2. Pour le plaisir des yeux

a. La nature recréée

La rénovation des fronts d’eau passe par un réaménagement banal des rives dont les digues sont adoucies, plantées d’espaces verts et équipées de promenades. Sur Daiba, les aménageurs du RFT ont vu plus grand dans la rénovation de la plage artificielle.

Daiba n’est pourtant pas la première plage de ce genre : à Chiba s’étend sur dix kilomètres la plus grande plage artificielle du Japon, de Makuhari Kaihin 幕張海浜 à Inage 稲毛 167 . À Tôkyô, dans l’arrondissement d’Edogawa, le parc Kaisai Rinkaikôen葛西臨海公園 offre aussi une petite plage, mais de graviers. Le succès de Daiba est sans commune mesure. Il tient de la proximité du centre de Tôkyô qui offre un plus large potentiel de visiteurs, mais ce n’est pas le seul élément.

Daiba est certainement la plus artificielle de tout le Japon. Elle n’est d’ailleurs même pas tournée vers le large, mais vers le centre de Tôkyô (cf. fig.44 p.84), confinée à l’intérieur de l’ancien bassin à bois.

C’est paradoxalement l’artificialité de la plage qui contient la clé du succès. Plus qu’une plage naturelle, Daiba comporte les éléments qui « font plage » (photo 33). Elle n’est pas copie de la nature, mais reconstruction de la nature, selon le modèle idéal et idéelle. Les pins et le sable blanc renvoient aux attributs de la belle plage au Japon (Pelletier, 1990). Les rochers, plutôt que les traditionnels tétrapodes, participent à la création d’un décor. Les infrastructures de protection du littoral n’ont d’ailleurs pas lieu d’être puisque le vrai front de mer a été reporté à dix kilomètres au sud est par la construction de nouveaux terre-pleins.

Photo 33 : Plage artificielle de Daiba, RFT.
Photo 33 : Plage artificielle de Daiba, RFT.

© Scoccimarro 2007

C’est donc moins une recréation de la nature qu’une représentation de la nature. N’y-avait-il pas meilleur moyen, pour les aménageurs du TMG, de répondre à la demande sociale d’accès à la mer des tôkyôtes ? Cette nature produite est par ailleurs prête à être consommée. Elle s’avère en cela plus satisfaisante que la vraie nature : plus proche, accessible en quelques dizaines de minutes à partir du centre ville, disponible été comme hiver, dotée d’infrastructures d’accueil, et sans risque de tsunami.

Comparées à Daiba, les plages artificielles de Chiba font pâle figure (photo 34). Les aménageurs ont pourtant tenté de reproduire un espace côtier naturel. Mais la plage subit une érosion éolienne constante et demande un engraissement régulier de sable à partir des zones de dragage du centre de la baie. Cela, avec le creusement des chenaux dans la baie, provoquent des coulées de sable rendant la baignade dangereuse. Elle est interdite depuis 2001, car les coûts d’entretien de la plage pour sécuriser les aires de baignades étaient trop onéreux (Watanabe et Tsushiya, entretiens 2005). La vie marine, elle, est quasiment nulle (Nakayama, entretiens 2005).

Photo 34 : Plage
Photo 34 : Plage Kaihin Makuhari à Chiba Mihama-ku. Au fond à droite, les usines pétrochimiques sur terre-pleins du groupe Mitsui.

Dans la baie de Tôkyô, les plages naturelles ont toutes disparu depuis la HCE. Le débat d’un retour de la nature ne se pose donc plus. En revanche, c’est la question de la gestion du littoral et de son accès par les populations locales qui faisait débat dans les années 1970, à travers la question du droit à la mer (irihamaken入浜権) (Pelletier, 1992). En conséquence, à Tôkyô, il est important que l’aménagement soit conforme à l’idée et aux usages du littoral par les citadins. La conformité au milieu naturel littoral passe au second plan et interfère peu dans le débat, surtout lorsqu’on compare les résultats esthétiques du front de mer avant et après l’aménagement 168 .

Il ne faut pas y voir une particularité locale ou une aptitude japonaise à apprécier l’artificiel et la copie : le succès de l’opération « Paris-plage », sur une voie express intra urbaine, dans un lieu qui n’a jamais connu de plage, avec du sable et des palmiers importés permet de jauger l’efficacité du remplacement de la nature par des référentiels à la nature, imaginés pour contenter les populations urbaines.

Notes
167.

Voir annexes II p. 220 et suivantes

168.

Voir supra le front de mer avant l’aménagement de la zone 13, chapitre 1.