Chapitre 3. Ce qu’ils désirent faire

Ce qu’on désire peut
déterminer ce qu’on fait.

Pour compléter et enrichir l’information nécessaire à la compréhension des pratiques de ces enseignants de soutien éducatif, on leur a été proposé une simulation : répondre à un texte subordonné au titre «Que faire avec Miguel?» 185 . L’objectif était de mettre les enseignants en situation d’action face à un problème et, sans barrières ni embarras, qu’ils décrivent leur stratégie d’action, pour aider à le résoudre avec les autres intervenants du processus éducatif.

Cette demande posée en fin de questionnaire, déjà long et très ouvert, et la faible disponibilité que ces personnes ont pour répondre à des questionnaires, provoqua une certaine attente relativement aux réponses à obtenir, mais 86% des enseignants y répondirent, donnant origine à cinquante pages de texte réécrit (Annexe 5) converties [et segmentées] en 2016 unités d’analyse [unités de base] (Annexe 6).

Nous pouvons peut-être affirmer que les enseignants aimèrent bien la question, en se sentant mis en défi. L’un des enseignants se rendit disponible: «Je suis à votre disposition pour une réflexion plus approfondie.» (Q215); une enseignante (Q133) appuya son discours avec des citations de divers auteurs 186 qui réfléchissent et écrivent sur les question éducatives en général et sur les enfants avec des difficultés dans leur parcours éducatif; une autre (Q171) transpose le cas de Miguel dans son contexte éducatif en affirmant:«dans les écoles d’aujourd’hui, il y a toujours un Miguel duquel tous veut se libérer et mettre dans telle institution.»

Ce fut pour quelques uns un bon moment de réflexion:

‘Parfois, nous, les enseignants, au lieu d’être facilitateurs de l’apprentissage et des relations socio-affectifs "sommes" les générateurs de comportements agressifs qui surgissent comme des appels à l’attention, provocation et de rapprochement qui se résolvent bien avec des attitudes déterminées : fermeté, attention et tendresse, techniques de contrôle de comportement avec renforcement positif, travail en équipe avec des parents et des pairs… (Q323).’

La capacité de tirer partie de situations compliquées fut mise aussi à l’épreuve:

‘Probablement si Miguel faisait seulement de bonnes choses et montrait un comportement adéquat, les intervenants mentionnés dans le texte (parents, président du conseil de l’école, psychologue, enseignante de la classe et enseignante de soutien) ne se réuniraient pas et transformeraient ses grandes victoires en des pas insignifiants et sans sens. Ainsi, au moins ils iront se connaître et converser! (Q144).’

Il semble que nous pourrions affirmer que cette demande se révéla être un bon moment de réflexion, un moment permettant à chacun de se confronter à ses comportements relativement à ses élèves et aux contextes dans lesquels il s’insère.

Pour faire l’analyse de contenu des textes produits, nous avons premièrement mise en œuvre une démarche inductive pour faire émerger des catégories. Le corpus est dense, ce qui nous oblige à sélectionner de nombreuses catégories, mais un peu éloignées de celles déjà sélectionnées dans la première partie du questionnaire. Elles furent reformulées, ayant comme point de départ l’analyse réalisée avec les données quantitatives ainsi que les réponses aux questions ouvertes, ce qui donna origine à une grille très ouverte pour couvrir les catégories émergentes. Le traitement des données, dans une démarche d’aller-retour, a fait émerger le scénario que nous avons placé en Annexe 6.

Nous présentons les conceptions des enseignants de soutien qui émergent de ce scénario, dans la Figure suivante, relativement à ce qu’ils feraient face à la situation présentée.

Figure 30 - Dynamique désirée par l’enseignant de soutien éducatif
Figure 30 - Dynamique désirée par l’enseignant de soutien éducatif

En considérant la quantité d’information produite, c’est à dire les 2016 unités d’analyse textuelle, le plus fort pourcentage d’information émise par ces enseignants se porte sur le soutien à l’élève, un soutien direct, qui parfois assume un caractère peu réaliste, et même caricatural:

‘Cependant comme tel cela ne serait possible que si les conditions idéales existaient. Ces conditions se traduiraient pour cette élève par l’affectation d’un seul enseignant pour lui, qui travaillerait avec lui seul dans une salle et qui travaillerait des règles de socialisation et de comportement. Ponctuellement, cet enfant irait réaliser des activités de groupe dans sa classe d’origine (Q296).’

