De l’intégration scolaire…

A la fin des années 60, on a développé un important mouvement, à l’origine des pays nordiques, dont l’objectif principal était de mettre les enfants et les jeunes en situation de handicap dans l’école ordinaire – l’intégration scolaire. Ce mouvement s’étendit au sud de l’Europe, l’Italie ayant envoyé à l’école ordinaire tous ses enfants et ses jeunes en situation de déficience 59 . D’autres pays européens en firent de même, mais pas aussi radicalement. Le Portugal adhéra à ce mouvement, dans un accord établi avec la Suède, et, au début des années 70, les enfants et les jeunes avec des problèmes sensoriels entrèrent à l’école ordinaire, avec aide de professeurs formés pour assumer cette fonction 60 . Pour beaucoup de ces jeunes ce fut le premier contact avec le monde éducatif et la première occasion d’être avec leurs pairs. La plus grande partie était dans la famille, parfois en situation de peu d’humanité, déjà que les conditions économiques étaient faibles, l’information sur les problématiques était encore moindre et la tradition culturelle qui apportait la culpabilisation et l’occultation des cas aggravait la situation. Les autres étaient dans des institutions sous la responsabilité de la Sécurité sociale qui les accueillaient et pourvoyaient à leur éducation.

Dans ce moment, dans les années 70, la responsabilité pour l’éducation des enfants et des jeunes en situation de déficience passa à relever du Ministère de l’éducation et les alors dénommés «déficients visuels», «déficients auditifs» et «déficients moteurs» 61 entrent à l’école régulière ordinaire, quand ils ont les conditions pour faire des apprentissages. Ils sont intégrés aux classes existantes et sont accompagnés par des professeurs d’enseignement spécial 62 . Ces professeurs, organisés en équipe, les équipe d’enseignement spécial, appuyés par les Divisions de l’enseignement spécial 63 , sensibilisaient l’école et l’enseignant de la classe pour l’accueil de l’élève et la considération de sa situation problématique. Ils donnaient aussi un soutien à l’élève en réalisant une compensation curriculaire, dans les aires déficitaires, normalement hors de la salle de classe, et tentaient d’aider la famille.

Dans l’école, inséré dans la classe ordinaire, l’élève, l’«unique» responsable de la situation dans laquelle il se trouvait, devait faire tout ce qui est possible et même l’impossible pour accéder à l’«égalité» des autres, à la «normalisation» (Wolfensberger, 1972) en brisant les «murs» qu’il trouvait sur son chemin. L’école et ses intervenants les plus directs, les enseignants, avec leurs règles, leurs programmes et leur philosophie, demeuraient là-bas intouchables. Il incombait à ceux qui voulaient d'«entrer», c’est à dire les élèves en situation de déficience sensorielle et les enseignants d’enseignement spécial, de trouver les chemins les plus adéquats pour dépasser ou atténuer les problèmes qui surgissaient, depuis le positionnement des personnes face à l’entrée de cette population dans l’école ordinaire jusqu’à la création et la gestion des conditions et des ressources nécessaires pour leur opérationnalisation.

Parallèlement au travail d’intégration conduit dans les écoles ordinaires, se développait l’enseignement spécial dans les écoles spéciales. En 1978-1979 il existait 132 écoles spéciales qui accueillaient plus de 8000 élèves tandis que dans les écoles régulières ordinaires 22 équipes de professeurs d’enseignement spécial encadraient 1100 élèves 64 .

A la fin des années 70, avec l’apparition du Warnock Report (1978), en Angleterre, surgit et se répandit le concept de «besoins éducatifs spéciaux» 65 qui vient se substituer au concept de «déficient», se distanciant de la perspective médico-pédagogique et passant à envisager la problématique de l’élève surtout dans une perspective éducative. Le concept souffrit de légères altérations depuis son début, oscillant aujourd’hui entre besoins éducatifs spéciaux et besoins éducatifs spécifiques, mais la transformation est plus en termes de langage qu’en termes de substance. Le concept entra dans le discours des théoriciens et des praticiens de l’éducation, mais pas tant la philosophie sous-jacente que le terme même. Le terme éducation spéciale fut adopté pour désigner tous les services dans cet environnement. Les professeurs d’éducation spéciale sont sollicités pour faire le soutien aux élèves avec des difficultés d’apprentissage qui sont ceux qui préoccupent le plus les enseignants, par le nombre croissant et par l’indiscipline que se répand dans la classe.

À la fin des années 70 furent créées les Unité d’orientation éducative (UOE), services d’appui dans l’environnement des difficultés d’apprentissage, intégrant enseignants et psychologues, pour intervenir conjointement avec les enseignants et l’école, et non pour un appui direct auprès de l’élève, ce qui constitue une innovation pour l’époque. Ces Unités étaient des précurseurs de ce qui fut tenté de mettre en pratique plus tard avec la création du soutien éducatif (1997). Elles se sont éteintes en 1988, pour se superposer aux équipes d’éducation spéciale.

L’appui aux élèves en situation de déficience, prêté par les enseignants d’éducation spéciale augmente considérablement, tandis que l’accueil dans les écoles spéciales va en diminuant proportionnellement: en 1982, il existait 152 écoles spéciales accueillant 10500 élèves et 29 équipes d’enseignement spécial appuyant 3323 élèves.

Il ressort que les élèves en situation de déficience auditive, ayant été mis dès le début (années 70) dans les classes ordinaires, ils s’organisèrent, avec leurs enseignantes de soutien, en noyaux d’appui à la déficience auditive pour fonctionner dans les écoles ordinaires ainsi que là l’intégration dans les classes est très réduite.

