2. Nouvelles sociabilités et tissu commercial en recomposition

Ces ruptures de forme appellent aussi à des ruptures de mode de vie et de pratiques urbaines. Les sociabilités traditionnelles, les structures de gestion communautaires tels que les comités de quartier(chônaikai 町内会) disparaissent au profit d’associations de colocataires (kanrikumiai管理組合) pour la gestion des parties communes des résidences. Elles sont moins contraignantes 148 , mais aussi moins conviviales. Ces associations restent très limitées en dépit de la volonté des autorités publiques et des bailleurs de promouvoir de tels liens communautaires 149 à l’intérieur des blocs d’habitations. La présence de structures communautaires est vantée dans les prospectus de mise en vente des complexes d’habitation, ou soulignée dans les compilations de référencement des projets urbains en cours dans la capitale 150 .

Depuis les années 2000, la Toshisaisei tente ainsi de former des komyunitiコミュニティ(community) dans ses nouveaux immeubles collectifs, en créant des liens avec les associations locales, les chônaikai quand ils existent, mais aussi le secteur associatif des NPO 151 . Dans les immeubles gérés par le secteur privé ce sont des associations de propriétaires ou de locataires qui établissent des liens communautaires soutenus par les gérants. L’objectif est double : créer une convivialité qui met en valeur le quartier et évite l’isolement des personnes âgées célibataires (Ebizuka, entretiens 2005).

Cela est d’autant plus utile que les lieux traditionnels de sociabilité tendent à disparaître. Les gargotes pour ouvriers ou travailleurs du port sont remplacées par des restaurants « branchés ». Les petits commerces et supérettes de quartier laissent la place à des établissements plus prestigieux ou à des galeries marchandes.

Les centres commerciaux sous forme de shopping malls deviennent progressivement la norme de la distribution dans les quartiers de terre-pleins. Leur fonction ludique vise une clientèle étendue à l’ensemble de la ville tablant sur l’originalité des décors à thème : méditerranéen pour la galerie commerciale de Harumi Triton Square, chantier naval pour Toyosu Lalaport (fig.67 p.111) et nostalgie Meiji-Taishô 152 pour Akarenga Park à Minato Mirai 21 (fig.81 p.143).

Des chaînes de restauration rapide s’installent comme celles du groupe MacDonald’s, absent de toute la zone des terre-pleins de Tôkyô jusqu’en 1999.

L’évolution du carrefour de la station Toyosu (ligne Yûrakuchô et Yurikamome, fig.67 p.111) illustre bien ce phénomène (photo 28). La mutation du quartier et la venue de nouvelles populations a entraîné une refonte du tissu commercial local. Une tour de logements, la shieru tawâ (pour « Ciel Tower ») remplace des vieux bâtiments d’entreprises et une vieille manshon. Haute de 143 mètres, elle comprend des logements en vente par le secteur privé, des appartements en location de la Toshisaisei et une clinique pour personnes âgées. La supérette de l’angle (photo 29) a laissé la place à un petit centre commercial et une surface de bureaux. L’ensemble est intégré par des passerelles à la station Toyosu du Yurikamome.

La voirie du quartier a été rénovée et plantée de verdure. Le parc qui faisait l’angle (à droite sur les photos) est inclus dans le complexe ludico-commercial lalaport. Il bénéficie d’une ouverture sur le front d’eau qui n’existait pas auparavant. En effet, ce parc servait, dans son sous-sol, de réserve d’eau pour les pompiers en cas d’incendie sur les quais à coke, ou dans la zone de stockage du gaz, du terre-plein attenant, Toyosu Futô.

Photo 28 : Carrefour central face à la gare de Toyosu (ligne Yûrakuchô) en 1998.
Photo 28 : Carrefour central face à la gare de Toyosu (ligne Yûrakuchô) en 1998.

© Scoccimarro 1998.

Photo 29 : Carrefour central face à la gare de Toyosu (ligne Yûrakuchô) en 2007. A droite les rails du train surélevé Yurikamome, prêts pour l’extension de la ligne.
Photo 29 : Carrefour central face à la gare de Toyosu (ligne Yûrakuchô) en 2007. A droite les rails du train surélevé Yurikamome, prêts pour l’extension de la ligne.

© Scoccimarro 2007.

Sur le terre-plein de Tsukishima, la vieille rue marchande (shôtengai商店街) Nishi Nakadori西中通り (photo 30, localisation fig. 67 p. 111) est en cours de marginalisation. Parallèlement l’axe routier qui traverse le terre-plein voit se développer de nouveaux commerces, entre les stations de Kachidoki (ligne Ôedo) et Tsukishima (Yûrakuchô). Désormais, c’est le long de cette avenue que se développent des supermarchés, les restaurants fast-food et une offre commerciale de plus en plus diversifiée. Les foules s’y pressent, alors que la Nishi nakadori voit ses commerces fermer et une fréquentation en baisse 153 .

Photo 30 : La vieille rue marchande du terre-plein de Tsukishima, la
Photo 30 : La vieille rue marchande du terre-plein de Tsukishima, la Nishi nakadori shôtengai.

© Scoccimarro 2005.

Comment qualifier ces nouveaux quartiers ? Il y a gentrification c’est certain. La forme urbaine que prennent ces zones, touchées par une repopulation massive, et le type de rupture avec la ville traditionnelle, produisent un résultat qui tient plus d’un urbanisme de banlieue que de l’embourgeoisement classique des innercity 154 .

Notes
148.

La participation aux activités des chônaikai (fêtes de quartiers, gestion des sanctuaires, alertes incendies, gestion des poubelles, coveillance, détection des intrus, surveillance des comportements « déviants ») n’est plus obligatoire comme pendant la période militariste, mais elle reste fortement conseillé, et va quasiment de soi, dans les quartiers pavillonnaires traditionnels.

149.

Précisons qu’il s’agit bien de communautés de quartier et non d’appartenance à des groupes socio ethniques.

150.

Tôkyô / Shutoken mirai Chizu, chizu de wakaru Tôkyô no nijûichi seiki東京・首都圏未来地図 地図でわかる東京の21世紀 (Cartes de Tôkyô et de la région capitulaire dans le futur, comprendre par les cartes le Tôkyô du XXIe siècle), Tôkyô, Sebido, 2005, 162 p. et Tôkyô / Shutoken mirai Chizu nijûichi seiki Tôkyô ha kô kawaru東京・首都圏未来地図21世紀東京はこう変わる (Cartes de Tôkyô et de la région capitulaire dans le futur, comment le Tôkyô du XXIe siècle va se transformer), Tôkyô, Sebido, 2004, 130 p.

151.

Non Profit Organisation, associations à but non lucratif.

152.

Période des ères Meiji (1868-1911) et Taishô 大正 (1911-1926).

153.

Relevé de terrains de 1995, 2000, 2005 et 2007.

154.

Vieux quartiers populaires formant des poches de pauvreté à proximité des centres-villes.