forum des études en éducation inclusive.

56.

Les principes énoncés dans les lois, beaucoup de fois, sont en contradiction avec les pratiques qu’elles proposent.

57.

«La nécessité crée le talent» dit un adage populaire.

58.

On doit lire inclusive; c’est la traduction française du document.