2. Harumi Triton Square : une requalification vers la gentrification ou vers le « têma pâku 109  » ?

Situé au sud de Tsukishima, Harumi est un peu son terre-plein jumeau. Sa construction s’achève en 1929, avec les boues de dragage et des déblais de la destruction de Tôkyô lors des séismes de 1923. L’île artificielle est utilisée pour des quais, Harumi Futô, le centre d’exposition de Tôkyô 110 , l’embarcadère pour les lignes internationales des ferries, un tissu de PMI-PME et d’usines.

En 1958, la Kôdanjûtaku (ancêtre de la Toshisaisei) construit le « complexe d’habitation Harumi » formant le premier grand ensemble d’appartements collectifs d’habitations sur les terre-pleins du port, avec les premiers immeubles d’habitations de Tôkyô équipés d’ascenseurs 111 . Le COS était alors de 148%, et 29 560 personnes résidaient sur la zone (fig. 73).

Cette parcelle de 10 hectares est choisie pour l’opération Harumi Triton Square 晴海トリトンスクエアen 1988, date à laquelle le toponyme est choisi et le projet annoncé. Les constructions débutent en 1994 avec la démolition progressive des barres d’immeubles de la partie Ouest. L’opération est achevée en 2001.

Figure 72 : La parcelle Harumi Chôme 1 (Chûô-ku) avant l’opération Triton Square.
Figure 72 : La parcelle Harumi Chôme 1 (Chûô-ku) avant l’opération Triton Square.

À la différence de River City et d’autres opérations foncières résidentielles, où elle joue le rôle d’accompagnatrice, la Toshisaisei est l’acteur principal de l’opération Harumi Triton Square. Elle diversifie son activité dans une opération de rénovation de son parc de logements, mais aussi d’investissements dans le tertiaire marchand et d’affaires.

La régie se comporte alors comme un opérateur foncier privé, par l’intermédiaire d’une compagnie mixte, Harumi Triton Square Corp., fondée en 1996. Celle-ci intègre les autres propriétaires de la parcelle concernés par le périmètre de l’opération, ainsi que la mairie d’arrondissement, dans le cadre d’un remembrement urbain.

Les fonds publics ne représentent que 16% du budget de l’opération. Le financement de l’opération est assuré in fine par la location et la vente des espaces de bureaux des tours XYZ et du centre commercial. Les objectifs sont de 31 000 résidents et 39 000 actifs 112 .

Figure 73 : POS Harumi Island Triton Square.
Figure 73 : POS Harumi Island Triton Square.

Comme sur River City 21, l’opération occasionne d’un relèvement des COS qui passent d’une moyenne de 413% à 700%, avec des maxima de 770% pour les tours de bureau XYZ (fig. 74). Le coefficient d’emprise au sol 113 passe lui de 33% à 80%. Le nombre de logements passe de 789 à 1 165 (photo 12, ci-après).

L’originalité du projet réside cependant dans la volonté de maintien sur la zone des anciens locataires de la Toshisaisei : l’opération se déroule ainsi par étape et les populations relogées dans les nouvelles tours et les nouvelles barres de logements (fig. 75).

Figure 74 : Plan de relogement en vertical sur les nouvelles parcelles de Triton Square
Figure 74 : Plan de relogement en vertical sur les nouvelles parcelles de Triton Square Source : document interne de la Toshisaisei fourni par Ebizuka Ryôkichi (Ebizuka, entretiens 2005). .

Il s’agit bien d’une requalification d’espace urbain. Cette requalification est double : fonctionnelle et sociale, d’un bloc d’habitat plutôt populaire vers des immeubles de grands standing, d’une zone de petites industries vers une zone d’affaires et de chalandise, shopping malls et immeubles de bureaux.

