Le discours et la « praxis »

Nous constatons, aujourd’hui, que le discours des ”experts” qui réfléchissent sur ce secteur de l’éducation, est mis à distance de ce que le secteur politique pense et fait entrer sur le terrain. Rappelons que le Portugal a été un des pionniers de l’intégration des enfants et des jeunes en situation de déficience dans les classes de l’enseignement ordinaire, à la fin des années 60 (XXième siècle). Si, à ce moment-là, on était alors préoccupé avec les apprentissages de ces élèves, selon le savoir et la pratique de l’enseignement/apprentissage de l’époque, comment donc se fait-il qu’aujourd’hui surgisse à l’évidence un notable recul dans la façon de penser et d’agir de ceux qui décident ? Au moment où au niveau européen la préoccupation de la non-catégorisation des personnes est en train d’être amplement débattue, car superflue pour une intervention efficace, surgissent des décrets-lois qui s’appuient sur la catégorisation médicale pour pouvoir réaliser l’intervention. Serait-ce qu’unecaractéristique de la personne soit, en soi, plus importante que la personne elle-même ?

L’éducation inclusive s’appuie sur les potentialités des personnes, dans leur fonctionnalité 228 , dans les apprentissages que nous faisons avec nos pairs, dans les contextes dans lesquels nous vivons, dans une dynamique interactive du donner et du recevoir tellement bien exprimée par Vigotsky 229 et Bronfenbrenner 230 , pour n’en nommer que quelques-uns. Si on veut construire l’équilibre écologique de la personne (Bronfenbrenner, 1979), on ne peut pas partir d’un diagnostic qui prend appui essentiellement sur le déficit physiologique ou mental. Ce que je dois connaître très bien, c’est ce que l’individu sait déjà faire pour pouvoir rendre plus fort sa capacité d’apprendre, dans le sens de développer, dans une perspective systémique, son autonomie, en ayant en vue la qualité de vie à laquelle il a droit.

Aux enseignants de soutien éducatif, en tant qu’agents d’une éducation inclusive, il leur revient la compétence de réfléchir sur leurs pratiques, pas dans le sens de "donner des verges pour se faire battre" mais pour ne pas demeurer des agents d’exclusion par les pratiques ségrégatives qu’ils développent, fruit d’"avantages acquis", d’un progressif accommodement à la situation ou d’un "fonctionnalisme" professionnel.

Au contraire de ce qui normalement est dit, ce que j’ai pu constater avec une petite enquête que j’ai faite auprès des enseignants de soutien éducatif 231 , ce ne sont pas en priorité les conditions des écoles que posent des difficultés à l’éducation inclusive, mais bien une ferme détermination (aller après ce en quoi ils croient… contre l’immobilisme) et la compétence des enseignants (ceux de soutien éducatif et ceux de la classe). À la formation initiale, continue et spécialisée, il revient le grand rôle de faire créer l’"élan" nécessaire pour que l’acte éducatif soit un acte créatif, prenant origine dans les environnements où les situations se vivent et avec la complicité des intervenants, dans une redécouverte continue et systématique d’investigation et d’action.

Sans oublier les spécificités que chaque individu comporte et qui parfois nécessitent un traitement spécifique, ceci doit être intégré à son comportement plus global d’individu. L’intervention éducative doit atteindre l’élève dans la globalité, on ne peut travailler d’une manière morcelée sans mettre en lien direct les parties avec le tout. La formation ne doit pas, ni ne peut être développée sur la base de la catégorisation et encore moins sur celle de la catégorisation médicale. Les règles stipulées par les concours sont venues déterminer et conditionner les options relatives à la formation. La formation, ainsi mise à disposition par rapport à ces règles, rencontre une difficulté pour se définir par rapport à une perspective plus éducative et plus inclusive (Sanches, 2005a, 2005b). Une définition claire législative sur les priorités en éducation fait défaut dans le contexte éducatif.

Cette recherche conduite en se focalisant sur les enseignants de soutien éducatif et leurs pratiques, en fonction des élèves qui ont été considérés comme ayant des besoins éducatifs spéciaux (perspective du déficit), s’inscrit dans un projet fort de poursuivre en se centrant sur les pratiques des enseignants et celles, en général, observables à l’école en fonction d’une éducation inclusive. Autrement dit, il s’agirait d’essayer de connaître quelles mesures ont été implémentées pour que la classe ou l’école deviennent une communauté d’éducation plus inclusive. Parce que la recherche a aussi un rôle d’obliger ceux qui sont concernés, à réfléchir sur une situation donnée, il pourra être préférable de les mettre à réfléchir sur ce qui a été ou pourra être fait, passant ainsi d’une attitude réactive à une attitude proactive, dans le sens de faire de l’utopie, une réalité.

Notes
228.

L’Organisation Mondiale de la Santé centre l’analyse des individus sur leur fonctionnalité, d’où la Classification Internationale de la Fonctionnalité (CIF, 2001) et non sur la Classification Internationale de la Déficience (CID, 1980)

229.

Voir bibliographie.

230.

Idem.

231.

Enquête auprès des enseignants qui suivent une formation spécialisée à l’Université Lusófona des Humanités et Technologies.