4.2. L’analyse qualitative

L’analyse qualitative, comme le dit Paillé e Mucchielli (2003:35), est

‘Un effort intellectuel, constant, intuitif et naturel, visant à trouver un ré-arrangement pertinent des données pour les rendre compréhensibles, globalement, compte tenu d’un problème pratique ou théorique qui préoccupe le chercheur (…) est un travail interprétatif [qui] doit avoir quelques règles de méthode et quelques principes de référence.’

L’analyse qualitative n’a pas encore, dans le vaste champ de la recherche, la place qu’elle mérite parce que la tradition quantitative est très forte, bien qu’elle ait déjà atteint la maturité (Popkewitz, 1984). Il s’agit d’un procédé absolument crédible si nous considérons les procédés de rigueur qui orientent n’importe quelle recherche, puisque, comme le disent Bogdan et Biklen (1994: 64), «l’attitude scientifique, comme nous l’entendons, passe par un esprit ouvert en respectant la méthode et les preuves». Selon Paillé et Mucchielli (2003:197),

‘Les procédés des méthodes qualitatives ne permettent pas la présentation d’une preuve formelle, ni le renvoi à une technique «objective», et ce n’est de toute façon pas leur objectif (…) la compréhension proposée du phénomène étudié, via l’exposé final, va devoir procéder à partir de tout un travail de démontage et d’illustration. ’

Ce n’est pas facile à réaliser car

‘une donnée qualitative est par essence une donnée complexe et ouverte. Ses contours sont flous, sa signification est sujette à interprétation et est inextricablement liée à son contexte de production, à sa valeur d’usage ainsi qu’à son contexte d’appropriation (Paillé e Mucchielli (2003:20),’

mais c’est un champ à explorer pour accéder d’une manière privilégiée à l’expérience humaine, puisque «la donnée qualitative constitue une porte d’entrée privilégiée sur l’expérience humaine et sociale» (p.21).

Nous avons adopté, pour la constitution du corpus de données, l’usage des questions ouvertes. Pour l’analyse de corpus, nous avons mis en œuvre une analyse qualitative et son approche compréhensive, parce qu’elle permet «par synthèses progressives, de formuler une synthèse finale, plausible socialement, qui donne une interprétation «en compréhension» de l’ensemble étudié (c'est-à-dire qui met en interrelation systémique l’ensemble des significations du niveau phénoménal)» (Paillé & Mucchielli, 2003:20).

Cette analyse qualitative, comme démarche de compréhension de la lecture, a été un acte complexe, le résultat d’un ensemble de processus intellectuels qui aboutissent à l’attribution de sens à cette lecture, toujours mise en contexte.

Le travail d’analyse est toujours une danse des mots,

‘un travail constant de déconstruction/reconstruction, décontextualisation/récontextualisation (Tesch, 1990) à travers lequel s’opère un brassage profond d’idées, de perspectives, de points de vue, qui débouche sur un réarrangement ou une nouvelle mise en valeur des données de départ, que celles-ci soient issues du terrain ou (…) des écrits scientifiques ou de grilles préalables (Paillé & Mucchielli, 2003:31).’

La recherche du signifié, en cherchant dans les paroles dites la façon dont les enseignants de soutien éducatif donnent un sens à leurs pratiques, ainsi que la compréhension éclairante de l’objet d’étude ont constitué les préoccupations qui ont orienté cette analyse qualitative, en prenant toujours en compte que le chercheur développe un rôle important dans tout le processus de codification des données recueillies (Bogdan & Biklen, 1994), tel Velázquez qui s’intègre dans sa propre peinture 164 . C’est le chercheur qui provoque les données qualitatives pour l’émergence «d’une mise en ordre compréhensive de ces données, d’un sens explicatif global répondant à la problématique» (Paillé & Mucchielli, 2003:27). «Il importe par conséquent d’être attentif au fait que l’analyse parle bien souvent autant de l’analyste, de sa société et de sa culture que du phénomène analysé» (p.32).

Nous avons fixé comme unité d’enregistrement, ou encore, l’unité de signification à codifier, la proposition, dans le sens que lui donne D’Unrug (1974:167) : « par proposition nous entendons une affirmation, une déclaration, un jugement (ou une interrogation, ou une négation), en somme, une phrase ou un élément de phrase qui, comme la proposition logique, établit une relation entre deux ou plus termes. C’est, en principe, une unité qui se suffit à elle-même ». La notion de proposition s’approche ainsi de celle que Berelson appelle thème « une affirmation autour d’un sujet » (Bardin, 1977:105). Elles sont des unités découpées « en esprit et non à lettre » (Morin, 1969).

Comme unité de contexte, ou encore, « unité de compréhension pour codifier l’unité d’enregistrement » (Bardin, 1977:107), nous avons considéré la réponse fournie par le répondeur à la question, dans la mesure où, parfois, seul la globalité de la réponse confère un sens plein aux idées contenues en elle.

