On peut définir la pratique d’enseignement comme «la manière de faire singulière d’une personne, sa façon réelle, propre, d’exécuter une activité professionnelle: l’enseignement» (Altet, 2002:86). La pratique des enseignants est, depuis longtemps, un objet d’étude et de recherche. Différentes approches furent mises en œuvre parmi lesquelles se détachent celles du type comportementaliste qui mettent l’accent sur les actions observables (ce que fait l’enseignant). Un autre courant d’investigation, nommé «processus-produit» (Walberg, 1991), la relation entre la manière de faire des enseignants et les indicateurs d’efficacité. Ce type d’investigation n’avait pas comme unique objectif de décrire le processus d’enseignement-apprentissage, mais aussi de l’améliorer. (Bru, 2002).
De l’étude de la corrélation entre la variable explicative [indépendante] (ici: méthode d’enseignement) et la variable expliquée [dépendante] (ici: résultats scolaires des élèves) on passe un autre paradigme dans lequel c’est le rôle même de l’enseignant qui est étudié. Dans ce modèle, de type cognitiviste, un accent spécial (particulier) a été mis sur la «pensée de l’enseignant» (Tochon, 1993) par lequel la préparation, la planification, la prise de décision en tant qu’éléments d’influence des pratiques furent des objets d’étude. On sait que le rôle de l’enseignant est important dans le développement du processus d’enseignement-apprentissage, mais on ne sait pas dans quels cas ni dans quelles conditions, il est positif (Bru, 2002).
Les modèles écologiques (Bronfenbrenner, 1986) mirent leur accent sur les contextes dans lesquels se déroule l’enseignement 129 .
Aux années quatre vingt, se développèrent des modèles plus interactionistes et intégrateurs (Altet, 1991), articulant divers types de variables relatives à l’enseignant, à l’élève et à la situation. Ce modèle, selon Altet (2002), visait à décrire l’articulation des processus d’enseignement et d’apprentissage, en situation, centrée sur les processus d’interaction enseignant-élève.
Ainsi donc, pour Altet (2002: 86), étudier les pratiques, c’est faire une analyse plurielle, pluridisciplinaire, pour mieux comprendre «la multidimensionnalité du fonctionnement et du sens de la pratique enseignante singulière dans sa complexité». L’objet de la recherche, ce sont les pratiques effectives des enseignants observés en situation et l’articulation entre ce que fait l’enseignant et ce que fait l’élève. Il s’agit de l’interaction, de l’interactivité en tant qu’organisatrices de la pratique de l’enseignement. Une autre composante de l’observation des pratiques, intégrée à la précédente, a à voir avec l’analyse du sens que l’enseignant donne à ses actions, à son interprétation de ses propres actes, ce qui se réalise par le moyen d’entretien, avant et après l’action observée. Il convient encore de considérer la phase de la planification de l’action et le travail de l’élève.
Ce modèle interprétatif s’inscrit dans un modèle constructiviste et interactionniste dans lequel s’articulent les variables didactiques et pédagogiques, et les variables intersubjectives (psychologiques et sociologiques) qui sont en jeu dans le processus interactif. C’est une approche pluridisciplinaire du processus d’enseignement apprentissage, dans lequel différents regards et savoirs (enseignants de didactique, épistémologues, psychopédagogues, psychologues, sociologues, linguistes) se croisent pour arriver, à partir d’une séquence de cours audio-vidéographiée (par exemple), à une plus grande intelligibilité du processus enseigner-apprendre, à travers la convergence entre le pédagogique, le didactique et l’intersubjectivité.
Une autre forme d’étude des pratiques, selon Bru (2002), consiste à agir sur elles, suivant le principe «agir pour connaître, connaître pour agir». Cette perspective oblige le chercheur à être à l’intérieur de ces pratiques mêmes, avec une vision de la citoyenneté de lui-même et sa propre science, dans une implication continue à l’exemple de la recherche-action. Cette forme d’intérêt pour les pratiques conduit à leur transformation en les appréhendant dans une forte proximité participative.
On ne peut confondre le rôle du chercheur et celui de l’enseignant, quand bien même l’enseignant travaille les pratiques pour les faire évoluer, c’est au processus même d’évolution que se consacre le chercheur. Il faut savoir bien délimiter les champs pour que les objectifs de l’un ne se transforment en ceux de l’autre et, qu’ainsi l’objectif visé ne soit pas atteint : à savoir la résolution du problème en cause.
Le même auteur ramène la recherche à la nécessité de décrire, expliquer et comprendre l’organisation des pratiques et les processus qui sont en jeu dans leur fonctionnement, en portant plus loin le travail de théorisation qui ne se satisfait pas d’une accumulation de faits et de relations empiriques. Il est nécessaire de travailler sur la construction des modèles de la pratique qui nous permet une lecture des pratiques avec leurs finalités, leurs différents modes d’organisation et les différents processus qui les caractérisent. Si la pratique n’est pas aléatoire, il est nécessaire d’identifier les organisateurs de cette même pratique, en nous reportant au processus de contextualisation, selon trois axes interdépendants : la contextualisation interne à chaque profil de pratique (intra-profil), la contextualisation temporelle (inter-profil) de la pratique et la contextualisation externe de la pratique de l’enseignement.
Après avoir défini le paradigme comme «un ensemble de principes théoriques et d’approches pratiques fondatrices qui se trouvent dans divers dispositifs particuliers de l’analyse des pratiques et constituent en quelque sorte le cœurs de courants de pensée», Marcel et all (2002: 140) ont identifié sept paradigmes ou «courants de références» qui renvoient aux fondements théoriques des travaux sur l’analyse des pratiques: le paradigme historico-culturel, le paradigme psychanalytique, le paradigme expérimental, le paradigme cognitiviste et le paradigme systémique. Cette énumération n’a rien à voir avec une chronologie historique, en raison de ce que tant les recherches récentes que les plus anciennes peuvent s’inscrire dans chacun de ces paradigmes.
En relation à la recherche sur les pratiques des enseignants, ces mêmes auteurs présentent comme objets d’étude privilégiés, en Sciences de l’éducation, dans les dernières trente années l’activité du sujet (la subjectivité, l’expérience et la construction de la situation), le statut des situations (la situation comme produit d’une convention, comme fondement/support de la cognition ou comme accès à la conceptualisation), les communications (signes non verbaux, les discours individuels à propos du travail et les interactions et les conversations) et l’action proprement dite (les interactions verbales, les comportements des acteurs, les modalités pédagogiques). Relativement à la méthodologie deux variables se détachent: le discours sur les pratiques (méthodes génériques telles que l’entretien, le questionnaire; méthodes de recherche sur l’action: l’inventaire du système des activités (ISA), l’entretien d’explicitation, les instructions, les instructions au sosie et auto-confrontation croisée; méthodes avec intention de formation: l’entretien réflexif, le groupe de discussion, l’approche co-disciplinaire, l’analyse plurielle et la recherche-action et la recherche-formation) et l’observation des pratiques (les observations centrées sur les acteurs et sur leurs comportements, les observations centrées sur les dynamiques de l’action, les observations centrées sur la situation et l’observation par immersion (ethnographie)).
Altet (2002) distingue les deux courants écologiques et interactionistes tandis que Paquay (2004) les associe dans le même courant.