Depuis la fin du XIXe siècle, le chemin de fer s’est développé sur un mode de domination par rapport aux autres moyens de transport qui est toujours d’actualité. C’est particulièrement le cas dans les espaces mégalopolitains, ce qui fait en partie la particularité des modes de mobilité des métropoles japonaises (Aveline, 2003). Même après la HCE d’après-guerre et la hausse du niveau de vie, la voiture n’a pas détrôné le train chez les navetteurs.
Masai Yasuo, un géographe spécialiste de Tôkyô interprète cela comme la conséquence du fait que le Japon soit passé directement du transport à pied au chemin de fer (Masai, entretiens 1998-2001). Le Japon aurait fait ainsi l’économie de la voiture, peu adaptée à la densité de ses villes, que se soit par propulsion animale ou motorisée. L’idée est séduisante. Il y a certainement du vrai, la voiture est parfois surtout un moyen de loisirs et elle n’est pas le moyen de transport quotidien privilégié des navetteurs. C’est une des grandes différences entre les mégapoles japonaises et celles d’Amérique du nord ou d’Europe occidentale. Cela malgré un très haut niveau de vie et une industrie automobile en passe de devenir la plus puissante au monde.
C’est en conséquence le chemin de fer qui forme le réseau structurant l’espace de la mégapole et dont les gares sont les points de la centralité. La cartographie des isoprix fonciers (fig.21) permet de rendre de compte de cette situation à l’échelle régionale.
C’est en premier lieu un schéma radioconcentrique qui s’impose à l’échelle de l’aire métropolitaine. Les valeurs foncières décroissent au fur et a mesure que l’on s’éloigne des quartier centraux de Tôkyô. Le niveau des prix suit cependant le tracé des voies ferrées, le long de radiales à partir des gares les plus importantes de la ligne Yamanote : Shinjuku新宿, Shibuya渋谷, Ikebukuro 池袋, Ueno 上野. Ces axes reportent les valeurs foncières vers les banlieues et donne à l’ensemble une forme en étoile où prix fonciers et réseaux ferrés coïncident quasiment à l’identique.
Le long du réseau étoilé, localement, on peut noter des hausses des prix qui correspondent à la présence des gares où stoppent les trains express et les gares terminales des lignes. C’est bien l’accès et le temps d’accès 30 , au centre ville et aux gares qui le desservent le plus rapidement qui sont les éléments organisateurs de la centralité à l’échelle de la mégapole Tôkyôte.
La carte fait apparaître les quartiers centraux de Yokohama (arrondissement de Nishi-ku 西区et Naka-ku 中区), mais dont les valeurs foncières ne correspondent plus aujourd’hui à celles du centre de Tôkyô, traduisant la configuration unipolaire de la mégapole.
Cela n’apparaît pas sur la carte mais le réseau ferré est double. Une partie correspond aux lignes de la JNR (la Japan National Railway, aujourd’hui divisée en plusieurs branches et privatisée) qui constitue le réseau principal. Une autre partie du réseau a été construite par de grands opérateurs ferroviaires, les ôtemintetsu 大手民鉄 (OTM).
Les OTM ont organisé à partir des années 1920 (Pelletier, 1994a) le développement urbain le long de lignes radiales à partir de terminaux greffés sur les gares de la ligne Yamanote. Un autre terminal, en bout de ligne, est généralement implanté en banlieue ou en grande banlieue. Entre ces deux points, les OTM ont converti les terres agricoles en lotissements d’habitations, équipé les gares en espaces commerciaux, et construit des parcs de loisirs. Dans les aires d’influence de leurs gares, les OTM prennent en charge tous les niveaux de transports, des lignes de bus aux écoles de conduite, et même le transport à bicyclettes dont on peut louer à l’OTM les places de parkings dans la gare. L’objectif des OTM étant bien évidemment de maximaliser la fréquentation de leurs lignes entre le centre de Tôkyô, lieu de travail, et les gares de banlieue, lieu d’habitation. C’est une autre explication du poids du transport ferroviaire dans l’espace de la mégapole.
Cette étoile ferroviaire n’est pas symétrique : les prix plus étirés à l’ouest est au sud-ouest tiennent de la présence de la ville de Yokohama, mais aussi de logiques géohistoriques. D’une part la destruction de Tôkyô par le séisme du Kantô de 1923 (Kantô daishinsai 関東大震災) a provoqué une migration des classes moyennes depuis les quartiers centraux de Tôkyô, considérés comme trop dangereux, vers les plateaux du Musashino (Masai, 1990). Un mouvement dont les OTM ont profité pour l’implantation de leur villes nouvelles. Ce mouvement correspond finalement à un réflexe local ancré dans l’histoire urbaine : c’est de nouveau la structuration socio spatiale des jôkamachi, entre les collines plus sûres et moins dense de la Ville haute aristocratique et les quartiers dangereux de la Ville basse.
À l’est de Tôkyô, la contraction générale des prix fonciers correspond à la présence des villes dortoirs ouvrières de Funabashi 船橋et de Chiba, construites lors de l’industrialisation du département à l’après-guerre. Cependant les hautes valeurs, concentrées à l’intérieur de la Yamanote, chutent brutalement dès que la Sumida est franchie. Dans les arrondissements centraux de Kôtô et Edogawa, l’effet de proximité au centre ne semble plus jouer aussi fortement.
Dans cette zone des dix kilomètres à partir du centre, qui correspond grosso modo aux 23 arrondissements centraux de Tôkyô, c’est une organisation socio-spatiale différente de celle de la mégapole qui est à l’œuvre.
Sur même trajet, le temps de transport peu varier du simple au double, voir au triple, entre un train express et un omnibus.