1.6. Pour une éducation inclusive: en mettant en œuvre des pratiques scolaires inclusives

Dans les écoles inclusives, aucun élève ne sort de la classe pour recevoir de l’aide, mais cette aide se reçoit á l’intérieur de la classe
(Sanchez, 2003:121)

L’éducation inclusive ne se fait pas si des méthodologies différentes de celles en cours aujourd’hui ne sont pas introduites dans la salle de classe. Célestin Freinet 75 a perçu ceci quand il a commencé à travailler pour une autre école, une école qui voulait donner une réponse adéquate à ses élèves, parfois pauvres et marginalisés par le système.

Il est vrai que, au Portugal, la majeure partie 76 des élèves auxquels sont attribués des besoins éducatifs spéciaux sont dans l’école ordinaire et font partie d’une classe, mais feront-ils les apprentissages sociaux et académiques qu’ils sont capables de faire, quand ils sont adéquatement stimulés? Malgré la visibilité croissante des succès des personnes en situation de handicap, on continue à croire qu’elles ne pourront pas aller très loin 77 et qu’ils sont dans l’école pour passer le temps 78 , personne ne se préoccupant des constantes entrées et sorties de la salle de classe pour faire d’autres apprentissages. Font-ils mieux et apprennent-ils plus hors de leur groupe naturel, éloignés de leurs pairs et des apprentissages que ceux-ci sont en train de réaliser? Quand ils reviennent en classe, «le film» est déjà commencé et ils n’ont pas de moyen pour le récupérer (Niza, 2004). Une éducation inclusive ne peut se produire hors de la salle de classe à laquelle l’élève appartient, mais bien à l’intérieur et avec le groupe. Parfois ce sont les responsables mêmes pour une éducation inclusive (les enseignants du soutien éducatif) qui vont contribuer à la stigmatisation. Il faut avoir présent à l’esprit que le soutien peut causer une blessure aux élèves ou même les dégoûter.

On constate aujourd’hui que les personnes en situation de déficience (et elles sont une référence pour les autres qui se trouvent dans des situations problématiques) qui eurent ou surent créer une occasion, peuvent avoir des vies constructives et productives, et contribuer à leur bien-être social et économique, à celui de leur famille et de la communauté à laquelle ils appartiennent. Si les élèves sont dans l’école, c’est pour faire des apprentissages, ceux qu’ils furent capables de réaliser avec la mise à disposition des moyens et des méthodes dont ils manquaient, car les apprentissages sont un moyen d’accéder à la citoyenneté. S’ils n’apprennent pas, c’est en raison de l’inadéquation de l’enseignement. En effet il est nécessaire parfois de recourir à des méthodologies différentes ou des codes de communication appropriés comme le «Braille» pour les aveugles, de communication gestuelle pour les sourds, ou d’apprentissage très structuré pour ceux qui ont une déficience cognitive. Il fut possible de leur enseigner quand on a découvert une méthodologie adaptée (Gardou & Develay, 2005), ce qui fut possible à partir de l’observation, de l’expérimentation, de la valorisation des signaux et des indications des jeunes apprentis et, surtout, de dévouement sans limite (Gardou 2005b).

L’apprentissage des élèves auxquels sont attribués des besoins éducatifs spéciaux dépend pour beaucoup «de la manière d’appréhender les différences en classe et de leur volonté à traiter efficacement ces différences» (Meijer, 2003: 10). Si les enseignants n’acceptent pas les élèves auxquels sont attribués des besoins éducatifs spéciaux comme sujets de plein droit dans leur travail, ils essaieront de trouver quelqu’un qui assumera la responsabilité de ces jeunes et ces enfants et, ainsi, commence la ségrégation déguisée ou explicite.

L’enseignant, s’il est sensible à la diversité de classe et s’il croit que cette diversité est un potentiel à exploiter, a besoin de connaître ses élèves du point de vue personnel et socio anthropologique (Cortesão & Stoer, 1997), ce qu’il fera au travers du recueil de données qui vont lui permettre de réfléchir sur les caractéristiques personnelles et socioculturelles à prendre en considération dans son travail. Il a aussi besoin d’un savoir pédagogique qui va lui permettre de concevoir des dispositifs de différenciation pédagogique adéquats aux caractéristiques, intérêts, savoirs et problèmes de ses élèves (Perrenoud 1997; Cortesão 2003), dans une attitude réflexive, en utilisant la recherche-action comme stratégie éducative de résolution de problèmes (Zeichner, 1993; Sanches, 2005a). Les problèmes (les défis) sont analysés dans le contexte dans lequel ils ont surgi avec les intéressés dans leur résolution. La réponse ne vient pas des autres, des «autorités» en la matière, avant, cependant, elle est conçue et introduite par ceux-ci mêmes, ce qui pourra donner origine à une réponse plus pertinente et plus adaptée. Il y aura place pour une attitude réflexive, critique, sur les apprentissages qui se sont faits ou qui ne sont pas réalisés et les conditions du processus éducatif, ce que ne permettra pas l’ «éducation bancaire» dans le sens donné par Paulo Freire (1981).

