1. Un parc de logements pour classes moyennes supérieures

La construction de tours d’habitations de haut standing dans cette partie du centre de Tôkyô a incontestablement produit un phénomène de gentrification. Celle-ci est d’autant plus marquante que cette zone basse d’embouchure de rivière est géo-historiquement le lieu d’installation des classes urbaines populaires. Cela double la mutation socio-spatiale de ces quartiers d’une mutation « socio-topographique ».

La première opération, River City 21, fut conçue pendant la Bulle et ainsi les tours Mitsui sont bien des logements de luxe visant les classes les plus aisées de la capitale. On pouvait alors prévoir la gentrification progressive de tout le quartier de Tsukishima, si proche du Toshin, dont les populations auraient fini par être chassées. Le dégonflement de la Bulle a là aussi modifié la donne. Les prix des appartements du parc Mitsui de River City 21 sont toujours très élevés, qui les font entrer dans la catégorie des okushon  億ション 118 , mais ils ont cependant été divisés par deux ou trois depuis leur mise sur la marché.

Par ailleurs, nous avons vu que ces opérations (River City 21, Harumi Triton Square, Shinonome) ont été conçues en incluant une certaine mixité sociale. Celle-ci élève le niveau social du quartier mais ne fait pas du coup de ces opérations des gated communuties ou des ghettos de riches. La participation de la Toshisaisei induit un parc de logements en location plus large, moins spéculatif et adapté aux classes moyennes supérieures, celles qui reviennent au centre ville.

La période de Bulle a eu un autre effet, sur les politiques internes à l’arrondissement de Chûô. À la fin des années 1980 la mairie avait tenté, en vain, de maintenir ses habitants sur place et misait sur la promotion de ces opérations mixtes de logements pour y parvenir. À la suite de la désurbanisation (déclin démographique, disparition des infrastructures de vie), il ressort des entretiens que nous avons menés que l’arrondissement de Chûô est aujourd’hui déterminé à promouvoir la création d’un tissu urbain stable qui puisse résister aux conjonctures, en particulier aux cycles fonciers, qui nous l’avons vu avec la Bulle, sont plus forts dans cet arrondissement du fait de la présence du Toshin.

Pendant la Bulle, le Chûô-ku avait mis en place un fond destiné à subventionner le logement. Toujours en place, il permet que le toshinkaiki ne se traduise pas par l’exclusion des populations installées précédemment. C’est ce qui s’est passé avec l’opération Harumi Triton Square où le fond finance une partie des logements et maintient sur place la population des anciens immeubles de Harumi.

Ce type d’opération, qui est une exception dans les arrondissements du Toshin (Ebizuka, entretiens 2005), fait la fierté des fonctionnaires de Chûô-ku qui ne se privent pas de critiquer la politique des arrondissements de Minato et Chiyoda laissant se construire des immeubles de très haut standing de type Ark Hills de Mori Biru ou Mid-town Tower par Mitsui Fudôsan.

La mixité sociale voulue par le Chûô-ku est aussi un moyen de pallier le vieillissement de sa population en permettant la constitution de communautés de quartiers et de réseaux d’entraides locales. Le ku favorise pour cela l’implantation de jeunes familles avec enfants, le type même de populations qui émigraient vers les banlieues avec l’inflation des prix fonciers dans le centre et sa périphérie immédiate.

Le Chûô-ku développe pour cela le concept de barriâ furi  バリアーフリー (de l’anglais barrier free) : l’accessibilité facilitée des infrastructures et des trajets urbains aux plus âgés qu’aux plus jeunes enfants. Cela vise aussi à favoriser la constitution de réseaux d’entraide et de convivialité dans les quartiers. Le barriâ furi est complétée par la promotion de formes architecturales homogènes dans l’ensemble de la zone.

Cela semble fonctionner, du moins pour le type de populations qui viennent habiter dans cette partie du Chûô-ku : des familles nucléaires et de jeunes ménages, logeant dans des appartements de taille 2 ou 3-LDK qui sont abordables pour les classes moyennes supérieures à deux salaires 119 .

Ce choix du Chûô-ku ne tient pas de raisons politiques, c’est le même PLD qui gouverne les trois arrondissements du Toshin. En revanche, les aménageurs tiennent à rendre plus prévisibles et moins contradictoires les évolutions socio-spatiales de l’arrondissement. Afin de pouvoir planifier plus efficacement les équipements publics sur le moyen et le long terme, ils jouent sur la diversification des fonctions, des générations et des classes sociales.

Notes
118.

Appartements en manshon valant un oku 億de yen (soit 100 000 000 yen), c’est un jeux de mots sur le passage de man (万, unité de compte correspondant à 10 000) à oku (100 000 000). De man-shon万ションà oku-shon 億ション (dans ce cas le shon ションn’est lui que phonétique, et correspond à la dernière partie du terme manshon マンションl’anglicisme de mansion)

119.

Selon Saito Hirofumi, le responsable du département « projets » (企画部) de l’arrondissement de Chûô.