Photo 12 : Harumi Canal, à droite (Sud) les tours de logements et d’affaires de Triton Square. Au fond à gauche les tours de logements de l’opération Kachidoki 6e chôme.
Photo 12 : Harumi Canal, à droite (Sud) les tours de logements et d’affaires de Triton Square. Au fond à gauche les tours de logements de l’opération Kachidoki 6e chôme.

© Scoccimarro 2007.

Triton Square représente l’opération idéale pour la municipalité de Chûô : une rénovation urbaine, une opération financée en grande partie par le secteur privé, et la garantie du maintien des populations déjà sur place.

L’arrivée de nouveaux habitants permet une hétérogénéité sociale et générationnelle. Pour la mairie d’arrondissement, cette mixité peut garantir un développement démographiquement durable de la zone. Mélanger les populations est considéré comme un moyen de les stabiliser et d’atténuer les variations démographiques extrêmes que l’arrondissement connaît depuis l’après-guerre.

Sur la partie est du terre-plein Harumi, d’autres opérations de complexes résidentiels en hauteur sont prévues, en particulier sur Harumi 4e et 5e chôme. Mais dans cette zone, la reconversion urbaine bute sur l’environnement immédiat. La présence de l’usine de recyclage des déchets et le maintien d’industries polluantes, comme les cimenteries Onoda (photo 13), ne favorisent guère le développement d’opérations de logements de haut standing. C’est incontestablement un frein à un processus généralisé de gentrification des terre-pleins du port.

Par ailleurs le terre-plein Harumi est encore mal relié au reste de la ville : la seule liaison prévue par transport en commun sera l’extension du Yurikamome prévu pour 2015 (cf. fig.33 p.73), autrement dit un équipement de transport collectif qui n’est pas au calibre de la mégapole.

La zone Harumi est ainsi aux marges du cœur urbain de Tôkyô. Les infrastructures polluantes ou peu valorisantes n’ont pas encore été déplacées vers les terre-pleins plus au sud du port. Le déplacement du marché de Tsukiji sur Toyosu Futô sera aussi certainement un point de rupture pour une continuité urbaine entre le Rinkaifukutoshin et le centre ville de Ginza.

Photo 13 : Cimenteries Onoda小野田 (liées au groupe Mitsui) sur la partie sud-est du terre-plein Harumi.
Photo 13 : Cimenteries Onoda小野田 (liées au groupe Mitsui) sur la partie sud-est du terre-plein Harumi.

© Scoccimarro 2007.

Notes
109.

テーマパーク, parc à thème.

110.

Relocalisé aujourd’hui sur la zone 13 et transformé en Big Sight.

111.

Machi to sumai zukuri no gijûtsu, gijûtsu sentâ no gijûtsu kaihatsu / kenkyûshû, setsuritsu 40 shûnen まちとすまいづくりの技術~技術センターの技術開発・研究集~、設立40周年 (Compilation sur les recherches et les développements du centre technique sur les techniques d’urbanisme et d’amélioration de l’habitat pour le 40e anniversaire de la fondation), Tôkyô, Toshikôdan, 2003, 78 p.

112.

Harumi airando toritonsukuea晴海アイランド・トリトンスクエア(Harumi Island, Triton Square), Tôkyô, Toshikibanseibikôdan (Urban Development Corp.) et Harumi Ichôme chiku shigaichi saikaihatsu kumiai (Corporation de redéveloppement urbain de la zone de Harumi 1er chome), 2001, 10 p.

113.

Le kenpeiritsu建ぺい率 (CES) règlemente le rapport entre la surface au sol des bâtiments et la surface totale de la parcelle. Sa limitation (en général à 80%) dans les zones urbaines permet de dégager un espace (privé) d’accès public pour la construction de trottoirs ou d’espace verts. Dans les quartiers traditionnels non rénovés, Ville basse comme Ville haute, il est pratiquement toujours à 100%, d’où l’absence de trottoirs.

114.

Source : document interne de la Toshisaisei fourni par Ebizuka Ryôkichi (Ebizuka, entretiens 2005).