L’industrialisation du littoral de la baie de Tôkyô commence véritablement par la construction de la ville de Yokohama en 1857 et l’ouverture du port international de Yokohama ouvert en 1859. C’est une zone artificialisée depuis la fin du XVIIe siècle par des travaux de shinden. Les premières zones industrielles de la baie de Tôkyô se développent sur ce substrat, dans le prolongement du chemin de fer dont la première ligne (1872) longe la côte entre la gare de Shinbashi 新橋, à Tôkyô et la gare Sakuragichô桜木町 à Yokohama.
Sur le littoral de cette dernière, les travaux pour la construction d’un port moderne débutent sous la direction d’ingénieurs occidentaux. En plus des infrastructures purement portuaires (digues, entrepôts, embarcadères), un tissu industriel s’implante progressivement entre les deux villes
Le littoral entre Yokohama et Tôkyô est alors une zone plutôt hétérogène : shinden, petits ports de pêche, champs de nori 12 . L’arrivée sur la zone d’investisseurs privés qui utilisent les zones basses du littoral pour implanter des établissements industriels transforme irrémédiablement cette partie de la baie de Tôkyô.
Citons pour exemple l’industriel Asano Goichirô 13 浅野吾一郎 qui fonde en 1908 le Tsurumi Umetate Kumiai 鶴見埋立組合 14 (Association pour le remblaiement de Tsurumi) avec pour but de construire des terre-pleins sur le littoral de Kawasaki 川崎, entre Yokohama et Tôkyô. Il construit 480 hectares de terre-pleins avec le soutien du département de Kanagawa qui gère les conflits avec les pêcheurs. L’opération est terminée en 1928. Il y déménage ses cimenteries de Fukagawa深川 (Kôtô-ku à Tôkyô) et vend les parcelles à de nombreuses entreprises industrielles : aciéries, raffineries, centrale électrique, quais privés. La position sur le littoral facilite l’accès aux matières premières et l’exportation de produits manufacturés. En amont des terre-pleins, des quartiers urbains apparaissent le long des axes de communication et remplacent les terres agricoles.
À partir des années 1920, la majeure partie des shinden de la baie entre Tôkyô et Yokohama ont disparu, remplacés par l’espace urbain et dépassés physiquement par des terre-pleins industriels, portuaires et industrialo-portuaires.
Dans le port de Tôkyô, les shinden du Kôtô-ku sont rattrapés par l’urbanisation de la rive orientale de la Sumida alors que des travaux d’aménagement de l’embouchure de la rivière produisent de nouveaux terre-pleins (fig.2). Le dragage des chenaux du port et le curage des canaux de la Ville basse fournissent toujours le matériau utilisé pour construire les terre-pleins de Tsukishima 月島, dans le prolongement du vieux terre-plein datant d’Edo, Tsukudajima 佃島, puis Harumi, Toyosu, Shinonome東雲, etc.
Source : Chizu de miru Tôkyô no hensen地図で見る東京の変遷, Japan Map Center
Ces zones gagnées sur la mer sont revendues par blocs aux enchères. Elles hébergent un habitat populaire et un réseau de PMI-PME autour de l’activité de la construction, laquelle est liée à la présence dans le port des bassins de stockage des bois de charpente.
La partie ouest et sud-ouest du port est constituée de terre-pleins qui prolongent la zone industrielle côtière du Keihin京浜 (abrégé de Tôkyô-Yokohama東京-横浜), qui s’étend de Tôkyô à Kawasaki et Yokohama, et double à l’après-guerre les terre-pleins déjà construits, de vastes plateformes mêlant sidérurgie, pétrochimie, énergie et constructions mécaniques.
Organisée par le secteur de l’industrie lourde, soutenue par les pouvoirs publics locaux qui délivrent les permis de construire 15 , la construction d’ASM est alors un système bien rodé. Elle permet un autofinancement des opérations et une offre extensible de terrains prêts à la vente et à l’emploi. Le processus est étendu à l’ensemble de la baie de Tôkyô pendant la HCE.
Algues comestibles.
Asano Goichirô (1848-1930) est un industriel, fondateur de la Tôyôkisen 東洋汽船 (construction navale). Il participe à l’industrialisation du Japon pour le hisser au rang des puissances industrielles de l’Europe qu’il avait visitées et qui l’avait fort impressionné. Il fut à la tête de plusieurs groupes industriels dont la plupart portent son nom, de même qu’un terre-plein de Kawasaki.
Ancêtre de la Toa Construction Corp. 東亞建設工業, une entreprise du BTP spécialisée dans la construction de terre-pleins.
La Loi de 1921 sur le remblaiement des eaux publiques (Kôyû suimen umetate hô公有水面埋立法) donne aux départements la compétence pour délivrer les permis de remblayer les eaux publiques : lac, fleuves et mer.