Il y a beaucoup d’obstacles qui peuvent être énoncés pour ne pas pratiquer une éducation inclusive, une éducation que se préoccupe de la réussite de chacun et de tous: le manque de formation ou formation inadéquate des professeurs, le manque de ressources humaines et matérielles, les espaces inadéquats, les politiques non ajustées aux situations, mais le véritable obstacle est dans la manière de penser la différence et la disponibilité qui en découle. Il est nécessaire de commencer avec les conditions que nous avons, avec l’intention de générer et bien gérer les conditions nécessaires. On apprend en faisant, pour faire mieux.

L’éducation inclusive présuppose des écoles ouvertes à tous, où tous apprennent ensemble, quelles que soient leurs difficultés, car l’acte éducatif se centre sur la différenciation curriculaire inclusive, construite en fonction des contextes d’appartenance des élèves, à la recherche de voies scolaires différentes pour donner une réponse à la diversité culturelle, implémentant une praxis qui prend en considération différentes méthodologies qui portent attention aux rythmes et aux styles d’apprentissage des élèves (Roldão, 2003).

Cette préoccupation n’est pas innovatrice, qui entend différencier les apprentissages de manière compatible avec les publics visés. Hier et aujourd’hui, au niveau du système, de l’école ou de la classe, il y a eu la préoccupation de différencier, mais toujours en excluant, toujours en construisant une réponse parallèle au système «normal». à la lumière de la nouvelle grammaire sociale et politique, c’est une différenciation discriminatoire et injuste.

Nous fûmes tous protagonistes ou témoins de la construction de stratégies parallèles à l’enseignement ordinaire (réalisées, dit-on, avec grande conviction), dans le sens de récupérer ceux qui sont considérés comme les moins capables. Delà des exemples peuvent être donnés: les groupes de niveau, les curricula alternatifs, les territoires éducatifs d’intervention prioritaire, l’enseignement/éducation spéciale, l’appui pédagogique accru, entre autres. Toutes ces mesures, implémentées au niveau du système ou de la salle de cours, ont servi pour légitimer l’uniformité du système dans le sens d’accomplir ses objectifs qui, toutefois différents d’une époque à l’autre, discriminent négativement les publics en accord avec les objectifs respectifs.

La différenciation qui inclut, n’est pas, par exemple, de donner un test différent à un élève parce qu’il ne domine pas les questions qui sont posées aux autres, ce n’est pas utiliser le livre de 2ème année quand il est inscrit en 4ème tandis que les pairs font les exercices correspondant effectivement à l’année en cours. Elle ne consiste pas faire dessiner pendant les autres font une fiche de mathématiques, à faire travailler l’élève avec l’enseignante de soutien, dans ou hors de la salle de classe, sur des activités qui n’ont rien à voir avec celles qui sont en train d’être développées dans le groupe classe. Ce n’est certainement pas l’enseignante de soutien d’ «être collée» à l’élève et de créer une relation de privilège avec «cet» élève, donnant ainsi origine à des phrases comme celle-ci: «Zé, regarde, voilà ton enseignant qui arrive…»

La différenciation qui inclut, sera celle que part de la diversité, en programmant et agissant en fonction d’un groupe hétérogène avec des rythmes et des styles d’apprentissage différents. C’est apprendre dans le groupe et avec le groupe, en situations de véritable apprentissage coopératif, responsable et responsabilisant. C’est organiser l’espace et le temps en fonction des activités pour les apprentissages à réaliser. C’est impliquer les élèves dans la construction des savoirs à réaliser. C’est ouvrir l’école a une socialisation du savoir entre les professeurs et les élèves.

Avec 37,5% des élèves avec des difficultés d’apprentissage (Costa, 2003:20) il n’est pas tenable de maintenir la matrice traditionnelle de l’école, enseigner à beaucoup comme on avait affaire à un seul (Teodoro, 2001), à moins que l’on veuille courir le risque, d’ici peu, d’avoir plus exclus que d’inclus.

L’Agence européenne pour le développement de l’éducation des personnes avec des besoins éducatifs spéciaux, après une recherche ayant pour base d’études de cas réalisées dans quinze pays et de visite d’experts, présente des exemples de stratégies qui peuvent être mises en pratique pour construire des classes plus inclusives: (i) le travail coopératif, (ii) l’intervention en partenariat, (iii) l’apprentissage avec des pairs, (iv) le regroupement hétérogène et (v) l’enseignement effectif. On pourra accroître (vi) le tutorat entre pairs. Tout ceci pour faire une véritable différenciation pédagogique inclusive.

Notes
75.

Célestin Freinet (1896-1966), pédagogue français, défenseur des principes de l’éducation nouvelle, aujourd’hui mis en parallèle avec Paulo Freire (1921-1997) et Habermas (Kerlan, 2003. Conférence proférée à l’ Universidade Lusófona de Humanidades e Tecnologias)

76.

94%, en 2002/2003, données de l’Observatoire du soutien éducatif.

77.

.Les enseignants disent fréquemment «ça ne vaut pas la peine, il n’apprend pas…»

78.

On constate que, dans les écoles, le niveau d’exigence des activités proposées à ces élèves est très bas.