3. Les terre-pleins du port de Tôkyô aux marges de l’urbanité

a. La Ville basse sur terre-plein

Utilisant comme matériau les boues de dragage des canaux de la ville et des chenaux portuaires, les déblais issus de la destruction de la ville lors du grand séisme du Kantô de 1923, les bombardement américains et les ordures industrielles et ménagères, la terre avance dans l’espace du port de Tôkyô. Ce sont des terre-pleins financés quasi exclusivement par la ville, puis le gouvernement métropolitain de Tôkyô, le Tôkyô-Tochô東京都庁 17 . Un fois leur construction terminée, ces nouveaux terrains sont en partie revendus. Dans la plupart des cas ce sont des industriels qui acquièrent ces terrains comme l’entreprise de constructions navales Ishikawajima-Harima 18 qui achète une partie du terre-plein de Toyosu en 1935 ou encore les cimenteries Onoda sur Harumi.

Industrie lourde, production d’énergie, stockage et traitement du bois de construction, entrepôts frigorifiques, constituent le type d’activité localisée sur ces terrains. Autour, ce sont des quartiers populaires, mêlant habitats, petits commerces et des PMI-PME. Ce sont bien les quartiers typiques de la Ville basse du XXe siècle qui s’étendent, progressant vers le sud du port et agrandissant l’arrondissement de Kôtô (fig.5).

Figure 5 : La présence de l’industrie dans les 23 arrondissements de Tôkyô
Figure 5 : La présence de l’industrie dans les 23 arrondissements de Tôkyô

Sources : Tôkyô Statistical Year book 2004

La ville est même très basse : le pompage de l’eau industrielle produit des affaissements qui atteignent par endroit plus d’un mètre. Si ces derniers sont moins importants aujourd’hui qu’auparavant, une partie de ces quartiers est toujours située sous le niveau de la mer (fig.6). Le triangle de Kôtô, entre les rivières Sumida et Arakawa荒川 reste ainsi aussi soumis aux risques d’inondations, dans la continuité classique de la Shitamachi historique (Masai, 1990 ; Pons, 1988 ; Pelletier, 2003b ; Endô 2004).

Figure 6. évolution des phénomènes de subsidence dans les 23 arrondissements de Tôkyô
Figure 6. évolution des phénomènes de subsidence dans les 23 arrondissements de Tôkyô

Si, vu du train, les hauteurs ou des styles d’architectures peuvent tromper, la trame urbaine de la shitamachi est restée très ordonnée et géométrique.

Ainsi, à contre-pied des théories sur la « ville amibe » (Ashihara, 1994) ou de la « ville désordonnée », la Ville basse est marquée par un ordonnancement régulier avec des rues et une trame orthogonale de la voirie (fig.7). Ce plan est hérité du contrôle de l’époque Edo, mais aussi de l’urbanisme sur la mer : la topographie plane du terrain permet ces tracés réguliers des rues et un ordonnancement géométrique des parcelles. De plus les quartiers ont été créés de toutes pièces, planifiés dans un souci d’efficacité ou de contrôle.

Figure 7. Trames orthogonales dans le quartier de Shin Ôhashi, à l’extrême nord de l’arrondissement de Kôtô. (plan et photo aérienne correspondante)
Figure 7. Trames orthogonales dans le quartier de Shin Ôhashi, à l’extrême nord de l’arrondissement de Kôtô. (plan et photo aérienne correspondante)

Source : Alps Mapping KK 2006.

Notes
17.

Tôkyô Metropolitan Government, TMG ci-après, l’entité administrative qui rassemble à la fois le département et la ville de Tôkyô.

18.

Aujourd’hui Ishikawajima-Harima Heavy Industries, ci-après sous l’acronyme IHI.