Le discours, encadré dans un modèle éducatif, est officialisé par le Décret 319/91, du 23 août, stipulant le régime éducatif spécial pour les élèves auxquels sont attribués des besoins éducatifs spéciaux, mis en pratique dans les écoles ordinaires par les enseignants d’éducation spéciale, organisés légalement en Équipes éducatives spéciales depuis 1988 66 .

Les enseignants d'éducation spéciale vont modifier leur modèle d’accueil conjoint des élèves par des sollicitations des écoles et par la création d’espaces spécifiques. Tous itinérants dans le début, il vont se fixer successivement dans l’école et répondre aux problématiques existantes, en petits groupes d’élèves, dans des espaces propres désignés par «salle des besoins éducatifs spéciaux» ou dans un local disponible, comme le gymnase ou la salle des professeurs (Sanches 1995), en pariant sur la compensation éducative.

Le régime éducatif spécial, décrété par le Décret-loi 319/91, contient en substance la mise à disposition des équipements spéciaux de compensation, la création de conditions spéciales d’inscription, fréquence et d’évaluation, des adaptations curriculaires et matériels, l’adéquation et l’organisation de classes, l’appui pédagogique accru et l’enseignement spécial. Pour les élèves concernés par la mesure «enseignement spécial», il est obligatoire d’élaborer un plan éducatif individuel (caractérisation de l’élève, en termes personnels et scolaires, propositions de mesures éducatives à adopter) et d’un programme éducatif, aussi individuel, dont l’élaboration relève de la responsabilité de l’enseignant d’éducation spécial, lequel supervise aussi son exécution.

Par ce qui est montré, on vérifie l’existence d’un espace de convivialité et d’apprentissage commun pour tous les enfants, l’école et la salle de classe, mais pour les élèves considérés spéciaux, les élèves auxquels sont attribués des besoins éducatifs spéciaux, il y a aussi une programme spécial, développé par un professeur spécialiste, avec la collaboration des parents et l’approbation de l’école, dans un espace propre, de préférence hors de la salle de cours à laquelle l’élève appartient.

Toutefois en adoptant la terminologie «besoins éducatifs spéciaux» le signalement des enfants et des jeunes et la mise à disposition consécutive des moyens d’intervention, a continué à se faire principalement sur la base de critères médicaux, lesquels, au-delà de la prise en compte des problèmes sensoriels, intègrent aussi les problèmes cognitifs, émotionnels, comportementaux et les difficultés d’apprentissage plus ou moins graves.

Le nombre d’élèves intégrés dans le système ordinaire d’enseignement continue à augmenter, tandis que diminue la recherche d’écoles spéciales 67 : en 1995-1996, 36642 68 élèves auxquels sont attribués des besoins éducatifs spéciaux fréquentent l’école ordinaire et 11500 (Afonso, 2001) les écoles spéciales. Le nombre d’enseignants d’éducation spéciale, en service dans les écoles ordinaires augmente, certes de façon non proportionnelle au nombre d’enfants qui recherche l’école ordinaire, mais aussi sans une quelconque formation spécifique 69 et plutôt pour convenance personnelle (c’est une façon pour les enseignants de réussir à trouver un lieu plus près de leur résidence), ce qui contribue à la progressive dégradation de l’image de l’enseignant d’éducation spéciale. Le manque de création de conditions et de ressources, la diminution des crédits investis, le manque de transmission aux équipes de nouveaux modèles d’organisation et de fonctionnement (Costa 1996) contribuèrent à développer un certain discrédit vis à vis de l’intégration, aussitôt soutenu par ceux qui ne veulent pas d’écoles peuplées d’enfants qui ne laissent pas apprendre les autres. Le modèle d’intégration souffre des mêmes maux que souffre l’école dans sa généralité: peu investissement de la part de tous les acteurs, en général (politiques, élèves et professeurs).

Notes
59.

L’utilisation de l’expression «situation de handicap», au lieu de «handicapé», «a pour objectif d’intégrer les conséquences d’un environnement dans l’appréciation des capacités d’autonomie d’une personne handicapée» (Assante, 2000, p.II-5, cité par Plaisance, 2003: 30).

60.

L’auteur de ce présent travail de thèse fut l’une des professeures qui contribua à cette pratique éducative.

61.

Depuis 1946, Décret-loi 35 801, de 03/08/46, joint aux écoles ordinaires fonctionnaient des classes spéciales pour des enfants avec des problèmes au niveau de la cognition; elles disparurent dans les années 70, dans le décours de la révolution d’avril 1974, à cause de la discrimination qui s’est gérée.

62.

Ces professeurs ont eu une formation préalable et reçoivent un subside d’enseignement spécial supplémentaire.

63.

Par la Loi 5/73, furent créées la Division de l’enseignement spécial, de la Direction-Générale de l’enseignement basique et la Division de l’enseignement spécial, de la Direction-Générale de l’enseignement secondaire.

64.

Rapport n.º3/99, de 17/2, du Conseil national de l’éducation – Les enfants et les élèves avec besoins éducatifs spéciaux.

65.

Traduction de l’anglais «special education needs».

66.

Arrêté 36/SEAM/SERE, 17/08/1988. Les équipes fonctionnaient depuis le début de l’intégration scolaire (1.ª moitié des années 70).

67.

La continuation des écoles spéciales à buts lucratifs a beaucoup à voir avec les subsides d’éducation spéciale que l’État donne aux enfants qui fréquentent ces établissements privés.

68.

Rapport n.º 3/99, de 17/2, du Conseil national de l’éducation – Les enfants et les élèves avec besoins éducatifs spéciaux.

69.

En 1991, 82% des professeurs qui travaillent en éducation spéciale n’ont pas de formation spécialisée (Afonso, 2001)