Faire le diagnostic de sa situation problématique émerge de l’analyse, en second lieu: «L’idéal serait de tenter de percevoir pourquoi Miguel est émotionnellement tant perturbé et pourquoi est-ce qu’il est nécessaire de la force pour se faire entendre (écouter). Probablement, personne ne l’écoute autrement.» (Q220)

En troisième position, en accord avec ce que les enseignants disent, c’est que Miguel doit continuer [à fréquenter] une école régulière [ordinaire] (10,5%), pour qu’il puisse faire ses apprentissages, comme dit une des enseignantes (Q317):

‘L’école que Miguel fréquente, est aussi capable de lui "enseigner convenablement"! Nous sommes tous différents et ce n’est pas pour cela qu’il y a une école pour les obèses, les noirs, les blancs… La société doit cheminer vers une culture de l’inclusion, où les valeurs comme la solidarité, l’humanisme, et la tolérance doivent être les devises. Ce chemin doit commencer à l’école. Si les enfants vivent ensemble avec la différence, il sera plus facile pour Miguel et le restant de la communauté scolaire, de promouvoir dialogues, empathie et tolérance, en apprenant à s’auto-contrôler et à gérer des conflits sans recours à la violence.’

Ces enseignants disent que Miguel, avec eux, se maintiendrait dans l’école ordinaire «pour pouvoir profiter d’un droit qui est pour tous», «pouvoir grandir dans un environnement plus stimulant», «pour donner un continuité aux interactions déjà réalisées», «pour que soient créées des conditions favorables dans l’école», «pour maintenir son lien avec le groupe-classe» et «pour ne pas porter préjudices à l’élève» (Annexe 6).

Du total de l’information recueillie et analysée, 2,8% vont dans le sens de ce que Miguel ne doit pas continuer dans l’école ordinaire, il doit être conduit vers une école d’éducation spéciale, «s’il porte préjudice aux autres», «si toutes les réponses alternatives sont épuisées», «s’il y a eu partage d’activités entre l’école ordinaire et l’école d’éducation spéciale», «s’il peut profiter d’un accompagnement spécialisé» et si ceci «permet de ne plus penser au cas» (Annexe 6). Q317 dit ainsi: «éventuellement il y aura plus de diversité de techniciens 187 pour lui apporter soutien, mais, d’un autre côté, il y aura le désavantage d’être dans un milieu séparé 188 , avec des modèles de socialisation inadéquats» et Q273 ajoute: «fréquenter une école d’éducation spéciale ne viendra pas résoudre son problème, mais bien celui de ceux qui lui tourne autour.»

Après ces trois points saillants, les trois premiers de la hiérarchie quantitative, illustrés avec les paroles des enseignants questionnés, nous allons procéder à une agrégation des catégories exprimées dans le tableau ci-dessus pour une meilleure compréhension de cette information massive. Cette agrégation est réalisée en grands points organisés par les objets suivants: (i) l’élève (ii) les contextes dans lesquels l’élève apprend en tant qu’élève de l’école ordinaire et (iii) les intervenants qui participent au processus en y incluant les pairs de l’élève avec des besoins éducatifs spéciaux. La décision explicite concernant le maintien de l’élève dans l’école régulière [ordinaire] ou son placement dans une école d’éducation spéciale, constitue le premier point d’analyse, comme on peut le voir dans la suite.

En accord avec ces points forts de l’information émise, globalement, nous pouvons dire que ces enseignants pensent, pour leur intervention, dans une perspective écologique de développement (Bronfenbrenner, 1979, 1981; Bairrão, 1998), une fois qu’ils ont analysé et tenté de résoudre le problème en faisant agir systématiquement tous les éléments du processus éducatif: l’élève, les contextes et les intervenants directs et indirects.

Notes
185.

Voir Annexe 4.

186.

Dont en particulier Bandura (1979)

187.

Jorge Humberto a conclu dans son investigation «éducation des élèves avec déficience intellectuelle profonde dans l’école régulière [ordinaire] et dans l’école spéciale» que la formation des ressources humaines pour travailler avec ces cas dans l’école régulière [ordinaire] et dans l’école spéciale n’est pas considérablement différente. Communication au XIV Colloque de l’AFIRSE, Février 2006, Université de Lisboa.

188.

NDT dans le sens de ségrégation dont est porteur «segregado».