B. La nouvelle fabrique de la ville

1. Le train intégrateur, mais non structurant

Ce fut dans un premier temps des infrastructures routières, ponts géants, autoroutes, qui raccordaient les terre-pleins entre eux puis au centre ville. Nous avons montré que dans le cas du RFT, ce sont surtout les infrastructures de transports ferroviaires, métros et trains, qui ont été déterminantes pour permettre la fréquentation des lieux.

Ces aménagements sont pourtant très bien adaptés à la voiture. Plus que dans le reste de la ville, la desserte par les autoroutes intra urbaines, la voie express côtière (wangandôro湾岸道路) qui ceinture la mégapole et les friches tertiaires, transformées en de nombreux parkings, facilitent l’usage de la voiture.

Ainsi l’automobile reste un moyen de transport important pour se rendre dans ces quartiers. Elle arrive aujourd’hui en seconde position derrière le train, mais avec des taux qui ne sont pas très éloignés. À la différence du centre ville, même élargi aux 23 arrondissements de Tôkyô, les quartiers d’habitations sur terre-plein sont fréquentables en voiture. Les nouveaux ponts routiers permettent un accès plus rapide en voiture, en particulier ceux construit en radiale depuis le quartier de Ginza, qui traversent les terre-pleins de Tsukishima, Harumi et Toyosu. Ces avenues à quatre voies, non payantes, permettent de relier directement le centre ville en automobile, mais permettent aussi de traverser toute la zone des terre-pleins du port en vélo ou à pied. On peut désormais aller de Ginza à Ariake en quasi ligne droite, sans se perdre dans le dédale des terre-pleins de l’arrondissement de Kôtô.

Cependant le transport collectif permet une venue dans le cadre des trajets urbains quotidiens. La connexion au réseau ferré principal, dont le Yamanote, intègre le front de mer dans le champ du possible des trajets quotidiens.

Une seule ligne de métro, la ligne Yûrakuchô reliait entre eux les terre-pleins du port jusqu’en 1995 et l’arrivée du Yurikamome (cf. fig.33 p.73). Aujourd’hui pas moins de trois lignes de métros supplémentaires sont apparues sur les terre-pleins du port de Tôkyô. Les connexions ont été décisives dans la fréquentation sur le mode de l’excursion ludique sur le RFT. Elles permettent aujourd’hui des aménagements de la même veine comme Toyosu Lalaport ou la galerie marchande de Harumi Triton Square.

Avant le raccordement au réseau ferré, la venue sur les terre-pleins est une sortie en voiture, un doraibuドライブ (de l’anglais drive, une excursion en voiture). Lorsqu’on peut venir par le réseau ferroviaire ou le métro, c’est une sortie en ville.

Malgré ce rôle important, les gares, de métro ou de trains, ne sont pas devenues des éléments de centralité dans ces aménagements sur les terre-pleins. Ainsi, à la différence de la ville conventionnelle ou des villes nouvelles de banlieues, la centralité ne procède pas des gares, limitées à un rôle fonctionnel.

Il est ainsi notoire de constater l’absence des grandes compagnies ferroviaires privées dans le processus de création de ces nouveaux quartiers, comme dans l’offre commerciale dont les OTM se sont fait une spécialité (Aveline, 2003). Les shopping malls sont aux mains des grands opérateurs fonciers de la capitale : Mitsubishi, Mitsui, Sumitomo, Mori Biru.

Les OTM avaient pourtant joué un rôle important dans l’innovation urbaine du XXe siècle avec la création des villes jardins ou encore la construction des banlieues dortoirs sous forme de New Town au long de leurs lignes après les années 1950 (Pelletier, 1994).

Les OTM sont traditionnellement très peu présents dans la zone portuaire, les groupes industriels organisant eux mêmes, dans leurs ZIP, les connexions ferroviaires au réseau principal. Une exception cependant, la présence des friches ferroviaires de la JR. Mais elle n’agit pas là comme un opérateur ferroviaire, mais en propriétaire foncier, comme c’est le cas de la friche Takashima de Minato Mirai 21. Quant aux nouvelles lignes de transports ferroviaires construites spécialement pour le réaménagement des terre-pleins, elles sont gérées par les entreprises mixtes du troisième secteur.

Le mode de propriété des terre-pleins en est en partie responsable de cette situation. Très verrouillé, il est soit aux mains d’opérateurs publics, soit d’un opérateur privé à l’origine du projet. Comme il s’agit au départ de parcelles industrielles, c’est à la branche foncière des opérateurs privés que revient le développement des terrains.

Au fond c’est la même logique qui opère dans l’urbanisation de la ville terrestre « habituelle » et celle des ASM, à savoir le rapport au foncier. En effet, dans le premier cas les OTM ont largement la maîtrise de celui-ci, mais pas dans le second. La symétrie est inversée. Sur cette base foncière s’organise un aménagement différent dans sa conception, sa gestion et la forme paysagère qui en résulte.