Chapitre 6.  Production de villes nouvelles ou de nouvelles villes ?

A. Des villes du XXIe siècle ?

Les aménageurs des opérations que nous avons présentées au chapitre précédent promettent invariablement des villes pour le XXIe siècle, incluant ce chiffre 21 jusque dans la toponymie. Qu’en est-il exactement ? La nouveauté urbaine se résume surtout à une débauche d’innovations techniques, principalement sur le mode de l’automatisation à outrance. L’archétype en est l’immeuble intelligent, un bâtiment dont la gestion des réseaux, des flux, est centralisée et gérée par informatique : les connexions au câblage par fibres optiques, les ascenseurs, les déchets, la consommation électrique ou encore la climatisation.

On retrouve cette automatisation au niveau de la rue et des transports : train sans chauffeur, tapis roulant automatique, indication en temps réel du trafic routier ou du remplissage des parkings. Minato Mirai 21 et RFT qui sont des aménagements intégrés en sont de bons exemples. On retrouve cette tendance dans les terre-pleins de Kôbe Port Island et Rokkô Island.

Le plan des quartiers est orthogonal, suivant un zonage fonctionnel au niveau des parcelles. Celles-ci accueillent des bâtiments cubes dont les audaces architecturales sont finalement surtout formelles. L’idée de multifonctionnalité du bâti, c'est-à-dire des bâtiments réunissant selon les étages, des commerces, des bureaux et de l’habitat, est limitée à des formes déjà connues : des commerces de proximité au bas d’immeubles d’habitation. Ainsi les périmètres mixtes regroupant « habitat - commerces - affaires » se traduisent dans les faits par la possibilité d’utiliser ces parcelles pour des tours d’habitation, des shopping malls ou des immeubles de bureaux. C’est un moyen d’assouplir, sinon de les vider de sens, les POS. Cela se vérifie particulièrement bien sur le périmètre Daiba du RFT et sur Minato Mirai 21, où la mixité fonctionnelle correspond en fait à une juxtaposition de parcelles utilisées pour des usages hétérogènes. Seul contrainte réelle, l’impossibilité de construire des surfaces agricoles ou industrielles.

L’habitat, qui se développe est lui composé exclusivement de tours ou de barres de logements. Le lien commercial est limité aux superettes ouvertes vingt-quatre heures sur vingt-quatre, aux supermarchés de taille moyenne et aux galeries marchandes. Rien de révolutionnaire donc.

Le plus paradoxal, c’est que ces « villes du XXIe siècle » se révèlent particulièrement mal adaptées aux besoins urbains de notre siècle, en particulier sur la question des déchets ou de la consommation énergétique. Certains déchets sont « traités » sur Rinkaifukutoshin ou Minato Mirai 21 qui sont des quartiers propres. Mais on retrouve les déchets dans des centres d’incinération et non dans des usines de recyclage. Concernant les bâtiments intelligents, certes les tapis roulants ne se mettent en marche qu’en présence des passants, mais la question de la sobriété énergétique est complètement absente de la conception des immeubles et de l’ensemble des opérations.

Le versant « écologique » et « proche de la nature» est assuré par la plantation d’espaces verts et l’aménagement de plages artificielles, mais la question écologique est absente des projets et des slogans. L’automatisation des taches, l’embellissement par les jeux de lumière, la climatisation généralisée et toutes les débauches technologiques n’en font pas des villes écologiquement durables.

Photo 26 : Des villes pour le XXIe siècle ? Gazon japonais et incinérateur du Kôtô-ku sur le RFT.
Photo 26 : Des villes pour le XXIe siècle ? Gazon japonais et incinérateur du Kôtô-ku sur le RFT.

© Scoccimarro 2001.

Ces nouveaux quartiers relèvent plus de la ville du XXe siècle que des besoins de celle du XXIe. Mais ce n’est pas étonnant si on prend l’exemple du Rinkaifukutoshin, promu et conçu par des hommes de la Haute-Croissance. Suzuki Shun.ichi (1910- ) avait 68 ans lorsque l’aménagement est présenté en 1988, et Tange Kenzo (1913- ) avait 71 ans en 1984 lorsque les premières ébauches architecturales sont présentées. Une décennie où les discours sur la ville durable, la sobriété énergétique et le réchauffement climatique n’étaient pas encore à l’ordre du jour du marketing urbain et à celui des décideurs.

Pourtant, sur d’autres plans moins visibles immédiatement, ces quartiers portent des éléments de rupture avec les pratiques en cours dans les espaces plus conventionnels de la mégapole. Ils peuvent, à défaut de la ville du futur, initier des formes urbaines moins habituelles dans les centres villes mégapolitains.