c. « Bay town » ou « ghost town » ?

La ville nouvelle Bay Town avait pour l’objectif de revaloriser socialement l’image de Chiba, en attirant des populations plus aisées, et en offrant un vrai quartier de ville et non une simple cité-dortoir. Pour attirer des populations à même de travailler dans le centre d’affaire de MNC, les aménageurs ont parié sur l’innovation architecturale en jouant sur la forme du bâti pour tenter de créer l’urbanité. Le résultat est original dans cette partie du monde et à l’heure actuelle : Un quartier haussmannien. Photos du boulevard Saint-Germain ou de la rue de Rennes à l’appui, c’est l’archétype des quartiers du Paris de la fin XIXe qui est pris en modèle. Ce ne sont pas pour autant des urbanistes français qui ont été engagés, mais un cabinet basé sur la côte ouest des états-Unis 142 .

Dans la pratique cela se traduit par des règles construction et un cahier des charges strict qui met l’accent sur la trame viaire et la forme du bâti 143 .

Figure 88 : La zone résidentielle de MNC, Bay Town.
Figure 88 : La zone résidentielle de MNC, Bay Town.

La rue est au centre du projet, elle doit faire l’urbanité. Organisée en trame orthogonale, coupée par des avenues, la grille est orientée terre-mer, dans la lignée des hauteurs maximales autorisées. Celles-ci enserrent le quartier et décroissent en direction de la côte (fig. 88).

Les immeubles d’habitations, les « patios », sont l’unité de base du quartier. Ils forment des blocs carrés avec des cours intérieures privatives, mais ouvertes pour certaines. Ils sont de tailles régulières avec des COS précis, limités dans le centre à six étages. Chacun doit cependant dégager une originalité architecturale spécifique. Il n’est pas question d’alignements de même facture, mais d’une cohérence de l’ensemble. Au rez-de-chaussée des commerces sont installés. Ils sont sensés initier la vie de quartier, animer ce petit monde.

Les intérieurs des patios sont aménagés en petits jardins avec des équipements destinés à la mise en place de convivialités : bancs, barbecues et gestion centralisée des poubelles. Certaines de ces cours intérieures sont closes, mais pas toutes : il faut créer l’interaction avec la rue et donc aussi favoriser l’accès aux espaces de vie commune, en particulier entre les différents blocs.

Les aménageurs ont en partie atteint leurs objectifs. En février 2007 la population était de 21 000 habitants dans 7 534 foyers. Ils sont 22 116 en mars de la même année avec une moyenne d’âge de 32 ans 144 qui tranche avec le vieillissement généralisé des cités-dortoirs construites sur les terre-pleins de Chiba pendant la HCE.

L’objectif de 26 000 habitants pour 2010 sera atteint. Mais si la population est jeune et féconde, les responsables de l’aménagement chiffre à 80% la part des habitants de Bay Town qui travaillent à Tôkyô et à seulement 8% ceux travaillant dans la zone affaires de MNC (entretiens 2005 avec les responsables de l’aménagement). Les salariés de cette zone sont eux plutôt originaires du reste de la zone mégapolitaine.

Autrement dit le concept de ville autonome et intégrée ne tient pas plus au Japon qu’ailleurs.

Dans les rues de Bay Town, les patios sont réussis esthétiquement et la ville est agréable. Elle est ressemble pourtant à une cité-dortoir. Ainsi les commerces de proximité au bas des immeubles sont très limités et peu enclins à créer l’activité et la scène urbaine voulues : des superettes, des concessionnaires automobiles, des agences immobilières. Même les fleuristes ou les restaurants italiens installés à dessein pour animer le quartier sont peu fréquentés et les passants passent, sans s’arrêter ni flâner.

A l’inverse, dans les shopping malls en préfabriqué construit autour de la gare Kaihin Makuhari de la zone commerces de MNC, c’est l’effervescence. Celle-ci contrastent fortement avec les rues désertes de Bay Town, autant les après-midi que le soir, lorsque les salarié sont rentrés (Photo 25).

Photo 25 : Une rue de Bay Town aux alentours de 19h00 en semaine.
Photo 25 : Une rue de Bay Town aux alentours de 19h00 en semaine.

© Scoccimarro 2007.

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Nous avons tenté dans cette partie de montrer le rôle de la reconversion des terre-pleins du port de Tôkyô dans le phénomène plus global de retour au centre ville. Celui-ci est d’abord le produit de l’inflation foncière et des mesures de relance du secteur immobilier incitant à la construction de tours d’habitations en hauteur. Les friches industrielles des terre-pleins du port, aux mains de grands groupes, ont facilité la mise en place rapide et massive de telles opérations.

L’aménagement du Rinkaifukutoshin, dont la partie Daiba figure en exemple dans les publications du Tochô destinées au développement des terre-pleins de Harumi et de Toyosu, a par ailleurs révélé le potentiel des bassins et des canaux de l’intérieur du port de Tôkyô pour mettre en valeur ces opérations urbaines. Plus petites et moins ambitieuses, celles-ci ont entamé une refonte sociale et paysagère dans cette partie centrale de la mégapole.

On retrouve cette même tendance sur le front de mer de Yokohama avec l’opération Minato Mirai 21. Celle-ci fonctionne sur un mode plus classique avec l’association des autorités locales à un grand groupe, Mitsubishi. Le résultat n’est cependant pas si éloigné de celui de la Zone 13 : Minato Mirai 21 est bien devenu une enclave ludique sur le front de mer de Yokohama. En revanche, la présence de Mitsubishi force l’adaptation à la demande foncière actuelle, au risque de transformer le centre d’affaires désiré par la ville en un quartier d’habitations de haut standing.

Ces nouveaux quartiers, ces paysages de fronts d’eau, inédits jusqu’à récemment dans la baie de Tôkyô, tranchent dans tous les cas avec la ville habituelle. Nous allons à présent essayer d’en analyser la nature et le sens.

Notes
142.

Le cabinet Andrew Spurlock & Martin poirier, architecture et urban design, qui interviennent dans le monde entier pour refaçonner (i.e. globaliser) quartiers urbains et fronts de mer en « Urban city quarter» et autres « Urban Waterfront ».

143.

Makuhari âbanisuto (Les urbanistes de Makuhari) 幕張アーバニスト, Préf. de Chiba, Bureau des travaux publics, printemps 2003, 50 p.

144.

Source statistique : enregistrements auprès de l’état civil de l’arrondissement de Mihama (Chiba-shi) au 31/03/2007.