1. Rénovation des fronts de mer

La plupart des auteurs japonais s’accordent à qualifier la période 1985-1995 d’« années du Waterfront au Japon » ( Isobe, 1994 ; Yokouchi, 1994 ; Kitami, 1998 ; Ueda Atsushi, 1998 ; Hiramoto, 2000 ; Endô, 2004). C’est à la même époque que la question portuaire devient également dans le reste du monde un thème nouveau de la recherche urbaine (Querrien, 1992). L’archipel est en phase avec les tendances mondiales des pays développés et la reconversion en waterfront des terre-pleins japonais s’inscrit dans un phénomène global.

Localement, c’est aussi une nouvelle étape dans l’histoire de l’utilisation des avancées sur la mer. Elle succède aux quatre étapes précédentes : l’ère des shinden, l’extension de la Shitamachi, les grands terre-pleins industriels du XXe siècle et les décharges en mer.

Nous avons privilégié le port de Tôkyô et de Yokohama, mais le mouvement de rénovation du littoral urbanisé suit une chronologie similaire pour les autres villes côtières du Japon (Yokouchi, entretiens 2005). La première étape se situe entre les années 1985 et 1995. Les opérations se généralisent en appliquant sur les côtes japonaises les principes esthétiques et le mode de financement des waterfronts nord-américains. Les objectifs sont la construction de quartiers d’affaires et le façonnage d’une image de marque de la ville pour l’international. Ces premiers chantiers sont cependant caractérisés par des surfaces considérables et des coûts très élevés particulièrement en infrastructures.

Les répercussions de la chute des prix ne se font réellement sentir qu’au milieu des années 1990, lorsque les opérateurs prennent conscience que la déflation n’est pas conjoncturelle, mais une tendance installée pour longtemps. Les aménagements sont alors partiellement gelés. C’est à ce moment que le déclic se produit, basé sur l’ossature rénovée des fronts d’eau. S’enchaîne alors la conversion des opérations vers l’utilisation commercialo-ludique que nous avons décrite au chapitre précédent.

Le Rinkaifukutoshin est particulièrement exemplaire de ce phénomène. C’est aussi une des réalisations les plus abouties de la transformation d’un terre-plein industriel et portuaire en un modèle d’aménagement de waterfront (fig. 91). Après avoir cristallisé la contestation contre le gâchis financier qu’il représente, il jouit aujourd’hui d’une forte popularité due à la qualité de son front de mer, destination la plus prisée des visiteurs (voir supra chapitre 1er).

Figure 91 : Paysage type pour l’aménagement du front de mer de Tôkyô
Figure 91 : Paysage type pour l’aménagement du front de mer de Tôkyô

Source : TMG

Le modèle choisi pour l’aménagement du RFT se retrouve comme canevas dans les plans d’aménagements des fronts d’eau de Tôkyô. Au fil des ans, dans les publications du TMG, les vues cavalières sur des parcs d’immeubles de bureaux illustrant les plans masses ont laissé la place à des shopping malls, des complexes de loisirs devenus les éléments forts des représentations.

Le front d’eau, qui était plutôt un faire valoir esthétique, est désormais au centre du déploiement des activités sur les terre-pleins. La zone Daiba est le modèle revendiqué par le TMG pour un aménagement réussi (Matsunawa et Ôkubo, entretiens 2005 ; vérifiable également dans les nombreuses publications du TMG sur l’aménagement du front de mer de notre bibliographie). Le waterfront s’est ainsi imposé comme un élément de revitalisation urbaine. Repris et adapté à l’ensemble des opérations disposant d’un front d’eau, c’est la face du littoral des mégapoles qui est en passe d’être transformée.

Cela ne signifie pas que la fonction portuaire disparaisse pour autant. Elle change de nature et de localisation. Les quais pour vraquiers font place aux quais pour porte-conteneurs. Ces derniers sont modernisés, mais aussi se déplacent sur des terre-pleins construits plus au large, en eaux plus profondes (voir infra chapitre 8) pour s’adapter aux gabarits des navires en constante augmentation.

Par ailleurs, ce nouveau front d’eau reste un décor qu’il ne faudrait pas confondre, en dépit des apparences, avec un retour à la nature ou à la naturalité.