Nous avons eu recours à la technique “du ciseau et de la colle”, comme D’Unrug (1974) la désigne, ou encore, le discours a été découpé en fragments (propositions) qui ont ensuite été agrégés et codifiés en catégories et sous-catégories, définies a priori ou qui allaient émerger dans le cours de l’analyse (a posteriori), en tentant de capter « l’existence d’une logique en partie inductive, récursive et itérative” (Paillé & Mucchielli, 2003: 40), prenant toujours en compte les objectifs prédéfinis pour l’analyse, conciliés avec une attitude de découverte de l’analyste sur son corpus, en essayant, comme le disent les mêmes auteurs, que l’analyse qualitative soit

‘par essence, l’activité d’un esprit qui pose des questions au matériau devant soi et génère en tour des thèmes, énoncés, catégories qui tiennent lieu de réponse circonstanciée (…) permet tout à la fois de soutenir l’effort de compréhension, de centrer le regard et de cibler l’interrogation (p.73).’

Dans le temps de l’analyse et, face à la vaste étendue de l’information, « le double problème de l’agrégation des réponses individuelles et de leur généralisation » (Ghiglione & Matalon,1992: 3) fut un moment de grande tension et d’investissement, une fois que les efforts de raffinement et de regroupement deviennent de plus en plus importants. Agréger des idées émises par des individus différents, dans des contextes différents, dans une idée généralisatrice, définie par l’analyste, comporte des risques d’erreur d’interprétation subjective d’un ordre plus ou moins important.

Tout ce processus a eu des moments d’avancée et de recul, parfois avec l’impression de repartir à zéro après beaucoup de travail fait. Ce ne fut pas un processus linéaire, mais bien un processus interactif et cyclique qui a exigé une façon de contrôler méticuleuse et systématique.

Nous avons utilisé le signe “ [] “ chaque fois que nous avons voulu clarifier le sens de l’unité d’enregistrement, en ajoutant des petits morceau de texte ou en les déplaçant de leur lieu d’origine, l’unité respective de contexte.

Pour le processus d’analyse, découpé en quatre moments: pré-analyse, catégorisation, codage et comptage et interprétation (Robert & Bouillaguet, 2002), il y a toujours une découverte à faire:“découvrir quels thèmes sont abordés, et selon quelle constance et quelle importance» (Paillé & Mucchielli, 2003:144), pour leur attribuer un significat.

Nous avons débuté le processus de pré-analyse par une première lecture flottante des réponses aux questions posées, dans le sens de détecter les possibilités d’analyse et l’émergence des grandes lignes de force. Après, nous avons sélectionné une cinquantaine de questionnaires et, dans une seconde lecture, nous avons surligné avec des couleurs différentes les unités d’enregistrement (chaque couleur représentait une affinité thématique) et avons fait des annotations, tel que dans le processus exhaustif d’analyse du corpus, parce qu’il

‘ne s’agit pas seulement de relever des thèmes, mais de les examiner, de les interroger, de les confronter les uns avec les autres de manière à déboucher sur l’exercice discursif appeler traditionnellement discussion (Paillé & Mucchielli, 2003:145)’

A ce moment, les résultats sont donc “discutés”, “on cherche à les «faire parler», ils sont parfois mis en lien avec des référents théoriques, puis comparés, relativisés ou corroborés» (Paillé & Mucchielli, 2003: 145), pour qu’on puisse construire le système de catégorisation qui puisse répondre à notre problématique.

Dès lors qu’une catégorie est «un outil très puissant et très flexible (…) une production textuelle se présentant sous la forme d’une brève expression et permettant de dénommer un phénomène perceptible à travers une lecture conceptuelle d’un matériau de recherche» (Paillé & Mucchielli, 2003: 147) et «qu’une analyse de contenu vaut ce que valent ses catégories» (Robert & Bouillaguet, 2002), notre système de catégorisation a été construit, en considérant les principes d’exhaustivité, pertinence, homogénéité et exclusivité (Bardin,1977; Estrela, 1986; Carmo & Ferreira, 1998), des catégories, dans un processus d’interaction entre le cadre théorique 165 (catégories a priori) et l’analyse du corpus (catégories a posteriori).

Dans la mesure où «le nombre de répétitions ne définit pas à lui seul l’importance d’un thème» (Paillé & Mucchielli, 2003: 143), définir comment la quantité et/ou la qualité de l’information justifiera l’ouverture d’une catégorie, fut une autre de nos préoccupations car «en analyse qualitative en général, la signifiance d’une donnée n’est pas tant une question de nombre que de statut de l’information» (Paillé & Mucchielli, 2003: 143).

L’affinité thématique, en chaque regroupement, a permis de trouver l’expression exacte pour nommer les catégories. L’information contenue dans chaque catégorie, parce qu’elle est étendue, a conduit à un nouveau regroupement, d’où émergent les sous-catégories. Ce premier cadre de codage fut ensuite utilisé comme point de départ et non d’arrivée pour la suite de l’analyse, dans un processus constant de reformulation et de reconstruction auquel l’interaction corpus/analyste obligeait.

Parce que nous considérons comme hypothèse implicite que « plus grand sera l’intérêt de l’émetteur pour un objet donné, plus grande sera la fréquence de l’occurrence, dans le discours, des indicateurs relatifs à cet objet » (Vala, 1986:118), nous avons opté pour la réalisation d’une quantification des unités d’enregistrement émises, même si une analyse de contenu n’implique pas nécessairement cette quantification. Comme unité de quantification, dans la mesure oùl’unité d’enregistrement est la proposition, nous avons adopté le nombre d’apparitions.

Les résultats sont consultables en Annexe 3 et 5.

Notes
164.

Dans le tableau de Velázquez, Las meninas, le peintre lui-même intègre la scène..

165.

Le cadre théorique inclut aussi la problématique de l’étude.